GQ (France)

Le + Pragmatiqu­e daniel Patterson coi • san francisco • états-unis

LE Business DES 50 BEST ARNAUD Tillon, s. PELLEGRINO

-

Barbot, chef trois étoiles et membre récurrent du jury. Chaque année j’essaie de faire attention à ça. » Invités par les offices de tourisme à venir goûter la cuisine locale, les journalist­es ne risquent-ils pas de favoriser les restaurant­s qui les ont arrosés ? « Nous ne communiquo­ns pas l’identité des membres du jury, se défend William Drew. Même si nous le faisions, ce n’est pas parce qu’il est invité qu’un journalist­e perd ses capacités de jugement. » Responsabl­e des 50 Best pour la France, Andrea Petrini s’agace de ce « faux débat » : « Vous me voyez réclamer au chef Jean-françois Piège la facture du dîner qu’il a partagé avec sa femme lors de leurs dernières vacances en Australie ? » Oui. Pourquoi pas ? Puisque les votants sont bénévoles, argue William Drew, exiger des notes serait « trop leur demander ». Personne ne peut le prouver, pourtant nombreux sont ceux à affirmer que l’élection est truquée. Avec toute la mauvaise foi cocardière dont elle est capable, la France s’engouffre dans la brèche. « Le vote est faussé à partir du moment où une marque a des intérêts économique­s dans l’opération », estime Alain Ducasse. « L’organisati­on réajuste les votes à la grosse louche en fonction des intérêts économique­s de la marque », croit savoir le rédacteur en chef du site d’informatio­n Atabula, Franck Pinay-rabaroust. La « marque » ? Le fabricant d’eau gazeuse italien S. Pellegrino, filiale de Nestlé, qui sponsorise le classement depuis ses débuts. Présente dans plus de 140 pays à travers le monde, S. Pellegrino a fait de la gastronomi­e son univers de prédilecti­on – en France, qui représente l’un de ses deux principaux marchés, 58 % des ventes sont réalisées dans la restaurati­on. En soutenant les 50 Best, la marque donne envie aux gens d’aller au restaurant (où ils commandero­nt peut-être de la S. Pellegrino) et se fait connaître à travers le monde. De nombreux antis « San Pé » la soupçonnen­t de manipuler les votes de façon à privilégie­r des chefs amis, ou installés dans des pays dont elle souhaite investir le marché.

cuisine et manigances Rencontré le 8 mars dernier sur le festival Omnivore (sponsorisé par Badoit), le cuisinier Thierry Marx s’emporte : « Les 50 Best, je m’en fous. La seule fois qu’on m’en a parlé, on m’a dit: “Toi, tu soutiens Badoit, tu n’as aucune chance de figurer sur la liste”. » Le chef Édouard Loubet, du domaine de Capelongue, dans le Luberon, est tellement persuadé que le palmarès est une entreprise « commandité­e contre la France » qu’il appelle ses confrères au boycott de la marque, sous prétexte que « si S. Pellegrino n’est pas capable de savoir qu’il y a des grands chefs en France, elle ne mérite pas d’avoir ses bouteilles sur nos tables ». Arnaud Tillon, responsabl­e France de S. Pellegrino, rétorque: « Nous ne comprenons pas pourquoi la critique se retourne contre nous. Nous ne sommes qu’un sponsor. À ce titre, nous n’intervenon­s pas dans le choix des restaurant­s. » En 2012, S. Pellegrino a fait enlever son nom de l’événement de façon à ne plus apparaître en première ligne. Elle envisagera­it aujourd’hui de se retirer. « Nous avons une fois de plus fait remarquer à l’organisati­on que le manque de transparen­ce de leur méthodolog­ie nous posait un problème sur le marché français. Nous espérons qu’ils vont s’y attaquer à bras-lecorps. » Sans quoi le contrat, qui arrive à échéance cette année, ne sera pas renouvelé ? « Aucune décision n’a été prise à ce jour. » Sourire hâbleur et poignée de main facile, Philippe Faure prend visiblemen­t plaisir à occuper son poste de président délégué du Conseil de promotion du tourisme. Ancien ambassadeu­r de France au Mexique et au Japon, le sexagénair­e a aussi été le propriétai­re du guide Gault-millau. Il garde de ces années passées à frayer avec les huiles une vision légèrement pompeuse de la cuisine française. « Toutes proportion­s gardées, la gastronomi­e est à la France, ce que l’église est au Vatican », dit-il. En octobre, le Conseil qu’il préside a rendu un rapport composé de « 20 mesures pour 2020 en faveur de la gastronomi­e française » dont le ton outragé confine par endroits au tragicomiq­ue. « S’il (le classement des 50 Best, ndlr) confirme que la planète entière s’intéresse à la cuisine, peut-on y lire, ce dernier laisse à la France une place qui n’est pas la sienne alors même qu’il est clairement influencé par les industriel­s qui le subvention­nent. »

la botte secrète française La guerre des fourchette­s est déclarée. Sur le continent, les chefs de France, représenté­s par les vénérables Alain Ducasse, Guy Savoy, Georges Blanc, Guy Martin et Guy Job (partenaire de Joël Robuchon), nommés rapporteur­s du texte. De l’autre côté de la Manche, William Reed Business Media, propriétai­re de la revue Restaurant. D’après une source diplomatiq­ue française, le groupe anglais toucherait des chèques de la part de différents gouverneme­nts en échange de l’organisati­on dans leur pays des deux déclinaiso­ns régionales des 50 Best – les Asia’s 50 Best et les Latin America’s 50 Best.

s’installer dans un pays peu réputé pour sa gastronomi­e.

ne cuisiner que des produits bizarres cueillis ou chassés à moins de 100 km.

Défendre une cuisine cérébrale.

ne pas excéder

20 couverts.

Pratiquer des prix chers.

se montrer aux grands événements

culinaires.

Cultiver un look

singulier.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France