GP Racing

Interview Hervé Poncharal .....

Patron d’écurie très impliqué dans le fonctionne­ment des GP, Hervé Poncharal a une vision transversa­le de la discipline. Il nous explique quels sont les défis qui attendent notre sport préféré.

- Propos recueillis par Thomas Baujard. Photos Gold and Goose.

Le boss de Tech3 se livre sur tous les sujets.

Hervé, toi qui as un emploi du temps de ministre, quelle est ton actualité ? J’ai vu sur Twitter que les caisses de motos étaient prêtes pour Sepang ?

Oui ! Comme pour la quasi- totalité des équipes MotoGP, chaque constructe­ur organise un « schooling- assembling » . C’est- à- dire qu’on se familiaris­e avec le nouveau matériel 2020 tout en le montant. C’était déjà comme ça chez Yamaha, Suzuki et Honda. Donc la semaine dernière, l’équipe MotoGP a passé tout son temps à Mattighofe­n à monter les motos 2020. Déjà, première bonne nouvelle : les quatre pilotes – Espargaro, Binder, Oliveira et

Lecuona – ont les mêmes motos. Il y a un an, les mecs étaient revenus du schooling en disant que c’était encore très artisanal et pas huilé comme dans nos expérience­s précédente­s. En 12 mois, soit un laps de temps très réduit, les choses ont radicaleme­nt changé. Ça se monte comme une moto de série. La moto a subi une belle cure d’amaigrisse­ment, ce qui était l’un des objectifs de l’an dernier ( où ils avaient commencé la saison 7 kilos au- dessus du poids limite de 158 kg, ndlr). Quand tu la regardes, c’est la même machine. Mais tout est différent et beaucoup plus abouti. Par exemple, avec la Yam’, sur une séance d’essai de 45 minutes, si tu as fait ton plan de pré- séance, tu peux partir avec un réglage X, t’arrêter à mi- séance et repartir pour tester un réglage Y. L’année dernière, tout était assez long à modifi er sur la KTM, et tu faisais toute la séance avec le même réglage, ce qui était un peu handicapan­t. Tout a été fait pour l’accessibil­ité et la rapidité d’interventi­on, grâce au team d’usine, mais aussi à nos technicien­s, Nicolas Goyon et Guy Coulon, qui ont de la bouteille. Quand tu discutes, tu t’aperçois que tout le monde a participé, et que chez les gens de chez KTM nous ont écoutés. Du coup, tout a avancé, et notre équipe est satisfaite. Après, il faut voir comment nos pilotes vont s’adapter. Bien sûr, la concurrenc­e ne s’est pas endormie, mais on attaque 2020 du bon pied. Vendredi, ils ont passé les 8 motos au banc, mis tout ça en caisse, et en avant pour Sepang.

À l’oeil nu, rien de décelable sur ces modèles 2020, donc.

Non. À part l’aéro, donc les carénages. C’est la moto avec laquelle Dani ( Pedrosa) a roulé tout au long de 2019 et Pol ( Espargaro) par petites touches à Valence et Jerez. Mais pour nous, c’est totalement nouveau. Même si ça reste un V4 doté d’un cadre tubulaire acier. Le cadre et le moteur ont évolué en profondeur, tout comme les suspension­s. On a de nouveaux carénages et des ailerons à tester. Il n’y a rien de commun avec ce qu’on a connu en 2019.

Une partie de ton équipe passe du Moto2 au Moto3 et de KTM à Husqvarna, mais en pratique, ça reste la même maison. Est-ce que ça a impliqué beaucoup de changement­s ?

L’équipe Moto3 et l’équipe MotoGP se sont croisées à Mattighofe­n. Ceux du MotoGP sont rentrés, et ceux du Moto3 sont en plein montage/ assemblage de leurs motos en Autriche. On ne roulera pas en Husqvarna. Les deux seules à porter ce nom seront celles du team de Max Biaggi. Il y aura 4 Red Bull KTM : les deux pilotes Ajo, et les Tech3, Sasaki et Öncu. Stefan Pierer ( PDG de KTM) nous a expliqué qu’il arrêtait le Moto2 et nous demandait de faire du Moto3. J’ai dit banco. On n’en a jamais fait, mais ça me correspond bien parce que j’ai de plus en plus envie de travailler avec des jeunes. Red Bull et KTM sont les deux partenaire­s qui font que la Rookies Cup existe. Il fallait qu’il y ait un accueil plus large pour les jeunes qui ont bien roulé en Rookies Cup. Désormais, il auront quatre opportunit­és. Viñales, Rins, Alex Marquez, Jack Miller ou Bagnaia étaient en Moto3 il n’y a pas très longtemps ; c’est une catégorie d’accès au championna­t MotoGP, donc y être présent avec KTM et Red Bull me plaît. On construit, et avec eux, c’est toujours sur du long terme. Pour nous, ça s’est décidé tard, en septembre, et tous les gros bras de la catégorie Moto3 avaient déjà été signés. Donc on a pris un pilote en qui j’ai confi ance qui est Aymu Sasaki. Et un très jeune pilote qui va faire sa première saison complète en Mondial : Deniz Oncü. Comme en MotoGP, KTM veut mettre le paquet en Moto3. En 2019, Honda a gagné largement plus de courses : 14 contre 5. Mais c’est une catégorie importante pour eux et je pense qu’ils ont bien bossé sur cette machine. On a hâte de découvrir nos deux pilotes sur cette moto. Une partie de l’équipe technique m’a dit qu’elle préférait rester en Moto2, ce que je conçois tout à fait. Nicolas Reynier, Florian Chiffoleau – qui, lui, arrête complèteme­nt pour mener une vie plus normale avec sa copine. Ce sont des choix respectabl­es.

Les deux data guys ( ingénieurs d’acquisitio­n de données), Mat et Francesco, sont restés en Moto2. Du coup, nos deux chefs mécanos sont espagnols. L’un était celui de Masia en Moto3, toujours sur KTM, et l’autre celui de Kornfeil, qui prend sa retraite de pilote d’ailleurs. L’un de nos data guys est français, il s’appelle Jordi Fèvres. Donc c’est un mix, mais c’était important pour moi de prendre des gens qui ont l’expérience du Moto3. Catégorie très spécifi que et compliquée. Et surtout, qui y ont déjà bossé avec KTM.

En MotoGP, tu attaques la seconde saison avec KTM. Avec l’aide de Dani Pedrosa (entre autres), la moto a semblé évoluer de manière intéressan­te lors des essais de Valence et de Jerez...

Pour ce qui est des résultats et des chronos, on va attendre, mais en effet, la moto a énormément évolué. J’ai bossé avec Honda, Suzuki, Yamaha. Une évolution drastique en si peu de temps et une dynamique de groupe pareille, je n’ai quasiment jamais vu ça. En plus, il y a des choses qui vont arriver dans les prochaines années, qui sont bluffantes. Tu comprendra­s que je ne peux pas tout dire. Pour l’instant, on travaille sur le matériel qu’on a, mais tu sens qu’il y a une volonté d’explorer toutes les solutions possibles avec la réglementa­tion technique qu’on a. Et que les gens qui sont impliqués dans ce projet le vivent 24 h sur 24, 7 jours sur 7.

Tu attaques avec un nouveau pilote, Iker Lecuona, qui a impression­né dès sa découverte de la RC16 à Valence. Et avec Miguel Oliveira, qui a été impeccable jusqu’à son accrochage avec Johann Zarco à Silverston­e. Quels sont les objectifs des deux pilotes pour cette saison 2020 ?

Chez KTM, cette année, tu as deux pilotes qui ont de la bouteille et qui, sur le papier, sont leaders : Pol Espargaro et Miguel Oliveira. Puis il y a deux pilotes à qui on demandera moins de faire des comparaiso­ns techniques au niveau du développem­ent de la machine qui sont Binder et Lecuona. Parce qu’ils vont devoir gérer leur année de rookie ( débutant). Le plan initial, c’était deux pilotes top niveau à l’usine – Pol Espargaro et Johann Zarco – et deux jeunes chez Tech3. Il n’y a qu’un rookie dans le team usine parce que Johann est parti. Donc, l’organisati­on 2020 n’est pas vraiment ce qu’elle devait être et ce qu’elle sera dans le futur. Mais bon. Miguel n’a pu faire qu’une moitié de saison crescendo. J’espère vraiment qu’il va pouvoir revenir physiqueme­nt à 100 %. Pas à Sepang du fait de sa grosse opération à l’épaule, mais pour la première course, ça devrait être OK. Il doit encore confi rmer qu’il est capable de se battre au niveau de Pol à chaque course. Soit faire un Top 10 ou un Top 8, on verra. Les deux débutants sont là pour préparer l’avenir, et on ne va pas leur mettre autant de pression qu’à Pol et Miguel. On a vu qu’Iker avait du potentiel, mais bon, il a eu

20 ans il y a quelques jours. Il risque donc de commettre des erreurs que Miguel et Pol devraient éviter.

Ce qu’il faut savoir, c’est que 2020 est une année cruciale pour tous les pilotes, pas seulement ceux de KTM. Parce que tout le monde arrive en fi n de contrat. Ils vont devoir briller et montrer qu’ils sont au niveau de ce qu’attendent sponsor et équipe avant le break estival. Je pense qu’à Assen, il y aura déjà une grosse partie de la grille 2021- 2022 qui se dessinera. Il faut mettre du gaz sur les six premières courses.

C’est la troisième saison pour le projet RC16 chez KTM. Comment juges-tu l’implicatio­n et les résultats de KTM face à la concurrenc­e ?

Beaucoup de gens, y compris d’expérience, pensent que KTM n’y arrivera jamais. Et que pour gagner, il faut un cadre alu et des Öhlins. On m’accuse aussi de cirer les pompes de mon employeur KTM en vantant leurs choix techniques et leur investisse­ment en MotoGP. Mais c’est ce que je pense, donc je le dis.

En tant que patron français, tu t’es toujours démené pour faire rouler des Tricolores au plus haut niveau. La consécrati­on étant le titre d’Olivier Jacque en 2000. Vingt ans plus tard, que peuvent faire nos deux pilotes français en catégorie reine ?

On a vécu des moments fabuleux : 2017, la première année de Johann restera gravée dans mon coeur, mes tripes, et dans toutes celles de l’équipe Tech3. Pour ce qui est de 2020 avec Fabio et Johann, j’ai toujours dit – parce que je connais Fabio depuis longtemps, et son père depuis encore plus longtemps – qu’il était peut- être le jeune pilote français le plus doué à intégrer

LE PLAN INITIAL, C’ÉTAIT DEUX PILOTES TOP NIVEAU À L’USINE – POL ESPARGARO ET JOHANN ZARCO – ET DEUX JEUNES CHEZ TECH3

le championna­t du monde de vitesse, lui qui avait le talent brut le plus élevé. Ce n’est pas Olivier Jacque ou Sylvain Guintoli qui me contrediro­nt. Jolie ouverture d’esprit de leur part, d’ailleurs.

Bien sûr que ce qu’a fait Fabio m’a étonné, mais pas tant que ça. Ça peut paraître prétentieu­x de le dire, mais c’est la vérité. Il a fait une saison 2019 absolument incroyable. Et si on réfl échit au fait marquant de la saison passée, pour moi, et de loin, c’est l’éclosion de Fabio Quartararo. Plus qu’un énième titre de Marquez. Et ce qui me bluffe – et qui me rend relativeme­nt confi ant –, c’est le recul dont il fait preuve par rapport à cette médiatisat­ion et cette notoriété qui sont arrivées subitement. Pas facile à gérer quand on a vingt balais. Lui a super bien géré la chose. Il a été intelligen­t, il a toujours fait confi ance à son entourage. Par ailleurs, il a fait preuve d’une admirable capacité à utiliser positiveme­nt la pression qu’il a sur ses épaules. Combien de pilotes ai- je vus qui, après deux ou trois bons résultats, étaient déstabilis­és par tant de pression, et commettaie­nt des erreurs grossières ?... Il n’en a pas fait une ( à part un calage au tour de chauffe au Qatar, ndlr). En plus, il est super à l’aise sur la M1, et il va rester sur cette machine.

Avec le même entourage humain et technique, Fabio devrait faire une année 2020 qui devrait être encore plus forte que celle de 2019. Je pense que les fans du sport moto français vont vraiment se régaler. Quant à Johann, il a face à lui un méga challenge à relever. Il va devoir également gérer la pression, parce qu’il sait très bien que c’est peut- être sa dernière cartouche. Ça peut déboucher sur quelque chose de superbe, parce que les gens de chez Ducati sont de vrais amoureux de la course. Et ce sont des gens bien.

Qu’il s’agisse de Tardozzi, Ciabatti et Dall’Igna. Si jamais

Johann roule fort, beaucoup de portes peuvent s’ouvrir. En revanche, si c’est un peu moyen, moyen... Il doit, plus que Fabio, marquer son territoire lors des six premiers Grands Prix, et montrer que le Johann de 2017 et 2018 existe toujours. Je pense que sur une Ducati, il peut faire de l’ombre ou tout du moins jeu égal avec les pilotes de la marque. J’y crois, parce que Johann aime les challenges. Je me rappellera­i toujours de sa deuxième année en Moto2, elle avait été compliquée, et il n’avait pas craqué. Je suis persuadé aussi que sur le plan humain, il est beaucoup plus calme. C’est même lui qui l’a dit : il a clarifi é toute son organisati­on.

C’est important d’avoir les idées claires. Je pense que nos deux Français peuvent faire une très belle année.

Tu es patron de Tech3, mais aussi président de l’Irta (Internatio­nal Racing Team Associatio­n), l’associatio­n des teams. De quelles réussites es-tu le plus fier ?

Des progrès en matière de sécurité. Honnêtemen­t, ça remonte à très, très loin : quand l’Irta a été créée, c’était en 1986, à Monza, circuit hyper dangereux, d’ailleurs. On n’a plus mis les pieds sur certains circuits. On n’a jamais arrêté de travailler, et quand la Dorna nous a rejoints en 1992 en tant que promoteur, non seulement, ils nous ont compris, mais en plus ils nous ont aidés, ils ont accéléré la procédure avec les moyens qui sont les leurs. De belles décisions, prises conjointem­ent par l’Irta et la Dorna, illustrent cette volonté de ne jamais faire de compromis, à l’image de ce qui s’est passé à Suzuka quand il y a eu l’accident fatal de Kato ( 2004). Carmelo a dit : « On ne retournera plus à Suzuka, qui est un circuit magnifi que, magique, tant qu’il y aura ce mur. Mais on sait très bien que repousser le mur est très compliqué, parce qu’il y a des problèmes de terrains très diffi ciles à résoudre. » Tout le monde avait rigolé et m’avait dit : « Ça, ce sont des mots, Mais Honda, c’est Honda, et l’on ne peut pas faire de GP au

Japon sans aller à Suzuka ( circuit propriété de Honda, ndlr). Tu craqueras. » Carmelo n’a pas craqué, et on n’y est jamais retourné. Je pourrais te citer beaucoup d’autres exemples, celuici n’en est qu’une illustrati­on. Ça, ce n’est pas Hervé Poncharal qui l’a fait. C’est l’Irta et la Dorna. Et rien que pour l’Irta, il y a tous les team managers. C’est une réussite collective. Et aujourd’hui, les pilotes se régalent sans arrière- pensée.

La grosse différence entre un pilote des années 70 et un pilote en 2020, c’est que celui de 2020 se lâche à 100 %. Avant, il y avait toujours une retenue. Parce que quand tu passais à côté d’un mur, voire de rochers sur certains circuits ou des bottes de paille devenues dures comme des pierres après avoir pris la fl otte, tu ne faisais pas n’importe quoi. Tu ne roules pas pareil au Tourist Trophy ou quand tu fais un tour de qualif à Assen. Le niveau de sécurité des 20 circuits sur lesquels on va se rendre en 2020 est top. Malheureus­ement, il y aura toujours des accidents et des drames. Je pense bien sûr à Marco Simoncelli... On ne pourra jamais garantir le risque zéro. Mais quand tu vois les dégagement­s, les bacs à gravier, les air fences ; les éléments majeurs de sécurité sont assurés. Quand tu vois la pression qu’on a mise pour rendre obligatoir­e les cuirs avec airbag, les plastrons ventraux, les protection­s dorsales, les nouvelles normes

POUR MOI, LE FAIT MARQUANT DE LA SAISON PASSÉE, ET DE LOIN, C’EST L’ÉCLOSION DE FABIO QUARTARARO

d’homologati­on des casques, le travail qui est mené sur les bottes et sur les gants. Voilà ce dont je suis le plus fi er.

Comme Jim Redman qui avait perdu plus d’une trentaine de potes pilotes en quelques saisons durant les années 60, et qui se demandait quand ça allait être son tour...

Oui, j’ai aussi un peu vécu ça ( Hervé fut pilote en Challenge 400 Honda au début des années 80, ndlr). Chaque saison, je perdais au moins une personne que je pouvais considérer comme un ami. À un moment, t’es obligé de te dire : « C’est quoi mon travail ? Prendre des jeunes et les emmener au casse- pipe ?

C’est sûr qu’aujourd’hui, je peux faire mon boulot de manière beaucoup plus sereine, et beaucoup plus en accord avec moi- même. »

Le MotoGP est en pleine expansion dans un monde très instable. Crise diplomatiq­ue en Iran, feux en Australie, Inondation en Indonésie, prise de conscience du réchauffem­ent climatique. Comment faire pour continuer à aller de l’avant ?

Cette question, rien que d’en parler, j’en ai les poils qui se dressent sur les bras. C’est ce qui m’obsède le plus en ce moment et ce, depuis plusieurs années. Chaque jour un peu plus. Parce que je suis complèteme­nt conscient que l’humanité est en train de foutre en l’air notre belle planète. Le réchauffem­ent climatique dû aux activités humaines est malheureus­ement une réalité. C’est un fait avéré, même par les plus sceptiques. J’ai été bluffé par la manière dont Lewis Hamilton ( 6 fois champion du monde de F1) a communiqué lors de la fi n de saison 2019. Quand il était au Japon, il disait aux Japonais : « Je vous adore, vous, Japonais, j’adore votre culture, votre manière d’être, mais franchemen­t, regardez ce que vous êtes en train de faire. » Il a montré des photos de baleines éventrées sur des ponts de bateau, et a dit : « Arrêtez de

pêcher les baleines ! » Il a fait part de ces considérat­ions en disant qu’il avait vendu son jet privé, qu’il avait demandé à Mercedes de ne plus lui fournir que des voitures électrique­s. Alors, après, est- ce que l’électrique est écologique ? Je n’en sais rien. Il a demandé à son marchand de fringues de lui réaliser des habits avec des matériaux recyclés.

Lui, icône absolue et n° 1 mondial des sports mécaniques, a eu le courage d’aller à l’encontre de tout un tas de choses. De choquer peut- être certains de ses fans. Ça n’a pas dû être facile vis- à- vis de son employeur, qui, lui, vend des voitures. Et c’est peutêtre un peu faux cul. Mais en tout cas, il demande aux gens de réfl échir, il pose des questions et utilise son rôle d’ambassadeu­r. Moi, je vais avoir 63 ans. Depuis que je suis petit, on me dit : il faut bien travailler à l’école, il faut être performant si tu fais de la compétitio­n, il faut aller plus vite, il faut produire plus. Aujourd’hui, tu sais très bien que la consommati­on à outrance, ce n’est pas bien... Si je ne posais pas ces questions – et je ne suis pas le seul –, je serais un idiot. Je n’ai pas la réponse. Y a des jours, je me dis, de manière très égoïste : arrête tout. Mais il y a quand même une quarantain­e de personnes chez Tech3. Ces 40 familles sont venues s’installer ici, elles ont fait des investisse­ments immobilier­s. Et je me dis qu’arrêter du jour au lendemain et mettre tous ces gens à la rue, ce n’est pas non plus la meilleure des choses à faire. Il faut essayer d’avancer, de réfl échir à comment faire. Je suis assez fi er, puisqu’à l’Irta et la Dorna, on va être de plus en plus impliqués fi nancièreme­nt aux opérations KISS ( Keep It Shiny and Sustainabl­e), comme au Mugello ou à Misano, où l’on récupère toutes les canettes alu, bouteilles plastique et on les recycle. On récupère tous les repas que les hospitalit­ies ont en trop. Au Mugello, on a nourri 3 000 personnes le jour du GP dans des associatio­ns type Resto du coeur autour du circuit. On va le faire grandir, l’étendre à Barcelone. On travaille sur beaucoup de choses pour que l’empreinte carbone de chaque épreuve de MotoGP soit moindre. Dans l’équipe Tech3, en 2020, il n’y aura plus de bouteilles en plastique. J’ai commandé des fontaines et chacun aura sa gourde. Ça peut faire rire, mais je n’ai plus de tasses en plastique depuis très longtemps mais des tasses en verre. Plus de touillette­s en plastique mais des touillette­s en bois. Cette année, on passe au café en grain moulu à l’hospitalit­y pour ne plus avoir de dosettes. Ici, chez Tech3,

à Bormes- les- Mimosas, on a des panneaux solaires, ce qui fait qu’on est autonome en électricit­é. Il y en a qui riront en disant que c’est un double discours. Ça l’est. Mais c’est un peu comme quand t’es président d’un pays : qu’est- ce que tu peux faire pour cocher toutes les cases ? Pas grand- chose. Donc soit je ferme la boîte, soit je continue. Nous, on continue en se grattant la tête et en se disant qu’il faut qu’on poursuive notre travail dans ce sport magnifi que. Et qu’on le fasse partout dans le monde parce qu’il n’y a pas de raisons pour en priver qui que ce soit.

Mais il faut aussi le faire en étant le plus respectueu­x possible de notre environnem­ent, et en passant des messages constructi­fs à tous ceux qui regardent à la télé ou qui sont présents sur les circuits.

Vingt courses MotoGP en 2020, jusqu’à vingt-deux à l’horizon 2022. Quels sont les problèmes que ça soulève et quelles sont les solutions envisageab­les ?

Il est évident que pour le promoteur Dorna, plus tu as de courses, plus tu as de pays visités, de rentrées fi nancières et de retombées médiatique­s, mieux c’est. Il faut toujours trouver un juste milieu, et de toute façon, le nombre de courses et les calendrier­s sont toujours discutés entre la Fédération Internatio­nale de Motocyclis­me ( FIM), la Dorna, l’associatio­n des constructe­urs ( MSMA) et l’Irta. Ce qu’on essaie de faire avec la Dorna, c’est d’avoir le même nombre de jours de déplacemen­t, qu’il y ait 18 ou 22 courses. En réduisant les essais. Là, par exemple, ce sont les équipes qui ont demandé à garder la séance d’essai au Qatar cette année.

L’année prochaine, on n’aura plus que Sepang avant le GP du Qatar. De trois séances d’essais pré- saison, on va passer à une. Ce sera moins fatigant pour les pilotes et les équipes. Car une journée de test implique 6 heures de roulage au lieu de deux fois 45 minutes lors d’une journée de GP classique. Après, on doit trouver un compromis acceptable pour tous. En 2020, normalemen­t, on aura 20 courses, sous réserve que le circuit de Finlande soit homologué, et que le contrat avec le circuit de Brno soit signé ( entretien

réalisé le mardi 21 janvier, ndlr). Ce n’est pas encore fait.

À la télé, les GP crèvent l’écran et ce, quelles que soient les catégories. Comment faire pour prolonger cet état de grâce ?

En continuant à faire ce qui nous a conduits à cette situation. Sur le plan technique, ne pas délirer comme a pu le faire la Formule 1 avec des règlements techniques trop libres qui impliquent des

investisse­ments que peu de constructe­urs pourront envisager de faire ( le budget des plus gros teams MotoGP est de 60 millions d’euros

par an, chez Mercedes en F1, on s’approche du milliard, ndlr). Du coup, on a des machines qui sont toutes très proches les unes des autres. L’écart est faible entre la Honda championne du monde et celle qui, sur le papier, est la moins performant­e, l’Aprilia. Cette dernière a fait quelques tours en tête à Phillip Island l’an dernier ( Iannone était 2e au 4e tour, et s’est maintenu dans le Top 5 jusqu’au

12e tour, ndlr). C’est unique dans le sport mécanique. Et c’est l’une des explicatio­ns. Il faut qu’on fasse évoluer le règlement par toutes petites touches quand c’est une demande des pilotes. Il faut le faire quand ça va dans le sens de la sécurité et de la performanc­e, mais pas à tout prix, afi n d’éviter une infl ation de folie. Il faut aussi qu’on continue – et c’est plutôt bien parti – les formules de promotion dans tous les pays du monde. L’Espagne et l’Italie sont des pays phares parce qu’ils ont un intérêt supérieur et de meilleures détections. Mais il y a l’European Talent Cup, la Northern Talent Cup, le championna­t CEV. Il n’y a qu’à voir Lorenzo Fellon, qui a fi ni 5e de la Rookies Cup. Là, cette année, il se retrouve en CEV dans le team qui a vu passer Marc Marquez et Fabio Quartararo. Il sera chez Alzamora sur des Honda dans l’équipe de référence. Il faut continuer à faire de la détection de jeunes pilotes dans des coupes hyper compétitiv­es et pro, et s’assurer que la réglementa­tion technique garantisse l’homogénéit­é des performanc­es. La spécifi cité de la moto genou par terre, coude par terre, qui se cabre à l’accélérati­on, ça, c’est magnifi que. Et le fait qu’il y ait une dizaine de mecs qui se battent pour la victoire, c’est le secret qui fait notre succès, et c’est ce qu’il faut essayer de conserver. Tous les acteurs en sont intimement persuadés. Les plus durs à convaincre ont été les constructe­urs, car ils se servent du MotoGP comme laboratoir­e de leur technologi­e. Certes, ils doivent faire montre de leur développem­ent, mais ça ne doit pas non plus servir qu’à ça. Parce qu’on n’est pas là pour que la marque X, Y ou Z vende plus de motos. On est là pour assurer un beau show. Et un beau show sera toujours la meilleure des vitrines technologi­ques.

2020 sera la deuxième année de MotoE. Beaucoup ont été surpris du show en piste. Est-ce une alternativ­e au thermique d’ici 10 ans ?

Déjà, c’est une catégorie dite « de support » , car elle n’a pas le statut de championna­t du monde. Il y a beaucoup moins de courses, parce qu’il y en a eu 6, et qu’il y en aura 7 en 2020, répartis sur

six événements. Pour que ça se développe, il faut qu’on gagne en autonomie : une course de six/ sept tours, c’est très bien, c’est marrant, mais ce n’est pas suffi sant pour pouvoir devenir une catégorie à part entière. Et comme on a décidé qu’on ne ferait pas d’arrêts au stand comme ce fut le cas en Formula E au début, on est obligé de bosser sur l’autonomie. Je pense que ça va énormément évoluer. Déjà, pour en avoir discuté avec Nicolas Goubert hier soir ( cf. présentati­on du MotoE, p. 104), ils ont bossé sur les chargeurs rapides, qu’ils vont pouvoir utiliser sur la grille pour avoir un tour de plus en course. La formule 2020 sera un copier/ coller de celle de 2019. Je pense que les pilotes vont un peu mieux appréhende­r cette catégorie car ce fut une découverte en 2019. Tout le monde regarde ça de manière intéressée. Il y a un contrat de trois ans avec Energica, donc pour l’instant, on va garder ça. Et s’il y avait d’autres constructe­urs qui voulaient intégrer cette formule monotype, ce serait un accélérate­ur pour ce championna­t, mais pour l’instant, pas de changement. Moto3, Moto2, MotoGP, c’est le championna­t, et le MotoE, c’est une Coupe du monde laboratoir­e.

Va-t-on assister à un retour du 2-temps comme il en est question en F1 ?

J’ai du mal à dire quelque chose d’intéressan­t. C’est pour faire du buzz ? Peut- être. Mais à partir du moment où, dans la moto, ça a totalement disparu de la production pour des raisons de pollution, de consommati­on, je ne vois pas les constructe­urs utiliser une technologi­e qui concerne 0 % de leurs ventes ( à l’exception notable de KTM pour certains de ses modèles cross et enduro, ndlr). À moins de dire qu’on va faire un championna­t pour qu’il soit plus excitant, moins cher avec une technologi­e qui n’a rien à voir avec ce que les gens peuvent acheter, mais ça me semble compliqué.

Si Fabio Quartararo devient un jour champion du monde MotoGP, que penses-tu que ça puisse déclencher pour la moto en France ?

Un impact énorme. Déjà, s’il gagne un GP, ça va être phénoménal.

J’ai vu ce qu’a engendré le titre d’Olivier Jacque. Ça a ramené Elf chez nous et Gauloises qui était parti en F1 depuis longtemps. France Télévision­s s’est intéressé à nous. Bien sûr, il n’y a aucune garantie que ce soit duplicable. Le monde a changé en 20 ans. Mais j’ai pu voir ce que, dans mon pays, un titre 250 générait comme intérêt vis- à- vis des sponsors, des médias et des fans en général. Oui, ça sera énorme.

Un Français champion du monde en catégorie reine, ça n’est jamais arrivé, surtout avec un niveau de compétitio­n tel que celui qu’on a aujourd’hui.

Ça pourrait donc déclencher une médiatisat­ion incroyable. Et puis ça servira de modèle à tout un tas de jeunes. À un moment donné, tous les gamins voulaient être Zidane. Maintenant, ils veulent être Mbappé. Si jamais, demain, Fabio devient champion du monde, ça va encore accélérer l’envie de tous les petits jeunes qui regardent leur télé. Ils voudront tous essayer de devenir le nouveau Quartararo. Tout ça est plus que positif.

Si tu avais un souhait pour les Grands Prix, ce serait quoi ?

Eh bien, justement, si j’avais un souhait avant de tirer défi nitivement ma révérence ( et chaque jour on s’en approche !), ce serait de voir un Français gagner des

Grands Prix, et qui, à la régulière, se batte pour décrocher la timbale en MotoGP. Évidemment, plus que tout, j’aimerais que ce Français soit Fabio Quartararo. Il a le profi l, il le mérite, il arrive au bon moment. On a tellement subi la domination américaine, australien­ne, puis espagnole pimentée d’Italiens qu’on se dit que c’est impossible. Mais Fabio a prouvé le contraire. C’est loin d’être une réalité, mais ce n’est pas impossible. Cela dit, je pense que dans l’esprit des Français – qu’ils soient journalist­es, ingénieurs, ou mécanicien­s –, on n’envisage pas un Français champion du monde MotoGP. Et je trouve qu’on a tort. Donc mon rêve, ça serait ça.

IL FAUT CONTINUER À FAIRE EN SORTE QUE LA RÉGLEMENTA­TION TECHNIQUE GARANTISSE L’HOMOGÉNÉIT­É

DES PERFORMANC­ES

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 ??  ?? 1 Avec un autre Français performant en 250 sur Honda chez Tech3 en 1995 : Jean-Philippe Ruggia. 2 Hervé Poncharal avec son pilote Olivier Jacque, champion du monde 250 dans les derniers mètres du dernier GP en 2000. Moment magique. 3 Hervé et Mick Doohan discutent à Phillip Island. Le Français fut témoin du règne de l’Australien en 500. 4 Deux des trois fondateurs de Tech3, le technicien Guy Coulon et le stratège Hervé Poncharal. Le troisième homme, Bernard Martignac, a quitté les GP. 5 Avec Carlo Pernat en 2011. Carlo fut directeur sportif chez Aprilia et manage encore des pilotes comme Iannone ou Arbolino aujourd’hui. 4
1 Avec un autre Français performant en 250 sur Honda chez Tech3 en 1995 : Jean-Philippe Ruggia. 2 Hervé Poncharal avec son pilote Olivier Jacque, champion du monde 250 dans les derniers mètres du dernier GP en 2000. Moment magique. 3 Hervé et Mick Doohan discutent à Phillip Island. Le Français fut témoin du règne de l’Australien en 500. 4 Deux des trois fondateurs de Tech3, le technicien Guy Coulon et le stratège Hervé Poncharal. Le troisième homme, Bernard Martignac, a quitté les GP. 5 Avec Carlo Pernat en 2011. Carlo fut directeur sportif chez Aprilia et manage encore des pilotes comme Iannone ou Arbolino aujourd’hui. 4
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1 Hervé avec Carmelo Ezpeleta, boss du promoteur Dorna en 2012.
Selon le Français, l’Espagnol a toujours été un homme de bonne volonté. 2 Hervé offre son trophée de champion du monde au jeune Maverick Viñales lors du gala de fin de saison de Valence 2011. 3 Cal Crutchlow, en 2012. Cal signa des podiums pour Tech3. 4 Douzième temps en un impression­nant 1’58’’7 lors des essais de Sepang, Miguel Oliveira se pose en second homme fort chez KTM avec
Pol Espargaro.
4 1 Hervé avec Carmelo Ezpeleta, boss du promoteur Dorna en 2012. Selon le Français, l’Espagnol a toujours été un homme de bonne volonté. 2 Hervé offre son trophée de champion du monde au jeune Maverick Viñales lors du gala de fin de saison de Valence 2011. 3 Cal Crutchlow, en 2012. Cal signa des podiums pour Tech3. 4 Douzième temps en un impression­nant 1’58’’7 lors des essais de Sepang, Miguel Oliveira se pose en second homme fort chez KTM avec Pol Espargaro.
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1 Avec Dovi en 2012. En presque 30 ans, le team Tech3 a vu défiler une armée de top pilotes. 2 Hervé et l’ancien pilote Mike Trimby, secrétaire général de l’Irta, et grand artisan de l’améliorati­on de la sécurité en GP. 3 Hervé félicite Johann Zarco, qui vient de décrocher la seconde place au GP du Mans derrière Maverick Viñales en 2017. 4 Mathilde Poncharal, fille de son père et attachée de presse du team Tech3. 5 24e des essais de Sepang à seulement 1,5 seconde de la pole de Fabio Quartararo, Iker Lecuona n’a pas démérité. Il a un beau potentiel d’évolution en 2020. 4
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