GQ (France)

Jacques Séguéla : « Que François Hollande arrête de parler » /

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Avec Frédéric Taddéï, le publicitai­re parle politique, communicat­ion, poids des mots et choc des images.

Parmi tous les slogans qui ont fait votre fortune, je pensais que vous resteriez comme le père de « la force tranquille ». Et patatras ! Vous êtes devenu l’immortel auteur de « Si on n’a pas de Rolex à 50 ans, c’est qu’on a raté sa vie ».

JS : C’est un slogan donc j’en suis très fier. Au fond, c’est une connerie de papy. Comme celle d’un gosse de 7 ans, tu lui pardonnes, même s’il mérite une petite calo!e. Le jour où je vais disparaîtr­e, il y aura sur ma tombe une pendule!e Rolex avec en épitaphe : « De là où je suis, je ne peux plus rien vous offrir sauf l’heure. » Signé Rolex.

Vous avez trouvé LA phrase qu’il ne fallait pas dire. C’est tout un art !

JS : D’autant plus que je l’ai dite pour défendre Nicolas Sarkozy, et au final, ça l’a enterré ! Pourquoi ça a marché ? Parce que c’est un slogan. Après il y a eu deux jugements. D’un côté, les gens de ma caste ne m’ont plus adressé la parole. Les politiques se sont dits : « Ce mec qui donne des leçons de communicat­ion à longueur de médias ne sait même pas maîtriser sa parole ! » De l’autre côté, les gens de la rue m’apostropha­ient : « Je l’aurai ma Rolex ! » Un mec de banlieue s’en était même tatoué une et m’a dit : « Un jour, je me!rai la vraie par-dessus ! »

Ça en dit long sur notre époque !

JS : Un slogan, c’est une création artistique, une poésie de la rue. « La force tranquille », c’était du poil à gra!er, un slogan de droite pour un homme de gauche. La publicité politique n’est pas faite pour convaincre les siens, mais les 10 à 20 % d’hésitants qui peuvent faire la différence. En fait, c’était une affiche pétainiste. La phrase de Rolex, c’est une phrase témoin d’une époque qui a un double complexe avec l’argent : un complexe d’infériorit­é si on n’en a pas et un complexe de supériorit­é si on en a. Soit le contraire de la civilisati­on anglosaxon­ne ! Je suis latin, je n’envie rien aux autres sauf ce détachemen­t qu’ils ont par rapport à l’argent. Pour eux, c’est un moyen, jamais une fin. Mais c’est facile de parler d’argent quand on en a, donc j’arrête… La vieillesse commence quand les regrets l’emportent sur les rêves. Alors, pas de regrets ! Ça fait partie de moi.

Le regret que vous pourriez avoir, c’est que ce slogan, vous auriez pu le vendre très cher. Or, il ne vous a pas rapporté un rond !

JS : Rolex aurait pu m’envoyer une montre ! D’ailleurs, chaque fois que je rentre chez un bijoutier, les mecs m’embrassent : « Vous ne pouvez pas savoir le nombre de Rolex qu’on a vendues grâce à vous, je vous fais un prix. » Rolex est une boîte très austère

et de grande qualité. Pour eux, ma remarque était un crime de lèse-marque.

Amnesty Internatio­nal a même fait une campagne en montrant les visages tuméfiés de personnali­tés. Chacune disait un truc qu’elles ne pourraient dire que sous la torture. Et devinez ce que proclamait le Dalaï-lama. « Si on n’a pas de Rolex à 50 ans, c’est qu’on a raté sa vie »…

JS : C’est bien fait pour moi. On ne peut pas en vouloir à la vie quand elle te remet à ta place. J’ai tellement dépassé la ligne blanche avec outrance, connerie, mauvais goût, bref, avec tous les défauts de la pub, que me faire taper sur les doigts à l’approche de mes 80 balais, ça remet bien les pendules à l’heure. Bien sûr, ce n’est pas l’argent que tu gagnes qui compte…

C’est pourtant ce que vous avez déclaré ce jour-là devant la France entière !

JS : Je réfléchis toujours après avoir agi ! C’est plus fort que moi, ça sort. Surtout en interview. Maintenant, je n’en ai plus rien à foutre, je laisse sortir. Mais à l’époque, j’essayais de me maîtriser un peu… Il n’empêche, en France, l’ambition fout le camp et il faut la relancer. Pas celle de l’argent qui n’a aucun intérêt mais l’ambition de sortir du lot et de se dépasser. Franchemen­t, c’est plus important d’avoir des mecs de banlieue qui font des choses intéressan­tes que de savoir si le président est un raté. Aujourd’hui, les gens me croient milliardai­re, ce que par bonheur je ne suis pas. En revanche, j’ai connu des fauchés qui le sont devenus : Afflelou, le créateur de Décathlon, celui de Carte Noire… Sont-ils plus heureux que moi ? Il y a pire que de ne pas avoir d’argent : en avoir trop !

… et ne pas en être satisfait.

JS : Mais justement, tu ne peux pas ! Bien gagner sa vie pour me!re ses enfants à l’abri intellectu­ellement en les faisant voyager, en leur faisant faire des études, c’est suffisant. Mais pas à l’abri financière­ment, sinon c’est pire que tout, ils deviennent des fils à papa… Qu’est-ce qui compte vraiment dans la vie ? Les ailes du désir !

Vous en avez accumulé, ces derniers temps, des phrases comme celle-ci. Il y en a une autre qui a eu beaucoup de succès, c’est : « Internet est la plus grande saloperie que les hommes ont inventée. »

JS : Mais je persiste et signe ! On a coupé ma phrase, en vérité, j’ai dit : « Le Net est la plus belle idée depuis l’invention de la communicat­ion, mais c’est la plus belle des saloperies. » Et c’est vrai ! La vie privée, c’est la dernière chose qui nous reste dans un monde robotisé où tout le monde est fiché. Ce qu’on dit sur Facebook doit être effaçable au bout de quarante-huit heures. J’ai dit ça pour que les internaute­s eux-mêmes éditent une charte des droits

« J’isolais le “plus produit ” et je le transforma­is en un slogan à marteler. J’étais un petit

Goebbels. » 1970 C’est l’année durant laquelle Jacques Séguéla fonde sa première agence, Roux Séguéla,

qui deviendra en 1976 RSCG.

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