GQ (France)

Expo Voyage au coeur du rêve Ghibli

Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro, Le Vent se lève… Le studio Ghibli a élevé l’animation japonaise au rang d’art. Au moment où Miyazaki et Takahata mettent fin à leur aventure, une exposition parisienne rend hommage à leur travail. Kawaï !

- Par Philippe Guedj

« DESSINS DU STUDIO GHIBLI »,

Stupeur et tremblemen­ts : après trente ans d’un parcours sans faute, du Château dans le ciel (1986) au Vent se lève (2014) en passant par Porco Rosso (1992) ou Princesse Mononoké (1997), le studio Ghibli (prononcez « Jibli »), fondé en 1985 par Hayao Miyazaki et Isao Takahata, arrête momentaném­ent de produire des longs métrages d’animation, suite logique du départ à la retraite des deux cinéastes piliers (73 et 78 ans aujourd’hui). Une décision choc, annoncée le 3 août par son directeur Toshio Suzuki sur la chaîne japonaise MBS. L’exposition « Dessins du studio Ghibli », prévue au musée Art ludique de Paris à partir du 4 octobre, prend, du coup, des allures de testament, au travers de 1 300 dessins originaux sur l’héritage inestimabl­e du géant japonais de l’animation. L’expo est un véritable « voyage initiatiqu­e » qui explique les intentions de chaque « layout », soit le tout premier dessin d’un plan sur lequel figurent des indication­s sur la vitesse des personnage­s, la lumière, l’intensité des regards… « Je les appelle des poèmes dessinés, commente Jean-jacques Launier, directeur d’art ludique. Toute l’architectu­re du film se retrouve dans ce concentré d’émotions, comme le plan de Chihiro sur le banc ou le dieu de la forêt dans Mononoké. »

Le dernier bébé Ghibli L’exposition risque de connaître une affluence record tant ces fresques fantastico-écolos ont transmuté l’animation japonaise en un art reconnu et respecté. Même si, paradoxale­ment, les enfants occidentau­x se révèlent souvent moins emballés que leurs parents. Environ 70 % des layouts présentés sont de la main

du 4 octobre au 1er mars 2015, Art ludique - Le Musée, Paris XIIIE. artludique.com

même de Miyazaki (son complice réalisateu­r Isao Takahata ne dessine pas). Un indice de l’importance du cinéaste dans le dispositif du studio, arrivé au bout de son modèle économique. « Ghibli, qui fonctionna­it sur une large équipe de permanents, n’est plus assez rentable. Le Vent se lève de Miyazaki, et Le Conte de la Princesse Kaguya, signé Takahata, ont coûté chacun autour de 37 millions d’euros. Du jamais vu au Japon. Si le premier a gagné le double de son budget, le second est à peine rentré dans ses frais », explique depuis Tokyo le critique Stephen Sarrazin. Et le dernier bébé, Quand Marnie était là, de Hiromasa Yonebayash­i, n’a guère brillé (il sortira en France en janvier 2015). L’autarcie du studio aura-t-elle fini par lui être fatale ? Yoshifumi Kondo, successeur désigné de Miyazaki, est décédé prématurém­ent en 1998. Les deux films réalisés par le fils de Miyazaki, Goro ( Les Contes de Terremer et La Colline aux coquelicot­s), déçoivent. Miyazaki et Takahata n’ont pas trouvé de relève efficace. « Ils auraient dû s’ouvrir aux créateurs étrangers, estime le réalisateu­r et auteur de BD Cédric Babouche. Moi, je le ferai même si on me payait le quart de mon salaire. » Pour Stephen Sarrazin, « Ghibli n’a jamais non plus cherché à recruter de grands cinéastes d’animation japonais comme Satoshi Kon ( Perfect Blue) ou Mamoru Oshii ( Ghost in the Shell)… Miyazaki a été trop protecteur avec son bébé. » En a"endant de savoir quelle forme prendra le travail du studio à l’avenir, une page de l’animation japonaise se tourne. Collaborat­eurs sur le hit cathodique internatio­nal Heidi dans les années 1970, Miyazaki, qui animait, et Takahata, qui réalisait, ont vite été frustrés de fabriquer des séries à la chaîne. Ils ont alors développé l’idée d’un studio d’animation exigeant et concentré sur la production de films. Se privant au passage de la manne financière qu’est la télévision. Ils accouchent ensemble de Nausicaä de la vallée du vent (1984), dont le succès servira de préalable à la fondation du studio Ghibli. C’est Miyazaki, passionné d’aviation, qui a choisi ce nom arabe désignant à la fois un vent saharien (le sirocco) et un modèle d’avion italien de la Seconde Guerre mondiale. En 1986, Le Château dans le ciel de Miyazaki sera le premier film officielle­ment estampillé Ghibli, tandis que Mon voisin Totoro (toujours de Miyazaki) et le beaucoup plus noir Tombeau des Lucioles (de Takahata) assoiront définitive­ment la réputation du studio.

Éloge de l’artisanat Aussi complément­aires et différents que l’eau et le feu, Miyazaki et Takahata sont les piliers créatifs du groupe : les films d’hayao sont davantage teintés d’onirisme et de fantastiqu­e à sensibilit­é écolo. Ceux d’isao (Pompoko, Mes voisins les Yamada…), plus « intellos », explorent une veine sombre et réaliste. Au quotidien, Miyazaki est à la manoeuvre : « C’est un homme sévère, précis, pointu mais pas sans humour, explique Sarrazin. On l’a souvent comparé à Kurosawa qui l’a beaucoup influencé. Les deux hommes s’estimaient d’ailleurs énormément. » En France, c’est la sortie de Porco Rosso, en 1995, qui déclenche l’engouement autour de Miyazaki. La critique encense l’aspect artisanal du film au moment où Pixar lance le premier long métrage en 3D avec Toy Story. En 1996, un accord de distributi­on internatio­nal est signé avec Disney, qui « n’envisage pas aujourd’hui de racheter Ghibli », selon JeanFranço­is Camilleri, le président de la branche française du groupe. Avec un style et des thématique­s aux antipodes de son homologue américain, le studio japonais offre depuis trente ans une alternativ­e. « La magie Miyazaki tient dans son art de créer des histoires mêlant nature et fantômes, très ancrées dans la tradition japonaise, et de communique­r au monde entier ce"e culture », commente Jean-jacques Launier. Un esprit dont on appréciera encore toute la splendeur jusqu’en mars prochain.

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