LE NOUVEL Â E DU SEXE
GQ PORN TO BE ALIVE DIGITAL SEX
Un des événements du dernier festival de Cannes fut incontestablement la double branle e du film de Gaspar Noé, Love ( lire p. 29), interdit au cinéma aux moins de 16 ans (seulement). Ce e scène inaugurale raconte à sa manière – sismique – le devenir porn de la société tout entière, au moment même où le site Pornhub tente, de son côté, de lever des fonds auprès des internautes pour Sexploration, le premier porno réalisé dans l’espace (budget: 3 millions d’euros). En une décennie, le X a connu une incroyable révolution sous l’effet des nouvelles technologies. Comme le titrait récemment le magazine Wired, il est entré (sans mauvais jeu de mot) dans « l’ère digitale ». Plus qu’une coque erie de langage, cela signifie que la structure de production verticale des images X, où la star aux seins gonflés restait inaccessible, a été remplacée par une offre horizontale, avec votre voisine de palier. « Internet a aussi servi à brouiller encore plus la frontière entre producteur, acteur, distributeur et consommateur », écrit Sharif Mowlabocus, dans Cultures pornographiques, anthologies des porn studies (Éditions Amsterdam). Ce e esthétique next
door se retrouve dans le phénomène des camgirls ( lire p. 78), apparu dès 2006 avec le lancement de Xtube, ouvrant la voie au déferlement de plateformes où chaque fantasme – y compris le plus pointu – est accessible via un algorithme de recherche. En découle une consommation facilitée et accrue d’images pornographiques : selon une étude de l’ifop, le nombre de Français ayant surfé sur un site X est passé de 17 % en 2009 à 60 % en 2014, airés par le réalisme des scènes de sexe (66 %) et le physique naturel des acteurs et des actrices (74 %). Le porno s’est non seulement banalisé en termes d’accès, mais a également évolué dans la façon dont les gens l’appréhendent. Loin du loisir honteux qui obligeait à aller acheter une VHS la tête basse, il est devenu un « objet social » qui s’appréhende avec distanciation : qu’il s’agisse de séries à succès comme Hard sur Canal + (emmenée par l’insatiable Roy Lapoutre), Xanadu, QI, Masters of Sex, ou bien de plateformes comme Pinsex, le Pinterest du sexe, où l’on épingle des images de levrees comme si l’on collectionnait les photos de cupcakes. Autrement dit, l’univers du X et ses codes ont été digérés par la culture mainstream et boostés par le Viagra technologique. Une génération Youporn est née. Pour ceux qui ont grandi avec ces plateformes, la sodomie est, par exemple, devenue une pratique courante, puisqu’elle compte deux fois plus d’adeptes qu’il y a vingt ans. Rarapé pas l’ironie (avec des sites tels que Indifferent Cats in Amateur Porn), le porno finit même par perdre son « o » terminal en chemin pour être une simple pulsion scopique qui n’a même plus le sexe pour objet. Cee extension du domaine du #porn ( lire p. 84) annonce-t-elle une société où les hardeurs seraient partout (sous les traits d’un simple burger ou d’une paire de baskets estampillés #foodporn ou #sneakerporn), et l’ardeur nulle part? La jouissance par l’image a-t-elle fini par se suffire à elle-même ?