UN MONDE D’ÉCART
C’est sur ses terres mancelles, à quelques centaines de mètres du SERT, que nous avons pu essayer la championne du monde 2020, revêtue de ses nouvelles couleurs, et chaussée de ses nouveaux pneus. Une championne sans concessions.
Jamais facile de prendre les commandes d’une telle moto. Pourquoi ? Pourquoi s’en faire toute une montagne ? Eh bien justement, parce que c’en est une, et qu’on a vite fait de manquer d’oxygène quand on s’installe derrière son guidon pour espérer, bien naïvement, la gravir. Ou plus exactement, quand on se plie derrière ses demi- guidons, relativement serrés, et placés assez bas. D’emblée, la position se montre contraignante, le triangle guidon/ reposepieds/ selle plutôt étriqué. La selle, ou ce qui sert de selle, reste ferme. La GSX- R 1000 RR du SERT annonce la couleur. Rouge pour les fesses, pareil pour le visage, à moins que ce dernier ne vire parfois au blanc... Oubliez les souvenirs d’une GSX- R 1000 R de série polyvalente, hypersportive peut- être, très performante forcément, mais apte à enquiller des kilomètres sans vous martyriser le squelette, pas plus que ce qui vous sert de muscles, là, entortillé tout autour. Ah si ! La bulle ! La bulle de la n° 1 protège mieux que l’élément de série, et propose donc plus de confort. Vaste leurre... Ce n’est pas du confort qui est visé par cet appendice, juste de la performance, permettant au pilote de s’effacer derrière elle sans que rien ne dépasse, pas même une once de prétention. On n’y aura pas cru longtemps à ce semblant de petit confort... Quant au reste, vous pouvez réviser votre Kamasutra, travailler vos positions de yogas, bref, rechercher tout ce qui vous procurera l’élasticité indispensable pour envisager de parler à la belle. Et encore, pas d’égal à égal.
Juste avoir le droit de lui marmonner deux, trois trucs à l’oreille. Parce que dans le cas contraire, c’est elle, et elle seule, qui vous racontera l’histoire. Et si vous n’y êtes pas accoutumé, vous allez la trouver rude, l’histoire. Cette moto est une moto d’usine, une championne, façonnée pour recevoir des champions qui l’élisent, avec eux, reine du monde. Un cercle vertueux, à condition de pouvoir l’intégrer. Gregg Black, l’un des artisans de la victoire de cette campagne 2019/ 2020 en fait évidemment partie. Plutôt généreux, à moins que ce ne soit du vice, il nous a tendu le guidon pour un rapide galop d’essai. Enfin un galop, pas tant que ça, disons plutôt un trot un poil soutenu, la belle étant en rodage. Le boss Damien Saulnier nous a donc demandé de ne pas dépasser 8 000 tr/ min, sur les 15 000 tr/ min potentiellement prenables par cette GSX- R 1000 RR. L’occasion de vérifier ce que l’on savait déjà, et que nous a confirmé Gregg, en bleue comme en rouge et noir, la belle ne se livre pas facilement : « Quand tu montes sur notre moto de course, tu imagines que ça va être facile. Mais c’est une erreur, c’est la moto d’origine qui est facile, la machine de course est très rigide, il faut réussir à lui rentrer dedans pour passer le cap. Sinon, il ne se passe rien, et elle se montre même désagréable. » C’est exact. Figée sur ses suspensions, c’est une sorte de bloc qui roule, un bloc qui ne remonte aucune information. Mais elle n’a pas été développée pour rouler cette moto, elle a été imaginée pour s’éjecter en permanence du bitume. Pour chercher à le décoller. Son truc, c’est la quête du temps, pas de gérer les états d’âme des amoureux brutalement éconduits...
REPOUSSER LES LIMITES
« La Suzuki reste une moto exigeante, un peu brutale. Physiquement, il faut être prêt à accepter le défi qu’elle impose. Je roule assez souvent avec une moto d’origine, notamment quand j’encadre des stages de pilotage, et ça n’a rien à voir. Une Yamaha R1 de course est par exemple plus facile à utiliser d’emblée, même quand tu es loin des chronos, après, la difficulté sera d’être capable de se rapprocher des chronos. Mais la prise en main est plus évidente. Avec la Suzuki, si tu n’es pas dans la zone, ce n’est même pas la peine. En revanche, quand tu y arrives, et quand tu y entres presque naturellement, là, elle te propose de jolies choses » , poursuit Gregg Black. On n’y sera jamais rentré, les 8 000 tr/ min à respecter nous offrant une excuse royale... La suite, c’est le pilote franco- britannique du SERT qui nous la raconte : « L’avantage de la Suzuki depuis toujours, et je me rappelle qu’en 2009 quand je roulais sur des GSX- R c’était déjà le cas, c’est le châssis et plus particulièrement le train avant. On arrive à avoir une moto très stable au frein, on peut rentrer très fort en virage en s’appuyant sur l’avant. En plus, c’est une moto qui tourne très facilement. Avec cette nouvelle génération de GSX- R, nous avons une machine très compacte, surtout celle du SERT qui embarque son réservoir d’essence sous la selle. On a un réservoir d’endurance, dans sa partie supérieure, visible, qui est plus petit qu’un modèle d’origine. Cette répartition des masses favorise le pilotage sur l’avant. Quand tu es dans la zone, dans le spectre d’utilisation où elle fonctionne, tu as une grande marge d’exploitation et tu peux l’emmener très loin. Tellement loin que l’on a beaucoup de mal à sentir les limites. Tu te sens de plus en plus confiant sur le
train avant, elle te pousse à aller encore plus loin, jusqu’au moment où, parfois, tu le perds... C’est un sentiment que tous les pilotes de cette moto partagent. »
Un pilotage qui favorise donc les entrées de virage, une explication conceptuelle qui ne s’explique pas par des freins, au demeurant très performants, mais similaires à ceux que la concurrence propose, ni par les suspensions également utilisées par la majorité de ses rivales. Une force que cet avant qui serait préjudiciable pour le reste ? « C’est vrai que le train avant est tellement bon que l’on force trop dessus, et ce pilotage nous amène souvent à sacrifier le milieu et la sortie du virage. En même temps, on a essayé de ralentir nos entrées de virage pour soigner milieu et sortie, et on était moins efficaces. Le petit point faible, c’est un léger manque de traction : nous ne sommes pas encore parvenus à trouver la solution pour améliorer cette motricité sur l’angle. Pourtant, notre moteur est très utilisable, très coupleux, et contrairement à l’ancienne, cette nouvelle génération a gagné de la force à haut régime. On prend plus de 15 000 tr/ min. Elle est revenue dans la bagarre avec ses rivales au niveau moteur, et en puissance, on est bien. C’est juste sur l’angle maxi que ça pèche un peu. Pour aller vite avec elle, la bonne méthode aujourd’hui reste de rentrer fort en virage, de gérer du mieux possible la phase intermédiaire, et de profiter de la grosse accélération qui accompagne le mouvement au moment où on relève la moto » , précise l’officiel Suzuki avant de poursuivre : « Avec l’appui des Japonais, notre nouvelle collaboration avec Yoshimura, je pense que nous allons pouvoir résoudre ce problème, et pourquoi pas le transformer en point fort ? »
DE DUNLOP À BRIDGESTONE
Autre changement majeur pour la GSX- R 1000 RR n° 1, le passage de Dunlop à Bridgestone, là aussi une marque japonaise : « Avec Dunlop, la stratégie n’était pas la même, au SERT on utilisait des pneus que l’on pouvait acheter dans le commerce, de très bons pneus, mais qui ne peuvent pas apporter autant que ceux qu’un manufacturier réserve à ses seules équipes officielles. Et puis il ne faut pas oublier que la GSX- R 1000 RR, lors de sa conception, a été développée avec des Bridgestone, ça reste un avantage. On a réussi à performer avec des Dunlop, on a été champion du monde, c’est donc la preuve que ça fonctionnait. Mais avec Bridgestone qui a participé à la construction de cette moto, qui va nous fournir des pneus officiels, on montera forcément d’un cran en performance » , avance Gregg Black, avant de conclure : « Ça fait 2 ans et demi que l’on roule avec cette moto, les Japonais ont pu mesurer ses points forts et ceux à améliorer, et on sait qu’ils ont travaillé fort cet hiver pour faire progresser notre moto. J’ai hâte d’essayer les modifications apportées. »
Ces premiers tests auront eu lieu au moment où vous lirez ces lignes, quand au premier résultat de l’équipe, il faudra attendre le dimanche 18 avril 15 heures, moment où s’abattra sur l’équipage victorieux le drapeau à damier des 24 Heures du Mans, première épreuve de la saison 2021 d’EWC ( championnat du monde d’endurance).