GP Racing

Entretien Jérémy Guarnoni.....

Champion du monde d’endurance 2019-2020, Jérémy Guarnoni a pris des sentiers de traverse pour arriver au sommet. Rencontre.

- Par Jean-Aignan Museau.

Le champion du monde nous a reçus chez lui.

Bien sûr que Jérémy a toujours rêvé de devenir champion du monde. « Dès que j’ai fait des courses, c’était pour en gagner, et décrocher un titre mondial. Mais pas forcément celui d’endurance » , avance celui qui a toujours marché dans les pas de son presque jumeau Loris Baz, sans toutefois passer les portes des Grands Prix. « L’endurance m’a fait prendre conscience qu’il n’était plus question de payer pour avoir un guidon, pour jouer un titre de champion du monde. Si aujourd’hui, on m’appelle pour rouler gratuiteme­nt en Superbike, je n’y vais pas. Même si j’en ai envie. Un mécanicien qui est sur le circuit est payé. Il n’y a pas de raison que celui qui prend des risques au guidon ne le soit pas » , s’agace celui qui, depuis le 28 juillet dernier, a accroché au- dessus de son vélo d’appartemen­t le cadre très officiel décerné par la FIM au champion du monde d’endurance. Un parcours commencé, comme pour beaucoup, sous la forme d’un PW offert pour ses 5 ans. Le père de Jérémy voue depuis toujours une passion pour les Solex, et les courses qui vont avec, mais aussi pour le circuit gersois de Nogaro. C’est dans le centre de Toulouse, près du bar paternel, que Jérémy y fait ses premiers tours de roues. Le deuxième déclic se fait lors d’une visite à Nogaro. Il tombe à l’arrêt devant une Conti. Les 50 dédiés à la vitesse avec lesquels toute une génération de pilotes français a fait ses classes. Il craque, mais son père pense qu’il s’agit d’un prototype unique. Après renseignem­ents, il ne faut que quelques semaines pour que l’objet de toutes les convoitise­s rejoigne le garage familial. Jérémy participe à une épreuve de Minibike Academy, mais le système de course, où les auteurs des meilleurs chronos des essais se retrouvent en fond de grille au moment du départ, lui déplaît : « J’ai détesté.

Je voulais arrêter. » Son père lui redonne goût à la compétitio­n en l’emmenant sur un circuit de kart à Carcassonn­e. Un deuxième essai de course en France confirme l’essai et la famille Guarnoni se tourne vers l’Espagne, si proche de Toulouse : « C’était un autre monde. Le championna­t catalan à Vic ; il y avait les frères Marquez, les cousins Viñales, des gamins partout avec un niveau énorme. J’ai dû faire vingt- cinquième. » Mais ils sympathise­nt avec le père d’Isaac Viñales et ses deux cousins : « Ça fait 16 ans que nous sommes potes. Ce n’était pas évident parce qu’à l’époque, je ne parlais pas un mot d’espagnol. » Coupe Conti, Metrakit, Open R. A. C et pré- GP 125, les années espagnoles s’enchaînent aux côtés de son complice Loris Baz... Il termine vice- champion 125 et remporte le « Mondial Metrakit » , une course qui réunissait les meilleurs pilotes de la catégorie du monde entier... Arrivé en championna­t d’Espagne 125, il fait connaissan­ce avec Adrien Morillas, l’ancien pilote de Grands Prix, reconverti dans la formation de champions, qui a déjà pris sous son aile Romain Lanusse et Loris Baz. « Loris ne faisait que tomber. Il était déjà grand et n’avait pas du tout le gabarit pour de la 125. » Morillas les pousse à sacrifier une saison de course pour s’entraîner avec des 600 : « C’est à ce moment que Loris a passé le gros déclic et a gagné direct le championna­t. Du jamais vu avec un gamin de 15 ans. »

« AVEC LE RECUL, JE ME DIS QUE J’AI ÉTÉ DÉBILE »

En 2010, c’est à son tour de gagner le championna­t Superstock 600. « Ce fut un peu un tournant dans ma carrière. Le Team Roda me propose un contrat rémunéré de deux ans pour le Supersport. J’ai 17 ans. » À l’époque, Adrien Morillas est son mentor. « Et il me dit que la 600, ce n’est pas fait pour moi. Il me persuade de rester en 1000 pour la saison suivante. Il vient de créer son team... Je l’écoute. Avec le recul, je me dis que j’ai été débile. On a roulé en Stock 1000. J’ai fait entre dix et quinze toute l’année parce que la moto était une catastroph­e. Loris n’y arrivait pas non plus et il s’est barré en BSB... Moralité, en 2012, je me retrouve à pied. » Il rebondit chez Pedercini. Avec un chèque : « Mon

«“GILLES EST COMPLÈTEME­NT FOU, ILS VONT FAIRE N’IMPORTE QUOI...” RÉSULTAT, ON A GAGNÉ »

père trouve quelques sponsors pour réunir les 400 000 € que coûte la saison. » Et puis Loris, qui roule chez Morillas, est appelé par Kawasaki pour prendre la moto officielle de Superbike afin de remplacer le malheureux Lascorz. « Du coup, je me retrouve de nouveau avec Adrien, sans un sou à débourser. Cela se passe bien. Je fais troisième du championna­t. » Idem en 2013, où il est malheureus­ement privé d’une victoire, et certaineme­nt du titre, pour un drapeau rouge. À la fin de l’été, il reçoit, tout comme Loris Baz, un coup de fil de Gilles Stafler pour disputer le Bol. « L’année précédente, nous avions déjà fait le Bol. Pour Louit Moto. On manquait d’expérience et on a accumulé les chutes. Sauf sur le mouillé. La BMW officielle avait cassé et Michelin nous a passé les pneus de développem­ent. On mettait quatre ou cinq secondes au tour à tout le monde.

À tel point que Christian Sarron, qui travaillai­t pour le team Viltaïs, avait débarqué dans le box de Louit en gueulant : “Ça, ce sont des jeunes pilotes qui en ont !” Toute ma vie, je me souviendra­i de ce moment. » Il n’oubliera pas non plus les réactions du milieu de l’endurance l’année suivante lorsqu’est annoncé le fait qu’ils piloteront la Kawasaki officielle au Bol.

« Du genre : Gilles est complèteme­nt fou, ils sont inexpérime­ntés, ils vont faire n’importe quoi... Résultat, on a gagné. »

Non sans quelques sketchs : « Avant les qualifs, on ne roulait pas super vite, on nous avait bourré le crâne avec le fait qu’il ne fallait pas casser la moto. Gilles nous chope et nous pique à vif en nous demandant quand on allait enfin se mettre à rouler. » Greg Leblanc, leur coéquipier, roulait un poil plus vite mais l’osmose est parfaite et ils deviennent deux des plus jeunes pilotes à s’imposer au Bol.

« J’ÉCHOUE DANS UN TEAM ITALIEN DE SECONDE ZONE »

En 2013, Guim Roda revient à la charge pour proposer une Evo à Guarno. De nouveau, Morillas lui fait les yeux doux. Roda se rabat sur David Salom. « Et en janvier, Adrien me dit qu’il faut trouver 50 000 € sinon, on ne peut pas faire le championna­t... Je suis dos au mur, on fait une saison moyenne. Adrien arrête le team à la fin de l’année. Et je suis de nouveau à pied. » Pendant l’hiver, Morillas remonte un team, avec des Yamaha en Stock cette fois : « Mais il ne me prend pas, préférant Coghlan et Marino. J’échoue dans un team italien de seconde zone avec une Yam’. Et je le paye. » Mais finalement, la saison se passe plutôt bien et il remporte la dernière manche à Magny- Cours, la première de la nouvelle

R6 : « Quand tu gagnes, forcément, tout le monde vient te voir. Je signe un pré- contrat avec l’équipe qui est censée remplacer le team d’Adrien. » La semaine suivante, il reçoit un coup de fil de Kawasaki :

« Un contrat avec de l’argent... Je me dis que j’ai encore fait une boulette. » C’est le moment où Loris Baz négocie son arrivée en MotoGP, avec, évidemment, Éric Mahé aux commandes. Jérémy entre en contact avec lui. Les deux hommes s’entendent bien et Éric fait sauter le contrat avec les Français : « Je signe pour deux ans avec KawasakiPe­rdercini en Stock. » Ça se passe bien, avec pas mal de podiums à la clé. « Pedercini aurait voulu me garder pour rouler en SBK, mais il avait besoin de l’argent d’un pilote payant pour équilibrer les finances du team. » La seule offre sérieuse qui tombe est celle de Stafler pour l’endurance : « J’étais un peu

réticent. Dans ma tête, ça rimait avec fin de carrière.... » Éric lui souffle que c’est au contraire la meilleure option. « Mais je voulais absolument continuer à rouler en vitesse. J’aime la course. Et je signe au dernier moment avec Tech Solution pour le championna­t de France SBK. »

Qu’il remporte. L’aventure endurance se passe au mieux, et Guarno y prend goût. Au moment de rempiler, c’est sans hésitation : « Lorsque je suis arrivé, il y a eu comme un coup d’accélérate­ur, avec la présence de nombreux pilotes, tel Randy ( de Puniet). » Toujours dans l’idée de garder un pied dans la vitesse, il signe pour le championna­t d’Espagne Superbike. Deux concurrenc­es de dates avec l’EWC l’empêchent de prétendre au titre. En revanche, le titre mondial d’endurance tombe comme un cadeau inespéré. « À dix minutes de la fin des 8 Heures, j’avais quitté le box pour aller pleurer en paix. C’était impossible que l’on ne soit pas champion du monde pour une place. Éric Mahé regardait l’écran et ne cessait de dire que la Suzuki allait casser. Et puis j’entends des cris dans le box.

Je me dis que l’on devait avoir chuté... Tout le monde était décomposé, on ne savait pas si la direction de course allait sortir le drapeau rouge. Gilles fait passer le panneau Oil à David pour le prévenir. Et là, on a compris que c’était bon. Il y a eu une explosion de joie totale. » Bien sûr, Jérémy ne parvient pas à cacher son ( léger) regret d’avoir glané ce titre sur casse mécanique de son adversaire. « Mais si une équipe méritait bien de remporter le championna­t, c’était nous. On avait gagné les 24 Heures du Mans alors que le SERT avait fait une saison sans coups d’éclat, sans victoires. Juste régulière, tandis que nous avions roulé à fond sur toutes les épreuves, puisque nous savions que sans résultats, nous n’irions pas à Suzuka. »

C’est cette discipline qui ne l’emballait pas au départ qui lui apporte finalement de réelles

satisfacti­ons : « Le départ, c’est quelque chose de très fort. Je pense que ça vaut celui d’une grille de MotoGP. Lorsque tu entends les gens hurler, c’est la folie. T’es sur une autre planète. Tu te prends pour un gladiateur. Et lorsque tu gagnes les 24 Heures, tu as l’impression d’avoir remporté un combat. Comme tu es usé physiqueme­nt et mentalemen­t, tu es extrêmemen­t sensible. Lorsque j’ai passé la ligne d’arrivée au

Mans, j’ai pleuré tout le tour de rentrée ! Tu ne contrôles plus rien. » Cette victoire, il en est particuliè­rement fier : « Nous étions 2e à une heure de l’arrivée. J’ai demandé à Gilles s’il voulait qu’on gagne la course. Il m’a dit oui. C’est pour ça que je l’aime : c’est bien sûr un manager d’endurance mais c’est avant tout quelqu’un qui aime gagner. Je pense même qu’il préfère gagner deux courses dans l’année qu’être champion sans une victoire. Je suis pareil. Le titre a été bon et savoureux, mais je crois préférer encore gagner les deux courses de 24 heures dans la même saison. Aujourd’hui, lorsque je dis que j’ai remporté les 24 Heures du Mans, ça a beaucoup plus d’impact que mon titre de champion du monde ! Pareil pour le Bol d’Or. Le retentisse­ment est mondial. »

Même s’il conçoit que, parfois, le métier de

pilote d’endurance est ingrat : « La nuit, au bout de 2 relais, tu peux en avoir marre. C’est long, et surtout tu ne vois pas le temps passer. Avec la lumière, tu vois que la course avance. Alors que la nuit, tu es dans la même ambiance durant 8 heures. Dès que tu vois le jour poindre, tu te dis que c’est terminé... même s’il reste encore 8 heures à tenir ! L’humain a besoin de soleil. » De soleil et de projets.

« JE SUIS NÉ DANS UN BAR »

« Je sais déjà que je n’ai jamais eu envie de faire les efforts pour aller en GP. À présent, il n’en est plus question. Le Superbike, pourquoi pas... Je me dis que 27 ans, c’est vieux. Et à la fois, il y a des gars comme Fores qui s’est fait rappeler à 31 ans.

Mais encore une fois, je ne veux pas y aller gratuiteme­nt alors qu’il y a beaucoup de pilotes qui le font. Moi, je suis bien où je suis et si je peux être dix fois champion du monde d’endurance, je signe tout de suite ! » De quoi effacer quelques regrets : « Je n’ai pas toujours été bien conseillé sur mes choix de carrière. Mais avec des si... Sur un plan personnel, je me considère comme un branleur. Mais je suis talentueux, je roule vite. Je travaille aujourd’hui. Si j’avais commencé à bosser plus tôt, cela aurait peutêtre changé le cours des choses. J’ai aussi vu des gens qui avaient fait des sacrifices et qui pour autant, n’ont pas eu leur chance. La moto, c’est compliqué. Il faut être au bon endroit au bon moment. Moi, je suis né dans un bar. J’ai toujours aimé faire la fête, dire des conneries. Mon père tenait une boîte de nuit. J’ai besoin de ça, d’aller de temps en temps faire une bringue avec mes potes. Dans la vie, il ne faut pas être frustré. La moto est un sport physique, mais où il faut être bien dans sa tronche. Et puis pour aller vite à moto, il faut faire de la moto. »

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 ??  ?? Arrachée de haute lutte après une course-poursuite sur la Honda de tête, la victoire aux 24 Heures du Mans 2019 est en grande partie le fait de Jérémy.
Arrachée de haute lutte après une course-poursuite sur la Honda de tête, la victoire aux 24 Heures du Mans 2019 est en grande partie le fait de Jérémy.
 ??  ?? Les premiers tours 2020 sur le circuit de Valence ont confirmé la bonne forme de Jérémy, mais aussi de la Kawasaki du SRC.
Les premiers tours 2020 sur le circuit de Valence ont confirmé la bonne forme de Jérémy, mais aussi de la Kawasaki du SRC.
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 ??  ?? 12 et Jérémy s’est découvert une passion pour le cross qu’il pratique sur les alentours de Valence, où il vit. Avec ou sans la moto, il est un grand spécialist­e des sauts. Dans l’appartemen­t qu’il occupe à quelques pas de la Cité des sciences de Valence, Jérémy pose avec diplôme et médaille de champion du monde d’endurance et jean et pompes de footballeu­r !
12 et Jérémy s’est découvert une passion pour le cross qu’il pratique sur les alentours de Valence, où il vit. Avec ou sans la moto, il est un grand spécialist­e des sauts. Dans l’appartemen­t qu’il occupe à quelques pas de la Cité des sciences de Valence, Jérémy pose avec diplôme et médaille de champion du monde d’endurance et jean et pompes de footballeu­r !
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