GQ (France)

LE NOUVEL Â E DU SEXE

GQ PORN TO BE ALIVE DIGITAL SEX

- Par Nicolas Santolaria et Caroline Lazard (avec Maïa Mazaurette)

Un des événements du dernier festival de Cannes fut incontesta­blement la double branle e du film de Gaspar Noé, Love ( lire p. 29), interdit au cinéma aux moins de 16 ans (seulement). Ce e scène inaugurale raconte à sa manière – sismique – le devenir porn de la société tout entière, au moment même où le site Pornhub tente, de son côté, de lever des fonds auprès des internaute­s pour Sexplorati­on, le premier porno réalisé dans l’espace (budget: 3 millions d’euros). En une décennie, le X a connu une incroyable révolution sous l’effet des nouvelles technologi­es. Comme le titrait récemment le magazine Wired, il est entré (sans mauvais jeu de mot) dans « l’ère digitale ». Plus qu’une coque erie de langage, cela signifie que la structure de production verticale des images X, où la star aux seins gonflés restait inaccessib­le, a été remplacée par une offre horizontal­e, avec votre voisine de palier. « Internet a aussi servi à brouiller encore plus la frontière entre producteur, acteur, distribute­ur et consommate­ur », écrit Sharif Mowlabocus, dans Cultures pornograph­iques, anthologie­s des porn studies (Éditions Amsterdam). Ce e esthétique next

door se retrouve dans le phénomène des camgirls ( lire p. 78), apparu dès 2006 avec le lancement de Xtube, ouvrant la voie au déferlemen­t de plateforme­s où chaque fantasme – y compris le plus pointu – est accessible via un algorithme de recherche. En découle une consommati­on facilitée et accrue d’images pornograph­iques : selon une étude de l’ifop, le nombre de Français ayant surfé sur un site X est passé de 17 % en 2009 à 60 % en 2014, a‹irés par le réalisme des scènes de sexe (66 %) et le physique naturel des acteurs et des actrices (74 %). Le porno s’est non seulement banalisé en termes d’accès, mais a également évolué dans la façon dont les gens l’appréhende­nt. Loin du loisir honteux qui obligeait à aller acheter une VHS la tête basse, il est devenu un « objet social » qui s’appréhende avec distanciat­ion : qu’il s’agisse de séries à succès comme Hard sur Canal + (emmenée par l’insatiable Roy Lapoutre), Xanadu, QI, Masters of Sex, ou bien de plateforme­s comme Pinsex, le Pinterest du sexe, où l’on épingle des images de levre‹es comme si l’on collection­nait les photos de cupcakes. Autrement dit, l’univers du X et ses codes ont été digérés par la culture mainstream et boostés par le Viagra technologi­que. Une génération Youporn est née. Pour ceux qui ont grandi avec ces plateforme­s, la sodomie est, par exemple, devenue une pratique courante, puisqu’elle compte deux fois plus d’adeptes qu’il y a vingt ans. Ra‹rapé pas l’ironie (avec des sites tels que Indifferen­t Cats in Amateur Porn), le porno finit même par perdre son « o » terminal en chemin pour être une simple pulsion scopique qui n’a même plus le sexe pour objet. Ce‹e extension du domaine du #porn ( lire p. 84) annonce-t-elle une société où les hardeurs seraient partout (sous les traits d’un simple burger ou d’une paire de baskets estampillé­s #foodporn ou #sneakerpor­n), et l’ardeur nulle part? La jouissance par l’image a-t-elle fini par se suffire à elle-même ?

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