REPORTAGE Guy Coulon, acte III
2001-2020 : 3E PARTIE De son arrivée en MotoGP à son ultime victoire avec Miguel Oliveira, Guy Coulon a traversé deux décennies juché au plus haut niveau de la compétition.
L’épopée du MotoGP
On avait laissé Guy en train de savourer le titre 250 d’Olivier Jacque en 2000, avant qu’il ne monte en catégorie reine à la charnière de la 500 et du MotoGP : « Il a même failli être le dernier pilote à remporter un Grand Prix avec une 500, s’il ne s’était pas fait couper en deux au dernier moment. » Pour autant, le Français n’a jamais d’étincelles avec la Yamaha M1 première mouture. « De toute façon, son objectif était d’être champion du monde 250. C’était encore une époque différente. Aujourd’hui, aucun pilote ne se projette dans une carrière en Moto2 ou Moto3, contrairement à des pilotes comme Cardus ou Pons qui, dans les années 90, ont fait l’intégralité de leur carrière en quart de litres. L’objectif à présent est de briller dans ces deux catégories pour accéder au MotoGP. »
En 2004, OJ part se mettre au vert, il est alors remplacé par Marco Melandri. « Un animal pas facile à dompter. Mais il a fait ses premiers podiums avec nous alors qu’il arrivait de l’usine. Doué et rapide, son seul défaut était une absence totale de remise en question : s’il y avait un souci, c’était forcément de la faute de l’équipe, de la moto ou des pneus. Ce n’était jamais de sa responsabilité, un travers que l’on retrouve souvent avec les pilotes. » À la fin de la saison, l’Italien quitte le team français. Il est remplacé – soutien du cigarettier espagnol oblige – par Ruben Xaus qui laissera surtout comme souvenir le fait d’avoir cassé 14 tableaux de bord et plus encore de motos. « Il est même tombé en suivant une voiture pendant un tournage » , se marre encore Guy.
ZARCO BRILLE, C’EST LA FERVEUR AUTOUR DE TECH3
Le sponsoring tabac s’arrête : « On enchaîne avec la période Dunlop. » Le monomarque n’est pas encore de mise et le manufacturier anglais, qui règne en maître en 125 et en 250, rêve d’exploits en catégorie reine. Il s’offre Tech3 pour deux saisons. « La première année avec Carlos Checa, la seconde avec Tamada. Avec les Anglais de Birmingham, ça a été un peu compliqué au début. Mais ils avaient, comme toujours avec Dunlop, un excellent pneu avant. D’ailleurs, Checa ne tombe qu’une seule fois de la saison, et encore en slick sur le mouillé en Australie. L’arrière était plus compliqué, ne serait- ce que parce qu’avec deux pilotes, nous étions incapables d’essayer tout ce qu’ils étaient en mesure de nous apporter ! »
Checa, grâce à sa bonne saison, s’est ensuite retrouvé sur la Honda du team LCR qui était déjà une moto aboutie : « Un bon pilote, mais surtout un vrai gentleman. Ce n’est pas facile quand tu as sans cesse des produits différents à tester. Parfois, ça se passe bien. Parfois, non. Mais il ne nous a jamais rien mis dans la gueule. La classe » , se souvient Guy qui regrette juste de ne pas avoir pu garder le pilote catalan une saison de
plus. « Dans la durée, cela aurait pu être intéressant. » Après une année avec Tamada, l’aventure Dunlop se termine. Toseland prend le relais. « Il attaque la saison par quelques bonnes performances, mais à la fin, il décide que je ne travaille pas assez bien pour lui. » Il demande à bosser avec Gary Rinders pour la saison suivante. Ce sera un échec. Du coup, Guy récupère
Colin Edwards. « Colin, c’est un peu une assurance- vie. Tu sais que tu ne vas pas être champion du monde mais chaque année, tu fais des premières lignes et tu récupères des podiums. On fait cinquième du championnat, ce qui est tout à fait remarquable lorsque tu vois qui il y a devant et qui il y a derrière. »
En 2012, débarque Dovizioso, fraîchement remercié du HRC après avoir terminé la saison précédente en quatrième position.
« Avec une moto qui devait bien être deux ou trois crans en dessous des Yamaha dont disposait l’usine, on termine quatrième ! »
Une performance qui vaut à Dovi d’être propulsé pilote d’usine chez Ducati, en lieu et place de Rossi. Une nouvelle aventure commence ensuite pour Guy avec l’arrivée de Bradley Smith : « Ça se passe super bien. En 2015, il rentre 181 points, soit 1 de plus que la première année de Johann ( Zarco) chez nous et Bradley termine sixième du championnat. Tous les points à prendre, il les prend. Un excellent rendement, avec le soutien de Randy Mamola durant les deux premières années. » En 2017, Smith
est remplacé par Zarco : « Nous n’avions pas eu de pilote français depuis OJ... et c’est d’autant plus intéressant que Johann fait tout de suite des étincelles. Ce qui met un peu le bazar dans le team officiel Yamaha où certains pilotes n’acceptent pas de se faire taxer. La pression est forte, notamment dans l’entourage de VR46. Surtout qu’à côté, se trouve Folger, un garçon fantasque, avec des problèmes de santé, mais qui est incroyablement rapide. » Les résultats de Johann sont remarquables : « Ce sont ses débuts, il s’adapte très vite à la moto et au fonctionnement des Michelin. Il a juste parfois du mal à contenir son impatience, ce que l’on a pu constater en 2019 chez KTM. Il sait qu’il peut arriver à un certain niveau mais il veut tout, tout de suite. Or, parfois, il faut savoir être patient. »
L’engouement créé par les performances de Johann déclenche un véritable intérêt des médias et une formidable ferveur du public autour de Tech3 : « C’est plutôt agréable à vivre et ça crée une émulation certaine.
D’UNE YAMAHA RODÉE À
UNE KTM LOURDE À PILOTER
Je pense d’ailleurs que Jacque n’aurait jamais obtenu son titre en 250 s’il n’avait eu Nakano pour le stimuler. Si tu n’as pas la capacité de gérer la pression engendrée par le surcroît de présence des médias, ou par ton voisin de box, tu n’as pas non plus celle pour gagner un championnat. De la même façon, l’excuse parfois évoquée du jeune âge d’un pilote, ou la présence
d’un hypothétique “gourou” sur le bord de la piste qui verrait des choses incroyables, tout ça, ce sont des artifices qui masquent un problème, qui ressurgira un jour ou l’autre dans la carrière du pilote en question. »
Durant ces deux années, Guy pense à la
victoire : « Forcément, lorsque ton pilote est en tête dans le dernier tour, tu ne peux qu’y croire. Impossible de dire ce qui se serait passé si nous avions disposé d’une moto d’usine à ce moment- là. Cela aurait pu nous emmener sur la plus haute marche du podium. D’autant que nous avions de bonnes motos qui n’étaient pas réglées par Yamaha. Ce n’est d’ailleurs pas une bonne chose pour une usine que de ne pas donner les mêmes pièces au team Factory et au team satellite, parce que si ce dernier se met à performer, les pilotes d’usine vont demander à revenir aux anciennes spécifications, et là, ça devient vite le bazar ! » C’est à ce moment- là que l’aventure Yamaha s’arrête. « Ils avaient certainement quelqu’un à placer rapidement et qui payait plus » , répond évasivement Guy. L’époque KTM peut démarrer avec un nouveau pilote, Miguel Oliveira, et un
« JE VAIS AVOIR 66 ANS. IL Y A UN MOMENT OÙ IL FAUT LAISSER DES JEUNES AUX MANETTES »
redoublant, Hafizh Syahrin. Mais c’est surtout la moto qui rend les premiers temps difficiles à aborder. Après une Yamaha parfaitement construite, rodée, connue, la KTM se révèle compliquée à travailler, lourde à piloter. « Il y a beaucoup de choses à essayer, on passe énormément de temps à démonter/ remonter. » De leur côté, les Autrichiens travaillent d’arrache- pied. À partir de Spielberg, à la mi- saison, Tech3 reçoit des évolutions significatives : « On fait huit. À Silverstone, la course suivante, on est dans le Top 10 sur le sec. Puis il y a une chute : Johann percute Miguel. Ce dernier est blessé à l’épaule. La saison est terminée. »
« FINALEMENT, ON EST DES VEINARDS ! »
Avant même l’orage lié au Covid- 19, la saison 2020 s’annonce pleine de chamboulements. « Dès les premiers essais, on voit que le nouveau cadre apporte beaucoup de choses, à commencer par un confort de travail qui nous permet de modifier des réglages non plus de séance en séance, mais de run en run. Et d’une moto très lourde, nous sommes arrivés à une machine très légère puisqu’en dessous de la limite de poids. On ne finit plus le travail au milieu de la nuit, et sauf chute, nous ne sommes pas en retard pour l’apéro ! » Et puis il y a le long gel du premier confinement. « À Jerez, on commence par de difficiles conditions météo avec des températures très élevées. La première course est satisfaisante, avec un bon plan d’ensemble des KTM. À la deuxième course, on est encore mieux. Nous sommes 2e sur la grille. D’ailleurs, à chaque fois qu’il y a deux courses consécutives sur le même circuit, nous sommes mieux à la deuxième qu’à la première. Preuve que la moto est jeune et qu’elle a encore besoin de roulages. » Ce qui est plus ou moins prévu dans le plan de marche imaginé au moment de la signature avec KTM : « On s’était bien dit qu’il nous faudrait être patients et que l’on ne gagnerait pas les premières années. Il y en a qui sont là depuis longtemps et qui n’ont jamais gagné. Et puis on progresse, on s’approche et là, tu te dis que c’est possible. » Nous sommes alors au Grand Prix de Syrte, sur le circuit de Spielberg. Miguel Oliveira offre à Guy sa première victoire en catégorie reine. Une victoire construite avec patience et hardiesse, dans un dernier virage aussi sec que piégeux, où il passe Miller et Espargaro avec maestria pour franchir la ligne d’arrivée avec 3/ 10e d’avance sur la Ducati de l’Australien. Miguel, un gars attachant, brillant et discret. À croire que Guy les attire : « C’est surtout
qu’en MotoGP, il y a un certain nombre de personnages intéressants : Olivier Jacque, Shinya Nakano, Barros, Abe, Checa, Ellison, Colin, Toseland, Spies, Cal, Dovi, Smith, Johann avec qui on a fait les gros titres et Miguel avec sa KTM. Finalement, on est des veinards ! »
« PHYSIQUEMENT, ÇA N’EST PAS SI FACILE »
« Je vais avoir 66 ans. J’ai un tas de “merdiers” à finir de remonter, pas mal à entretenir. J’ai aussi quelques motos avec lesquelles j’aimerais avoir le temps de rouler. Et puis, il y a un moment où il faut laisser des jeunes aux manettes. Parce qu’ils sont mieux formés à utiliser les outils modernes, qu’ils sont plus costauds et plus aptes à travailler.
Il faut ajouter que physiquement, ce n’est pas si facile que ça. Partiellement, ou une partie de l’hiver pour faire la transition. Tout dépend aussi de la façon dont va se dérouler la saison prochaine : y aura- t- il des hospitalities? La nôtre a été arrêtée toute l’année : quelle équipe aura- t- on pour s’en occuper ? Aura- t- on des gens capables de la monter ? Il y aura du schooling à faire ! »