GQ (France)

GASPAR NOÉ « LE PORNO, C’EST COMME LE WESTERN »

Sensation du dernier Festival de Cannes, Love, le nouveau film de Gaspar Noé joue avec les codes du genre. Interview non simulée.

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Le réalisateu­r Gaspar Noé ( Irréversib­le, Enter The Void…) concrétise un rêve ancien avec Love : tourner une histoire d’amour sans occulter lapassion sexuelle, c’est-à-dire en filmant des scènes explicites. Présenté en séance de minuit à Cannes dans une ambiance fiévreuse, le film est-il une nouvelle étape dans la normalisat­ion du X ou unacte de résistance contre les codes d’une industrie largement renouvelée par le web? GQ a posé la question ausulfureu­x réalisateu­r argentin installé à Paris.

Love,

Quels sont les films érotiques ou pornograph­iques qui vous ont marqué ? Dernièreme­nt, La Vie d’adèle. Parce que le sexe y a une vraie fonction narrative. Et je pourrais aussi évoquer Showgirls (1995). Elizabeth Berkley me met en transe. Mais le X ne m’a‡ire pas plus que ça. Ce qui me plaît, ce sont les filles. Le désir n’est pas tant lié à l’acte sexuel qu’aux actrices, à leur plastique, à leur présence. Elles m’ont donné envie de devenir adulte, je crois.

En filmant du sexe explicite, vouliez-vous jouer avec les codes du X ? L’envie de départ était de filmer une histoire d’amour sans cacher ou voiler le sexe, sans détourner le regard. Des vidéos de sexe explicite, il y en a une montagne, mais des films qui joignent la sexualité à l’amour, il n’y en quasiment pas, alors que c’est pourtant ce qui anime le plus les gens dans la vie. La pornograph­ie des années 1960 m’excite beaucoup plus. Il y avait un côté documentai­re. Désormais, le porno ressemble plus à du sport.

Aujourd’hui, il n’y a plus d’histoire du tout… À une époque, ça existait. Quand le X était consommé dans les salles, et peut-être encore regardé en casse‡es vidéos. Depuis que ça passe sur Internet, il est décomposé en séquences de trois minutes. Quand les gens ont terminé leur petite affaire, ils coupent. Du coup, je ne consomme pas de porno sur Internet. D’ailleurs, pour Love, j’ai pensé à prendre des acteurs du X, à condition qu’ils ressemblen­t à des gens normaux. Mais les filles sont rasées, tatouées et les mecs bodybuildé­s.

Dans Love, vous filmez les corps en entier. Il n’y a pas de plans anatomique­s comme dans les pornos… Le porno est un genre cinématogr­aphique codifié, comme le western. À ce titre, Love n’est vraiment pas un porno. Il y a des cas de films un peu hybrides, de films d’auteur qui montrent ponctuelle­ment l’acte sexuel, mais ils ont généraleme­nt un côté « a‡ention, on a bravé la censure ! » assez artificiel et le plus souvent, ils montrent juste des pipes. Le film traditionn­el qui est allé le plus loin dans une représenta­tion brute du sexe, c’est Nymphomani­ac de Lars von Trier.

Love a quand même été vendu comme un porno d’auteur avec des affiches très suggestive­s… Et ça marché, car les gens ont toujours un problème avec la représenta­tion d’un sexe en érection. À Cannes, tout le monde s’a‡endait à un truc orgiaque, alors que Love est assez mélancoliq­ue. Il va vraisembla­blement être interdit aux moins de 16 ans, mais une interdicti­on aux moins de 12 ans aurait suffi quand on voit ce que les jeunes matent.

La 3D est-elle l’avenir du porno ? Mon producteur Vincent Maraval avait lancé comme une boutade « le prochain film de Gaspar sera en 3D ». J’ai lâché l’idée jusqu’à ce que je découvre qu’il y a des aides du CNC pour les nouvelles technologi­es. Le premier jour de tournage, j’ai fait éjaculer le comédien sur la caméra. C’est un gag mais je savais que ce serait le plan le plus commenté. Mon père m’a demandé : « C’est pas la tienne, si ? »

Il n’y presque jamais eu de films qui joignent la sexualité à l’amour, alors que c’est ce qui anime le plus

les gens dans la vie. »

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