OÙ VONT SE NICHER LES FANTASMES ?
« Teen », « Milf », « mature »... Dans les moteurs de recherche, qui segmentent en mots-clés l’offre de la pornographie en ligne, bizarrement, la « trentenaire de base » n’apparaît pas. Notre sexperte vous explique pourquoi. Illustration : Noma Bar
Sans vouloir vous traiter de gloutons, les hommes sont réputés aimer toutes les femmes. Bien sûr, ce pansexualisme relève du mythe. C’est encore plus vrai depuis l’arrivée sur Internet de la « niche » et des mots-clés appliqués au désir. La pornstar des années 1980 représentait toutes les femmes : aujourd’hui, elle est remplacée par une quantité industrielle de hardeuses, dont aucune n’aeint de statut iconique, et qui incarnent un seul fantasme. Les gros seins. La spécialiste de la fellation. L’asiatique. Il faut choisir son camp. En 2015, sur la liste des mots-clés les plus courants des sites pornographiques, la « trentenaire de base » n’apparaît nulle part. La « trentenaire de base » est trop vieille pour être une teen (n°1 des recherches), trop indépendante pour faire Milf (n°2), trop jeune Les désirs interdits, classés par mots-clés,
sont à un clic de souris. Pour les réaliser, passez dans
la pièce d’à-côté. pour les adeptes de mature (n°3). Quand on n’est ni noire, ni hardcore, ni cumshot, ni pourvue de gros seins, ni portée sur l’anal, on sort du champ des supports masturbatoires. Vexant ? Pas vraiment. L’invisibilité est un privilège : le gage que personne ne nous demande des relations sexuelles « pour voir comment ça fait ». Et puis, si les hommes utilisent la pornographie pour leurs désirs interdits, si le X permet de désirer ailleurs, alors le quotidien sert à désirer en chair et en os. Sous-représentée sur le marché de l’imaginaire, la « trentenaire de base » truste celui du réel. Son invisibilité en ligne marque les contours d’un territoire peut-être domestique, mais bien concret : elle est occupée à coucher avec vous, là, tout de suite!
Question cruelle. Quelle est la place la plus enviable : appartenir aux fantasmes ou à la réalité? La pornification constitue une tentation bien réelle: sur l’infini marché de la séduction, se donner une marque. Se définir à coups de hashtags. Et, tous les six mois, passer en soldes. Meez-moi des lunees, je serai la secrétaire lubrique. Donnez-moi une jupe à carreaux, je peux surjouer la teen. Si vos amantes-du-réel résistent à la tentation de la niche, ce n’est pas pour vous contrarier : seulement pour mieux vous désirer. Difficile d’être un sujet sexuel quand on est occupée à jouer un rôle. En plus, si elle se pornifiait, elle vous rendrait la pareille, et quel homme voudrait sincèrement se couler dans les codes du porno – jouissance sur commande, corps sans visage ? Admeons-le : si tout le monde devait se conformer à l’utopie pornographique, vous seriez les grands perdants. Aucune femme ne tape « pénis de taille normale » lors de ses explorations masturbatoires ! À trop vouloir devenir des fantasmes, nous finirions par reproduire la mascarade pixelisée : des femmesfontaines poussant des petits cris alors que vous leur caressez le nombril – des femmes pas crédibles, des hommes inexistants. Alors, OK : allez chercher vos petites perversions en ligne ! La « trentenaire de base » vous laisse l’infini des mots-clés. Mais à choisir entre le fantasme et le réel, elle préfère le réel. Elle préfère coucher avec vous. Si j’étais vous, je prendrais ça pour un compliment. Mais aention : elle prendra 80 % du matelas.
GQMAGAZINE.FR/SEXACTU Entre incarner un désir virtuel et jouir de la réalité, la « trentenaire de base » a choisi son camp : votre lit.