De boue les braves !
Le nombre des séances de tests MotoGP étant de plus en plus limité, la plupart des pilotes de Grands Prix diversifient aujourd’hui leur entraînement sur deux roues en variant les disciplines. Nous sommes allés les voir à l’oeuvre en Espagne, mais aussi du
Quand les stars du MotoGP s’entraînent en off- road
Il est 9 h 00 en cette matinée du 4 février. Sur le parking du Rocco’s Ranch, Fabio Quartararo est le premier à garer son Volkswagen T6. Le Français en descend une 450 WR Yamaha version flat- track. Pendant que Tom, son ami et assistant personnel, installe la machine sur une béquille, Fabio déballe tranquillement ses affaires. À quelques mètres de là, Ferran Cardus s’active avec son énorme tracteur pour finaliser la piste mise aujourd’hui à la disposition des pilotes venus s’entraîner. Le pilote espagnol de Supermotard ratisse les pierres, arrose la terre... En quelques minutes, le parking se remplit de vans et de camionnettes. Manager de l’équipe Leopard Junior, Ricard Jové sort de sa voiture la mine réjouie. « Ça fait du bien de se retrouver là avec tout le monde, lance le Catalan.
On en oublierait presque le Covid ! »
Jack Miller débarque à son tour au volant d’un Transporter, tout comme Xavi Vierge. Le fourgon Volkswagen a visiblement la côte chez les pilotes de Grands Prix. Suivent Dani Pedrosa, Hiroshi Aoyama,
Remy Gardner, Xavi Artigas... Passant de l’un à l’autre, Ricky Cardus salue ses visiteurs, prend de leurs nouvelles... Cela fait maintenant trois ans que l’ancien pilote espagnol a récupéré ce terrain situé en contre- bas du circuit de Montmelo. Il y a créé deux pistes de motocross, un site de flat- track, des parcours tout- terrain réservés aux enfants... Au mitan des années 1990, Kenny Roberts avait installé ici même un centre d’entraînement autour d’une piste de dirt- track, sur le modèle de son ranch californien de Modesto. C’était encore l’époque où les Américains montraient la voie. Les Européens, et notamment les Espagnols, ont depuis longtemps repris le leadership. La pratique du tout- terrain, et plus particulièrement du flat- track, est devenue la base de l’entraînement de la plupart des pilotes de vitesse. « Quand Roberts est parti, c’est un cousin de Sete Gibernau qui avait récupéré ce terrain,
raconte Ricky. Il a essayé d’y monter un business qui n’a pas vraiment fonctionné et l’endroit est très longtemps resté en friche.
Jusqu’à ce que je le reprenne avec mon frère Ferran et mon ami Willy. Notre idée, c’était de créer un club, à l’image de ce que peut être un tennis- club. Nos membres peuvent venir rouler quand ils le souhaitent, à des tarifs privilégiés. Une matinée de flat- track ne coûte que trente euros. On va aussi accueillir des enfants pour leur apprendre à faire de la moto et monter un restaurant pour organiser des barbecues et des fiestas. »
Les frangins Cardus ont déjà convaincu de nombreux pilotes de Grands Prix de venir s’y entraîner. Fabio Quartararo est adepte des lieux depuis deux ans. « C’est un bon centre d’entraînement, note le Niçois. Les frères Cardus font du bon boulot pour faire évoluer leurs infrastructures. Et puis c’est rare d’avoir un terrain où on peut faire à la fois du motocross et du flat- track. » Installé à Sitges, au sud de Barcelone, Remy Gardner est également un inconditionnel du Rocco’s Ranch. Pourtant, il y a deux ans, lors d’une séance de motocross, l’Australien s’y était brisé les deux jambes, gâchant ainsi une bonne partie de sa saison.
« Un mauvais souvenir, élude celui qui entend jouer cette année le titre de champion du monde Moto2 avec le team
Ajo. Rouler en cross et en flat- track, c’est la meilleure préparation physique qui soit. Et puis ici, il y a une super ambiance, j’ai toujours aimé m’entraîner avec des potes en se tirant la bourre. En tout cas, ça fait du bien de revoir tout le monde. »
« TOUTES LES PRATIQUES SONT COMPLÉMENTAIRES »
Les blessures en motocross, Fabio Quartararo connaît bien. À l’âge de 13 ans, il s’était ruiné un poignet lors d’une séance d’entraînement en Italie. Cela ne l’a pas détourné de la discipline, loin de là. « C’est vrai que c’est dangereux, mais c’est tellement important pour la condition physique qu’il faut prendre ce risque, assume- t- il. Le cross, c’est vraiment une base de travail pour moi. Il y a le physique et la concentration, on pourrait aussi évoquer le travail sur les temps de
« QUAND TU VIENS ICI, TU SORS LA MOTO DU CAMION, TU METS DE L’ESSENCE ET TU ROULES »
D. PEDROSA
réaction... Ça va moins vite qu’en MotoGP, mais quand tu rentres dans une ornière, il faut être capable de prendre des décisions ultra- rapides sur la moto. Même si tu fais beaucoup de cardio en courant ou en pédalant, rien ne remplace la pratique de la moto. Gérer la fatigue, respirer correctement... À ce niveau- là, le cross est très proche du MotoGP. Ici, la piste est très éprouvante et surtout très longue, ce qui est assez rare puisqu’on y tourne en deux minutes. Quand tu te fais cinq séances de 20 minutes dans la matinée, ça te fait les bras. Avant d’attaquer la saison, c’est un très bon entraînement. Mais bon, si je me sens trop fatigué, je n’insiste pas. Je ne veux pas forcer et risquer de me blesser. »
En ce sens, le flat- track est quand même plus tranquille... Mais aussi différent en termes de cible de travail. « Il y a des points communs avec le motocross, précise le pilote
Yamaha. Mais je dirais qu’en flat- track, tu travailles surtout tes sensations avec le train avant. Tu as du grip, tu le perds... Il faut vraiment contrôler la limite pour être efficace. En fait, toutes les pratiques sont complémentaires. Je fais aussi du trial, discipline que j’ai découverte en Andorre pendant le confinement, pour travailler l’équilibre. Derrière tout ça, il y a la même passion des deux roues et des moteurs. » Dani Pedrosa n’en dit pas moins.
FEELING POUR LES UNS, MÉTHODE POUR LES AUTRES
Aujourd’hui pilote d’essais KTM, celui qui fut longtemps le porte- drapeau du
HRC en MotoGP dit avoir toujours pratiqué le tout- terrain. « Les motocross et le flattrack ont toujours constitué la base de ma préparation, assure l’Espagnol. Rouler sur la terre permet de travailler le contrôle de la moto. Tu joues avec la position de ton bassin, tu développes des réflexes... Et puis c’est quand même beaucoup plus simple que d’organiser un roulage sur une piste de vitesse. Quand tu viens ici, tu sors la moto du camion, tu mets de l’essence et tu roules. Il n’y a pas d’entretien à faire et tu ne te prends pas la tête avec des réglages ou je ne sais quoi. » Sur la piste, une grappe
de pilotes commencent à faire l’hélice. Arrivé la veille du Japon, et en attendant de récupérer les pilotes du team Asia dont il s’occupe – Somkiat Chantra, Ai Ogura, Andi Farid Izdihar et Yuki Kumii –, Hiroshi Aoyama est lui aussi de la partie pour cette matinée. Malgré le jet- lag. « C’est un excellent exercice pour un pilote de vitesse, souligne le dernier champion du monde
de l’histoire de la catégorie 250. Quand j’ai commencé à courir au Japon, on était tous à fond avec l’école australienne et la pratique du dirt- track. Travailler la position de son corps et l’utilisation de la poignée de gaz pour trouver la bonne traction... C’est la base. C’est ce que Mick Doohan faisait à la perfection. Et l’avantage de le faire sur la terre plutôt que sur l’asphalte, c’est que tu vas moins vite et que tu prends donc moins de risques. » Xavi Vierge partage ce point de vue. Pour le pilote Moto2 du team Petronas, s’entraîner en tout- terrain permet de varier les plaisirs tout en travaillant les différents aspects du pilotage à moindre coût. « Non seulement tu t’entraînes en roulant moins vite que sur un circuit de
vitesse mais en plus, ça te coûte beaucoup moins cher, glisse cet autre candidat déclaré au titre de champion du monde 2021.
La piste, même avec une 600, c’est très onéreux, surtout en cas de chute. Franchement, il n’y a rien de mieux que le flat- track, le motocross ou le supermotard pour apprendre à glisser. Et maîtriser la dérive, gérer la traction... c’est capital en Moto2. » Digne héritier des Doohan, Bayliss et autre Stoner, Jack Miller intellectualise beaucoup moins sa pratique du flat- track. « Pour moi, c’est avant tout un moyen de se faire plaisir en gardant le feeling du pilotage durant les périodes où il n’y a pas de Grands Prix, confie l’Australien installé en Andorre une bonne partie de l’année. Ça entretient aussi la forme, et puis c’est toujours sympa de venir rouler avec les copains avant que les
choses sérieuses commencent. » À chacun sa façon d’envisager l’entraînement. Au feeling pour les uns, avec plus de méthode pour les autres. Il en est ainsi du jeune Xavi Artigas, nouveau pilote de l’équipe Moto3 Leopard. Coaché par Ricard Jové, le coéquipier de Dennis Foggia joue le métronome au Rocco’s Ranch. « Il y a pas mal de gars qui sont avant tout ici pour s’amuser, avance l’ancien manager de Maverick Viñales, chrono et carnet à la main. Pas Xavi... Il vient de boucler 20 minutes en enchaînant des chronos tous identiques à 2 dixièmes près. La plupart font
quatre tours vite, puis ils ralentissent et repartent en cherchant à prendre la roue d’un autre pilote. Ça n’est pas comme ça que tu travailles la concentration. »
« ON NE TOUCHE À AUCUN RÉGLAGE »
En cette journée du 4 février, sa concentration, Joan Mir a décidé de la travailler à une vingtaine de kilomètres du Rocco’s Ranch. Pas de flat- track aujourd’hui pour le champion du monde MotoGP, mais une bonne séance de motocross au Parc Motor de Vallgorguina. Eh oui, la Catalogne regorge de circuits en tout genre. « Plutôt que la concentration sur la moto, je peaufine ma condition physique et mon pilotage en répétant les tours de piste, nous explique
Joan. En motocross, tu te fais vraiment secouer. Attaquer 25 minutes en tournant dans la même seconde, c’est la même chose que boucler une course MotoGP en enchaînant les tours dans le même dixième. En revanche, quand la saison démarre, je réduis l’entraînement à moto pour me concentrer sur le cardio avec de la gym et des balades en montagne. » En attendant de s’envoler pour le Qatar, Joan Mir ne passe pas une journée sans faire un coup de moto. « J’aime bien varier les disciplines quand je m’entraîne, détaille celui qui roule très souvent avec Tito Rabat. Ça permet de ne pas trop prendre d’habitudes, de garder de la fraîcheur et surtout, de travailler différents aspects du pilotage. » Le lendemain de sa sortie à Vallgorguina, le pilote Suzuki avait prévu une excursion du côté d’Alès pour une séance de travail avec une 1000 GSX- R. Le déplacement sera finalement annulé pour cause de météo défavorable. Une semaine plus tôt, c’est Maverick Viñales qui avait posé ses valises du côté du Pôle mécanique gardois pour trois journées d’entraînement. « J’ai découvert ce circuit il y a deux ans et je l’aime beaucoup, nous
confiait l’officiel Yamaha. Les conditions de sécurité y sont très bonnes, on peut faire des choses différentes et je suis tranquille pour travailler. Je peux bosser avec mon père, virage par virage. On révise les bases : freinage, virage, accélération. Désormais, en MotoGP, tout le monde travaille au quotidien. La différence se fait sur des détails. La R1 est parfaite. On ne touche pas les réglages, on passe juste des pneus et de l’essence. » Venu en famille, avec celle qu’il a récemment épousée, mais aussi avec son père, son oncle et son cousin qui court cette saison en Supersport 300, le pilote Yamaha a varié les plaisirs avec un 80 YZ version supermotard pour faire des ronds entre des cônes en plastique et une R1 pour travailler son pilotage. « Je suis là pour reprendre du feeling, explique- t- il. Ça fait trois mois que je n’ai pas fait pas de moto sur un circuit, juste du karting et du motocross. J’ai besoin de faire des tours. On ne touche rien sur les motos, même pas un clic de suspension. Sur un circuit comme Alès, avec une
R1, les sensations sont proches de celles qu’on peut avoir en MotoGP. Pour moi, ce travail a débuté en 2019, je sentais qu’il fallait que je fasse évoluer ma façon de freiner pour mieux exploiter les qualités de la Yamaha. Rouler avec la R1 me permet de travailler ma position sur la moto et cela porte ses fruits. » D’ici quelques jours, la récolte devrait pouvoir commencer sur le circuit de Losail.