FILS DE PILOTES GÉNÉRATION PISTON ?
C’est la tendance 2015 dans le sport automobile. Des 24 Heures du Mans aux paddocks de la F1, le nombre de pilotes « fils de » engagés n’a jamais été aussi élevé. Alors gros piston ou vrais talents ?
24 HEURES DU MANS, les 13 et 14 juin. 24h-lemans.com
Sur la grille de départ des 24 Heures du Mans, cette année, au volant de sa nouvelle Rebellion R-one n° 12, un certain Nicolas Prost participera pour la huitième fois à la classique mancelle. Le fils du quadruple champion du monde de Formule 1, Alain Prost, va batailler aux côtés des hybrides Audi, Porsche ou Toyota d’usine au volant d’une voiture dont il espère beaucoup. Lors des deux précédentes éditions, il est déjà parvenu, avec ses coéquipiers, à de très bons résultats. À 33 ans, ce garçon souriant et discret accomplit ainsi une belle carrière dans le sport auto. Mais aurait-il pu y arriver sans l’aide de son père ? « Je ne pense vraiment pas que le fait d’avoir un nom connu soit la garantie du succès, même si bien sûr mon père était là pour m’aider dans mes choix », admet-il en toute honnêteté à GQ. Si la question se pose, c’est que les fils de pilote sont de plus en plus nombreux à embrasser la carrière paternelle. La preuve : Nicolas Prost anime le championnat du monde d’endurance (dont les 24 Heures du Mans constituent l’épreuve phare), et ferraille en Formula E (le nouveau championnat de monoplaces électriques) avec Nelson Piquet Junior. De son côté, Nico Rosberg, fils du célèbre Keke, est l’un des meilleurs pilotes du championnat du monde de F1 2015. Ce dernier traîne dans son sillage Carlos Sainz Junior, fils du double champion du monde des rallyes, mais aussi Max Verstappen, plus jeune pilote de toute l’histoire de la discipline (17 ans, et donc pas encore l’âge du permis de conduire), descendant de Jos, vaillant pilote de F1 des années 1990 et 2000. Faut-il pour autant en déduire que cette avalanche de « fils de » n’est que piston ?
Les nerfs de la guerre
Selon Nicolas Todt (manager de Felipe Massa et fils de Jean Todt), c’est d’abord une question de budget: « Une saison de karting, passage obligé pour débuter, coûte jusqu’à 100 000 €, puis le tarif croît de manière exponentielle selon les formules, F4, F3, Formula Renault, GP2, jusqu’à 5 millions d’euros par an. Évidemment, il faut remporter des victoires pour accéder un jour à la F1. » Nicolas Prost approuve : « Je pense que la plupart des fils de pilotes sont aussi là grâce à leur talent. Si, pratiquement, tous ont essayé de suivre leur père, seul un faible pourcentage y parvient réellement. Selon moi, Rosberg ou Verstappen méritent tout à fait leur place. » Aussi, à l’image de la fille Poilâne qui a repris la boulangerie paternelle ou de Wolfgang Amadeus Mozart poussé par son musicien de père, certains pilotes n’ont pas eu besoin de rendez-vous avec le conseiller d’orientation. « Je ne me suis jamais posé la question de savoir si je voulais faire ça, a indiqué Max Verstappen. J’ai grandi dans ce milieu et j’ai commencé ma carrière professionnelle à 10 ans. Mon père m’a préparé très tôt et n’a rien laissé au hasard. » Pour Nico Rosberg et Nelson Piquet Junior,
« À 27 ans, pour les équipes de F1, j’étais déjà vieux. » Nicolas Prost
le schéma est similaire. Quand le moment de trouver une écurie en kart ou en F3 fut venu, leurs pères les ont créées ou fait créer. Puis, lorsque leurs fils ont été prêts pour la F1, Keke Rosberg et Nelson Piquet Senior (tous deux champions du monde de F1) ont appelé chacun de leur côté leur ancien boss, Sir Frank Williams, pour organiser des tests. Un privilège rare. Et c’est finalement Claire, la fille de Frank Williams (décidément !), qui organisa cette journée, sur le circuit de Jerez, en Espagne. Et ce jour-là, une ambiance particulière y régnait. Jean-louis Moncet, expert de la Formule 1 pour le magazine Auto Plus et commentateur pour Canal +, se souvient très bien des deux papas poules essayant d’intimider l’adversaire de leur fils : « Lorsque Nelson Jr a pris la piste, Keke Rosberg est tout de suite monté sur le toit des stands, pour lui montrer qu’il était en train de l’observer, et lui mettre la pression. Pendant ce temps, Nelson Piquet père était resté à l’intérieur du box, à deux mètres de Nico Rosberg, et le regardait avec insistance pour l’impressionner. » Une bonne ambiance qui en dit long sur l’entregent nécessaire pour arriver au sommet, et qui indique que la bataille se joue aussi bien sur qu’en dehors de la piste.
Retards à l’allumage
Carlos Sainz Junior a eu beau détenir la couronne de champion du monde Formula Renault 2.0 en 2011, puis celle de champion du monde 2014 en Formula Renault 3.5, il ne doit son baquet en F1 chez Toro Rosso qu’à l’obstination de son père, qui rêvait lui-même de monoplace et de F1 mais n’y était pas parvenu, faute de moyens. Le double champion du monde des rallyes (1990 et 1992) a donc tout mis en oeuvre pour la carrière de son fils, y compris en harcelant Red Bull, son sponsor au Dakar et propriétaire de l’écurie Toro Rosso. À l’inverse, Max, le fils d’ari Vatanen, champion du monde des rallyes 1981 et quadruple vainqueur du Paris-dakar, peine à trouver des budgets pour courir. « Même si je dois encore faire mes preuves, j’ai tout de même remporté des courses et je ne pensais pas,
La course se joue aussi bien sur piste que dans les paddocks où les papas poules intimident les adversaires de leur fils.
que ce serait si difficile de faire du rallye en s’appelant Vatanen. Aujourd’hui, je me donne trois ou quatre ans pour arriver dans une équipe d’usine. » Nicolas Prost reconnaît quant à lui que son patronyme n’a pas toujours été facile à porter : « D’une part, les observateurs attendaient de moi des résultats immédiats, d’autre part, certains sponsors étaient frileux à l’idée d’engager quelqu’un dont le nom aurait pu avoir un retentissement plus fort que celui de leur propre marque. » Le fils du « Professeur » a d’ailleurs un parcours assez particulier en sport automobile, car il y est arrivé bien plus tard que beaucoup d’autres fils de pilotes. Nicolas Prost passe sa jeunesse loin des circuits (exception faite de ce jour de 1990, lorsqu’alain l’emmène assister à des essais chez Ferrari et où il se brûle la main sur un radiateur de F1) et n’a pas le droit de regarder les courses auxquelles participe son père, au cas où un accident surviendrait... Il est donc prié de se concentrer sur ses études d’économie, qu’il réussit plutôt bien, à l’université de Columbia (États-Unis). En parallèle, il montre des dispositions pour le sport, notamment pour le golf, où il atteint un niveau professionnel. Peu à peu, il s’intéresse à la course automobile, et la récompense pour l’obtention de son diplôme universitaire sera... un test en Formule Renault, finalement le premier coup de main d’alain à son fils dans sa carrière de pilote. « Mes études m’ont un peu décalé par rapport aux autres. J’ai commencé la course auto à 23 ans. Quand j’ai été champion de F3000, j’avais 27 ans. Pour les équipes de F1, j’étais déjà vieux. » Mais mieux vaut être trop « vieux » que trop nul comme le pauvre Mathias Lauda, tellement lent que son père Niki (triple champion du monde de F1) lui avait même asséné un « You damaged my name » (« Tu as sali mon nom! ») à la fin d’une énième course ratée. Mathias Lauda, qui n’avait plus pris le départ d’une course importante depuis 2012, va retenter sa chance cette année en endurance dans la catégorie amateurs.
Quant à ceux qui n’ont pas pu accéder au graal de la F1, ils se sont souvent rattrapés en travaillant dans son univers, à l’image de Margot Laffite, fille de Jacques, qui commente la course sur Canal +, ou encore Gilles, le fils de Didier Pironi (mort en 1987) devenu ingénieur chez Mercedes Grand Prix. « J’aurais aimé devenir pilote, indique-t-il à GQ. Mais ma mère s’y opposait. Aujourd’hui, je travaille comme ingénieur chez Mercedes F1. Mon nom m’a aidé, mais seulement pour trouver des stages. Lorsque j’ai été engagé, personne ne savait que mon père avait été pilote. J’ai toujours été discret. » Faute d’avoir pu prendre le volant, le fils Pironi démonte les moteurs, ou plutôt... les pistons.
« Je ne pensais pas que ce serait si difficile de faire du rallye en s’appelant Vatanen. » Max Vatanen