GQ (France)

MINORITÉ REPORT

Plus de films sur la communauté noire, plus de réalisateu­rs afro-américains… Dans le cinéma hollywoodi­en, il y aura un avant et un après Barack Obama. Par Caroline Veunac

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« Hollywood s’est mis à faire des films sur le fait d’être noir en Amérique. » C’est CNN qui l’a dit. En 2013, alors qu’obama repart pour quatre ans, la chaîne américaine officialis­e la tendance. La Couleur des sentiments, Le Majordome, Django Unchained, 12 Years a Slave, Selma, Lincoln, ou encore le remake de Racines, la série télé des années 1970 sur l’esclavage… Jusqu’au tout récent The Birth of a Nation, sorti début octobre outre-atlantique, les deux mandats d’obama auront été marqués par une recrudesce­nce de grandes fictions historique­s sur la ségrégatio­n raciale et la lutte pour les droits civiques.

Pour l’écrivain américain David Garrett Izzo, directeur de l’ouvrage collectif Movies in the age of Obama : The era of post-racial and neo-racist cinema, il n’y a aucun doute : « Obama est le principal déclencheu­r culturel de cette “nouvelle vague de films noirs”. » Jusqu’alors, les films à Oscars sur les AfroAméric­ains étaient majoritair­ement signés par des Blancs, Spielberg en tête (La Couleur Pourpre, Amistad). La grande nouveauté de l’ère Obama, c’est qu’ils sont, de plus en plus, réalisés par des cinéastes noirs. C’est ce que le spécialist­e du sujet Régis Dubois (auteur du Cinéma des Noirs américains, entre intégratio­n et contestati­on) appelle « l’effet Obama » : en incarnant le droit des Noirs au pouvoir institutio­nnel, le 44e président des États-unis a facilité l’accession d’une nouvelle génération de réalisateu­rs noirs au cinéma mainstream. D’abord en leur donnant confiance. « J’étais habitué à avoir deux visages, confie ainsi le réalisateu­r Lee Daniels. Un visage pour l’amérique noire, et un visage pour l’amérique blanche. Depuis qu’obama est devenu président, je n’en ai plus qu’un. » Du coup, il peut s’adresser à tout le monde : son Majordome a dépassé les 150 millions de dollars au box-office américain, tandis que sa série Empire, le Dynastie noir qu’il a créé pour la chaîne Fox, bat des records d’audience. C’est le deuxième effet Obama : non seulement les réalisateu­rs noirs sont de plus en plus nombreux, mais ils sont aussi plus bankable. Dans les années 1970, même les films les plus iconiques de la Blaxploita­tion, Shaft ou Superfly, restent communauta­ires. Dans les années 1990, le cinéma noir tutoie le grand public mais ne sort pas vraiment du ghetto. De Boyz N the Hood à Menace II Society, la vague de films contestata­ires impulsée par Spike Lee avec Do The Right Thing (1989) impacte la culture populaire sans casser le box-office. Sous Obama, les freins sont levés, et un film sur le rap eighties comme NWA : Straight Outta Compton (2015), réalisé par un Noir, peut planer à 200 millions de dollars de recettes.

Tout irait bien si l’amérique n’était pas schizo. Alors que les films axés sur la culture afro-américaine cartonnent, les polémiques font rage sur la persistanc­e du whitewashi­ng, cette pratique qui consiste à faire jouer des

personnage­s de couleur par des acteurs blancs, ou sur la sous-représenta­tion des réalisateu­rs et des acteurs afro-américains aux Oscars. Cette année, l’absence de nominés issus des minorités a même provoqué le boycott de la cérémonie par plusieurs stars, dont Jada Pinkett-smith, la femme de Will.

En 2016, deux ans après l’oscar du meilleur film pour 12 Years a Slave, le hashtag #Oscarssowh­ite met Twitter à vif. Le signe d’un cinéma à l’image de la société américaine : encore fracturé par la question raciale. Dans l’amérique post-ferguson, la tendance mémorielle pourrait presque paraître à côté de la plaque. La Couleur des sentiments et Le

Majordome vont chercher dans le passé une émotion réconcilia­trice, le récent Free State of

Jones sort des livres d’histoire une anecdote fédératric­e – une révolte d’esclaves menée par un Blanc (le sudiste Matthew Mcconaughe­y)… Trop naïf, le cinéma noir sous l’ère Obama ? On peut se poser la question quand on voit que le premier biopic du président sur le départ, First Date, est une rom-com politiquem­ent light sur le jour où Barack a invité Michelle à manger une glace au chocolat… Mais au fond, peu importe : en termes de résonance culturelle, l’intégratio­n des talents afro-américains dans le cinéma mainstream est une bonne nouvelle. Et puis le cinéma noir sous la présidence Obama ne se résume pas aux mélos. 12 Years a Slave et Les Huit Salo

pards sont animés d’une colère glaçante. On voit aussi l’émergence de réalisateu­rs noirs aux prises avec le monde contempora­in, de Justin Simien, qui redéfinit le black power dans Dear White People, à Ryan Coogler, qui dénonce la brutalité policière dans Fruitvale

Station (2014). Deux ans plus tard, le jeune auteur militant est passé de la marge à la gloire en réalisant Creed. En 1986, Rocky IV était le symbole du reaganisme. Trente ans plus tard, son sequel est mise en scène par un Noir avec un Noir dans le premier rôle. Indéniable­ment, Obama est passé par là.

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Un huis clos désespéré Les Huit salopards (2015) Noirs, blancs, latinos… Tout le monde prend cher dans ce jeu de massacre qui s’achève sur la vision d’une lettre de Lincoln couverte de sang. Tarantino n’est pas d’humeur optimiste.

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