GQ (France)

MAUDITE APHRODITE

Ne rêvez pas messieurs, vous ne serez jamais à la hauteur de la femme idéale (et c’est tant mieux).

- HA PP YEN DING par MAÏA MA Z AUR ET TE MAÏA MAZAURETTE fait actuelleme­nt escale à Brooklyn. Retrouvez son blog sur gqmagazine.fr/sexactu. Elle a publié un roman, La Coureuse (2012), et Belle toute crue (2016).

L’ humanité a inventé le paradis, le purgatoire et l’enfer : elle a aussi inventé la marâtre, votre amoureuse et la femme parfaite – créature éthérée à qui je planterais volontiers un coup de poignard dans le dos. Sur le papier, le concept est charmant. Qui ne voudrait pas d’une femme parfaite ? Partout, les hommes cherchent désespérém­ent. Mais sans vouloir vous alarmer, la femme parfaite est une girouette. Elle me fatigue. Elle vous fatiguerai­t aussi au bout de deux minutes. Si, si. Je vous jure. Imaginons la scène ensemble. Vous êtes à une soirée entre amis. La femme parfaite apparaît, vêtue d’une robe rouge sans bretelles et dotée de courbes antigravit­é. Vous êtes le seul homme disponible (les autres sont venus avec leur épouse ou leur gastroenté­rite). Vous avez mis votre chemise cintrée. Vos dents sont nickel. Aphrodite attrape une coupe de champagne, elle s’intéresse à vous. Alignement optimal des chakras.

ELLE EST PARFAITE, donc magnifique : vous êtes stupéfié, vous perdez vos mots, sentez votre estomac flageoler. Parfaite, donc pleine d’humour : elle enchaîne trois vannes imparables dont vous ne vous remettrez jamais. Parfaite, donc intelligen­te : elle vous écrase sous un raisonneme­nt clair, moralement impeccable. Parfaite, donc aventureus­e : elle a déjà fait huit fois le tour du monde, vous ne l’épaterez avec aucune anecdote. Parfaite, donc magnétique : vos amis, collègues et les commerçant­s du coin n’auront de cesse de vous l’arracher, d’ailleurs, ils divorcent déjà. Parfaite, donc dure à cuire : elle voit venir vos tentatives de manipulati­on à deux cents mètres et les écarte avec une humiliante courtoisie. Parfaite, donc spontanée : vous n’êtes pas assez bien pour elle. Elle vous le fait savoir. Car soyons raisonnabl­es : une femme parfaite aurait suffisamme­nt d’amour-propre pour exiger un homme parfait (sinon elle manquerait de lucidité et cesserait d’être parfaite). La perle rare ? C’est celle qui vous colle un râteau à tous les coups. Et même si la princesse, par une étrange lubie, décidait d’épouser un crapaud, vous ne vous sentiriez jamais à la hauteur. Aphrodite vous obligerait à devenir Apollon, donc à renoncer aux grasses matinées sous la couette (objectif Ironman), au saucisson de sanglier (pas éthique) et à votre job sympa (mais qui ne sauve aucun enfant de la famine en Afrique). Vivre avec un ange transforme­rait votre existence en supplice de Sisyphe, en obligation perpétuell­e de performanc­e.

PUISQUE L’ENFER EST PAVÉ de bons sentiments, partons des mauvais. Si je me rase les jambes le 34 du mois, je valide votre barbe de trois jours. Si je m’acharne sur des polars nuls, j’accepte votre série d’heroic fantasy sur Netflix. Si mes fellations sont hasardeuse­s, vous pouvez jouir trop tôt, trop tard, trop de travers. Alors rigolons de nos maladresse­s. Ensemble. Ni au paradis ni en enfer : ici et maintenant, dans un lit dont les draps grattent mais qui n’est pas imaginaire. Ma propositio­n n’est pas un renoncemen­t mais une grande embrassade : désirer une femme parfaite, c’est aimer les qualités sans les défauts. On appelle ça de la mesquineri­e. Pour notre bien collectif, pourrions-nous renoncer à la femme parfaite ? Nous avons survécu au dézingage du père Noël quand nous avions cinq ans, nous devrions surmonter la disparitio­n des princesses... et des princes charmants.

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