EN VACANCES, PEUT-ON NOUER SA CHEMISE À LA TAILLE ?
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Seuls les play-boys du siècle passé en sont encore capables, surtout dans les films qui retracent leurs rocambolesques aventures sur la Côte d’azur. Prenons, par exemple, David Niven sous la direction d’otto Preminger, dans Bonjour Tristesse (1958). Le charme qu’il exerce alors sur Jean Seberg est tout à fait indiscutable. Malheureusement, il est probable qu’au plus fort de l’été, il n’en soit pas de même pour vous. Gardez donc votre chemise – en tissu léger, bien sûr – sagement placée sur vos épaules, et au pire ouvrez-la légèrement sur votre torse, qu’il soit velu ou glabre, bronzé ou pâlichon.
Si le ridicule nous effraie peu, pousser des hurlements lors de rotations infernales n’a que très peu d’attrait sur notre belle personne. Si l’occasion venait tout de même à se présenter, masquez vos réticences sous peine de passer pour un mauvais snob, prenez les devants et payez votre tournée. Ainsi vous aurez la main sur l’attraction qui vous paralyse le moins. Jambes tendues, les coudes posés sur le bureau d’un collègue, vous examinez un dossier urgent dont le bon traitement reste à prouver et dont le retard commence à se faire sentir. Dans cette posture vous offrez gratuitement votre postérieur à tous vos collègues. Il nous semble que vous avez mieux en stock à leur proposer. Profitant d’un saut à Lyon, nous avons posé la question à notre cousin Enguerrand, parti profiter des joies que lui offre la montagne toute proche. Il fréquente le milieu des opticiens et a lui-même étudié cette discipline. Nous retranscrivons ici même sa réponse : « Inventé par Ray-ban pour l’armée de l’air américaine, le double-pont n’a que très peu d’intérêt esthétique. D’un point de vue technique, c’est tout aussi discutable, car on ne note aujourd’hui que très peu de casse sur cette partie pourtant centrale. Pour répondre à ta question Gonzague, car là je dois partir skier, il faut bien admettre qu’avec des lunettes à double-pont les cils sont mieux alignés. Ça donne un regard plus masculin, c’est tout. Bisou. » Bisou Enguerrand. Qu’on se comprenne bien. Votre tiroir à chaussettes n’est pas plus une cabine de téléportation que votre lave-linge ou dessous de lit. À l’évidence, ce sont vos housses de couettes et taies d’oreillers qui profitent des cycles de lavage pour se nourrir de vos chaussettes. Ce qui nous semble plus triste dans cette histoire, c’est que vous n’ayez jamais pensé à vérifier le bien-fondé de cette légende. En moyenne, nos amis provinciaux mettent dix-sept minutes à rejoindre leur lieu de travail (source Insee). Les Franciliens ont besoin du double. Ils ont donc chaque jour deux fois plus de temps pour se sécher la tête à l’air libre dans les transports. Amour-propre et contrainte professionnelle obligent, chaque camp doit parvenir au seuil de son entreprise le cheveu sec. Mais plus on laisse le cheveu en paix, plus il pousse, et plus il mettra de temps pour sécher. Vient alors le jour où la direction, postée derrière le portique de l’entrée, démasque celui qui, à force de repousser son rendezvous chez le coiffeur, arrive la tête encore mouillée. Les régionaux seraient donc obligés de se rendre deux fois plus souvent en salon que leurs compatriotes du bassin parisien.
« Même si je mets un costume, je n’serai jamais embauché / J’vais faire du mal pour faire des thunes, jusqu’à que je sois embaumé. »
À l’évidence, votre costume acquis pour l’occasion est mat, d’un gris moyen ou d’un bleu profond, deux boutons, coupe ajustée. Les plis de la chemise blanche ou bleu ciel sont impérativement repassés. La cravate est marine, unie ou à fines rayures blanches, vertes, jaunes ou rouges. La noeud est simple, duquel jaillit une goutte. En futur homme de pouvoir, vous vous munirez d’une paire de richelieus noires à bouts droits. Elles se reconnaissent à la couture caractéristique, perpendiculaire au soulier, qui réunit le bout de l’empeigne au-dessus de la ligne qui marque la naissance des doigts de pieds. Que la win soit avec vous en ce jour crucial. Gardez-les pour l’avantacte : ils précipitent l’événement. Durant l’acte, tâchez de rester sobre. Vous pourrez toujours vous rattraper ensuite par une pirouette et un trait d’esprit si par malheur votre performance n’avait pas été applaudie. En adoptant le jean brut comme pantalon passe-partout du nouveau standard, nous n’avons fait que rendre le délavé, l’usé, le déchiré encore plus désirable. Chaque été, sa cote grimpe un peu plus. Dans toutes les boutiques désormais, il n’est plus l’apanage de Johnny Depp ou de Pharrell Williams, et se rend accessible à la masse anonyme. Porter un jean fatigué, c’est aujourd’hui vouloir formuler fièrement une déclaration d’indépendance. À la silhouette autoritaire de l’inspecteur ensaché dans son imperméable s’est substituée une figure hier encore contestataire. Avec son costume ajusté et sa parka militaire, l’employé modèle se rend désormais au travail vêtu comme jadis la jeune classe populaire anglaise.