GP Racing

Portrait Paolo Ciabatti

NOUS N’AVONS PAS VRAIMENT LES CARTES EN MAIN

- Par Michel Turco.

Le directeur sportif de Ducati s’exprime sur 2020.

Alors que, depuis trois ans, Andrea Dovizioso termine invariable­ment vice-champion du monde MotoGP, Ducati semble chercher en vain la solution pour battre Marc Marquez et sa Honda. À l’aube d’une nouvelle saison où le pilote espagnol et le constructe­ur japonais seront encore largement favoris, le clan italien semble se forcer à y croire...

Hormis quelques retouches cosmétique­s sur les carénages des Desmosedic­i d’Andrea Dovizioso et de Danilo Petrucci, l’équipe Ducati n’avait pas de grandes nouveautés à dévoiler lors de sa présentati­on, fi n janvier, à Bologne. S’il se voulait résolument optimiste, le discours des Italiens a eu tout de même du mal à convaincre l’assemblée. Comment en effet imaginer, avec les mêmes hommes, pouvoir renverser une forteresse qui résiste depuis des années à toutes les attaques ? Andrea Dovizioso a eu beau marteler que « personne n’est imbattable » , on ne voit pas comment l’Italien pourrait, cette année encore, défaire

Marc Marquez à la régulière. Et comme ce dernier a semble- t- il d’ores et déjà décidé de prolonger son contrat avec Honda jusqu’à la fi n de la saison 2022, et que Maverick Viñales comme Fabio Quartararo s’apprêtent à en faire autant du côté de Yamaha, l’usine Ducati risque de devoir ronger son frein encore un moment. Pour l’heure, Paolo Ciabatti, le directeur sportif de la marque de Borgo Panigale, se refuse à baisser les bras...

Paolo, cela fait maintenant trois ans de suite qu’Andrea Dovizioso termine à la deuxième place du championna­t du monde MotoGP derrière Marc Marquez. Comment Ducati peut espérer battre le phénomène espagnol ?

C’est une question à laquelle il n’est pas facile de répondre...

Tu le dis toi- même, Marquez n’est pas un pilote ordinaire. En

2019, il a encore réalisé une saison incroyable. À part à Austin où il a eu un problème, il a soit gagné, soit terminé deuxième. Je ne me souviens pas, dans l’Histoire, d’un tel parcours. Face à un pilote de ce calibre, il ne faut commettre aucune erreur. Or, si on a encore été compétitif­s l’an dernier, nous n’avons pas été suffi samment réguliers pour envisager de nous imposer. À nous de faire mieux. Déjà en faisant progresser notre moto, ce à quoi Gigi et son équipe se sont employés cet hiver en travaillan­t à 360 degrés. Gigi l’a dit, il y aura des évolutions à valider jusqu’aux tests du Qatar. D’autre part, comme l’a expliqué Andrea de son côté, les pilotes aussi peuvent s’améliorer pour aborder chaque GP en étant convaincus d’être compétitif­s. Dovi le sait, il doit améliorer ses performanc­es en qualifi cations pour ne plus avoir à s’élancer en course, comme ce fut trop souvent le cas l’an dernier, de la troisième ou de la quatrième ligne. Se mettre en diffi culté avant même le départ complique trop les choses, que ce soit en termes de performanc­es ou encore de risques à prendre sur les premiers tours. Danilo doit quant à lui se montrer capable de ne pas sombrer sur la seconde partie du championna­t comme il l’a fait l’an dernier. Essayer d’améliorer la machine et les hommes, voilà ce qu’on peut faire. Vice- champion du monde depuis trois ans, c’est un bon résultat qui laisse pas mal de nos adversaire­s derrière nous, mais ça n’est pas non plus celui pour lequel nous sommes engagés en MotoGP.

Penses-tu réellement que Dovi possède encore une quelconque marge de progressio­n ?

Cette question, c’est à lui d’y répondre. Mais pour en avoir discuté avec lui, il me semble convaincu de pouvoir encore s’améliorer. Il a travaillé pour cela cet hiver, physiqueme­nt mais surtout psychologi­quement. Il a aujourd’hui une grande expérience et il sait ce qu’il doit faire pour progresser.

Tu ne penses pas que sa relation difficile avec Dall’Igna est aujourd’hui un frein pour vos résultats ?

Non, je ne le pense pas. La situation a évolué. C’est vrai qu’il y a eu de la frustratio­n, des deux côtés. Mais c’est quelque chose de normal quand tu attends des résultats. Après, Gigi comme Andrea sont des profession­nels... Je ne suis pas inquiet par rapport à ces diffi cultés qu’ils ont aplanies.

La fin de saison 2019 a été un peu troublée chez Ducati par des rumeurs successive­s annonçant Miller à la place de Petrucci, puis Zarco chez Pramac...

Tout ça n’a jamais relevé d’autres choses que de rumeurs alimentées dans le paddock par certains ! Nous n’avons jamais imaginé de tels changement­s. Il a toujours été clair pour nous que Miller roulerait en 2020 dans le team Pramac. Jack est pour eux un élément important, notamment par rapport à leurs sponsors. On ne peut pas décider comme ça de faire n’importe quel changement sans tenir compte des engagement­s de nos partenaire­s. Et tout cela parce que quelqu’un

trouve que ça serait mieux de faire comme il le pense... Non, chez Ducati, rien de tout ça n’a jamais été envisagé.

Avez-vous apporté des changement­s à l’équipe cet hiver ?

Non, l’équipe sera quasiment la même. On a juste remplacé Fabiano Sterlacchi­ni, qui a décidé de quitter le MotoGP, par deux jeunes ingénieurs qui vont se partager sa tâche. C’est du côté d’Avintia qu’on a renforcé notre présence, en récupérant notamment Marco Rigamonti ( pour l’associer à Zarco) qui était passé depuis trois ans chez Suzuki.

Un autre changement, c’est la présence de deux GP20 chez Pramac. C’est quoi l’idée, essayer d’aider davantage Dovi dans la quête du titre ?

Non, cette décision s’imposait car Bagnaia avait dans son contrat une clause lui assurant une moto offi cielle pour 2020 et on ne pouvait pas envisager cette année de laisser Jack, qui est monté à cinq reprises sur le podium, avec sa moto de la saison passée. Ça risque d’être pour nous un peu diffi cile à gérer, mais en termes de retour d’informatio­ns, ça sera aussi très intéressan­t.

Jack a effectivem­ent fait de belles choses l’an dernier, mais il est aussi très souvent passé à côté de ses week-ends. Qu’attendez-vous de lui cette saison ?

C’est un pilote que l’on considère comme un vétéran alors qu’il n’a que 24 ans. Il a commencé très jeune et ça reste pour moi un garçon avec un grand potentiel. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons prolongé son contrat et fait l’effort de trouver les ressources pour aligner quatre motos offi cielles et lui procurer une GP20 cette année. Je suis convaincu qu’il va encore passer un cap cette saison.

Ducati a une longue et belle histoire avec les pilotes australien­s...

C’est vrai que des pilotes comme Troy Bayliss et Casey Stoner ont beaucoup fait pour Ducati. On espère maintenant que Jack pourra continuer à écrire cette belle histoire.

Et Bagnaia ?

Il a vécu une première saison de MotoGP diffi cile. Il a été rapide dès ses premiers essais et puis il a un peu perdu confi ance. Il a tout de même montré à plusieurs occasions qu’il pouvait être performant, notamment en fi n d’année à Phillip Island. On verra...

VICE-CHAMPION DU MONDE DEPUIS 3 ANS, C’EST UN BON RÉSULTAT, MAIS ÇA N’EST PAS CELUI POUR LEQUEL NOUS SOMMES ENGAGÉS EN MOTOGP

Vous l’avez signé très tôt en 2018, preuve que vous croyiez en lui...

Oui, ce qu’il a accompli en 2018 en Moto2 a été remarquabl­e. C’est un pilote qui a un grand talent, ça ne fait aucun doute. Je l’ai dit, il a eu des diffi cultés l’an dernier, il doit les digérer et passer cette saison cette marche comme on l’attend de lui.

Parlons maintenant de ce nouvel accord avec Avintia. Que se cache-t-il derrière ?

Quand nous avons commencé à discuter avec Johann à Valence, il nous a fait part de ses craintes par rapport au niveau de l’équipe que nous lui proposions de rejoindre. Cela était fondé. On sait tous que le niveau d’Avintia n’a jusqu’à présent jamais été aux standards

d’une structure capable d’accueillir un pilote pouvant prétendre aux premiers rôles. C’est pour cela que nous avons décidé de prendre en charge une partie de la gestion de l’équipe en y incorporan­t des personnes directemen­t associées à l’usine. Même Tito Rabat disposera d’un ingénieur Ducati cette année. Pour ce qui est de Johann, je l’ai dit, il aura à ses côtés Marco Rigamonti. C’est un jeune ingénieur qui a pas mal d’expérience puisqu’il a travaillé avec Biaggi en Superbike et chez nous en MotoGP avec Iannone. Il a également passé plusieurs saisons chez Suzuki. Je pense qu’il va pouvoir aider Johann, mais aussi Avintia à passer un cap.

Y aura-t-il d’autres employés de Ducati chez Avintia ?

Oui, Johann aura aussi avec lui un ingénieur Ducati responsabl­e de l’électroniq­ue.

Et au niveau des mécanicien­s ? On sait que l’an dernier, ça n’était pas terrible avec des gars plus ou moins payés à la fin du mois…

Quand une équipe a des problèmes de budget, ça n’est jamais simple. Vous verrez cette année une autre équipe Avintia.

Dall’Igna a dit qu’il était prêt à aider à Johann si les résultats suivent. Cela veut dire quoi ?

Si on a décidé de faire ces efforts, c’est parce qu’on pense que Johann reste un pilote très rapide.

Pour l’instant, rien n’est décidé pour 2021. Johann a fait des choses incroyable­s chez Tech3, il a également bien roulé sur la Honda en fi n de saison dernière alors qu’il n’avait pas eu la chance de faire le moindre essai. On espère qu’il pourra se mettre en évidence avec notre Ducati. Encore une fois, si on a décidé de l’aider cette année, c’est parce qu’on pense que c’est un investisse­ment et qu’il y a une possibilit­é pour le futur. Nous verrons.

Le futur, justement : c’est quoi la stratégie de Ducati pour 2021/2022 ?

Nous n’avons pas vraiment les cartes en main. On verra comment la situation évolue. J’espère qu’on pourra avoir quelques courses afi n de juger le marché sans précipitat­ion. Pour l’instant, nous avons une équipe dans laquelle nous croyons. C’est clair que l’ambition de Ducati est de décrocher le titre de champion du monde, mais encore une fois, sans Marc Marquez, c’est Andrea Dovizioso qui aurait été titré en 2017, 2018 et 2019.

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Photos Jean-Aignan Museau.
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2 Vainqueur au Mugello, Danilo Petrucci savoure son succès aux côtés de Marc Marquez et d’Andrea Dovizioso.
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3 Le bonheur du clan Ducati sur ses terres.
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La nouvelle Desmosedic­i recèle d’évolutions. Reste à savoir si elles seront suffisante­s pour permettre à Dovi de décrocher ce titre qui se refuse aux Italiens depuis le sacre de Stoner en 2007.

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