GQ (France)

Le jour où j’ai testé le stand-up ( et fait le bide de ma vie)

Télécroche­ts, scènes ouvertes… Se lancer dans une carrière de comique n’a jamais semblé aussi simple. Mais un passage de stand-up s’improvise-t-il aussi facilement qu’un karaoké ? Notre journalist­e-aventurier est allé le vérifier sur le terrain.

- Par Charles Audier avec Thibaud Michalet

J - 5 : LA SURPRISE

On m’annonce que j’ai obtenu mon ticket pour « Dimanche Marrant », un plateau d’humoristes qui investit deux dimanches soirs par mois la terrasse du Café Barbès, à Paris. Ce « comedy club », tenu par l’hilarant youtubeur Guilhem Malissen, est réputé pour sa programmat­ion assez freestyle. N’ayant jamais mis un pied sur une scène, je négocie un passage « soft » de 3 minutes (7 minutes pour les 6 autres têtes d’affiche), histoire de ne pas plomber toute la soirée en cas de gros raté.

J- 3 : L’EUPHORIE

Je retrouve mon coauteur, un confrère de GQ vaguement drôle mais qui n’a aucune expérience dans le domaine, pour notre première (et unique) séance d’écriture. On comprend vite que trois minutes, c’est très long, surtout quand on n’est incapable d’écrire la moindre réplique en deux heures. On finit par se mettre d’accord pour raconter une histoire farfelue, sorte de bio absurde inspirée de mon propre parcours, persuadés qu’avec quelques grimaces et deux trois bons mots, tout le monde se roulera par terre. On trinque à notre oeuvre, et on se voit déjà à Broadway.

J- 1 : LA DESCENTE

Je relis mes notes à tête reposée et réalise que ce n’est absolument pas marrant. J’envoie un texto inquiet à mon coauteur, qui me répond du tac-au-tac : « Mais non c’est tout à fait normal. Ne t’en fais pas, au pire, on ajoutera quelques vannes deux heures avant. À demain ! » Je m’endors en trouvant une cinquantai­ne de répliques géniales, que j’aurais bien sûr toutes oubliées en me réveillant.

JOUR J : 19 H 30 : LA CRÉDULITÉ

On se retrouve au bar, une heure avant mon passage (prévu après l’entracte). Malins, on préfère évidemment boire des coups avec notre fan-club venu pour l’occasion plutôt qu’« ajouter des vannes », comme prévu. Mon coauteur et agent d’un soir, qui se prend déjà pour Paul Lederman, me demande mon niveau de stress sur une échelle de 1 à 10, je réponds 3. En plus, j’ai adapté ma tenue à l’exercice : petite chemise en jean foncé sur chino beige, parfait pour éviter le coup des auréoles.

20 H 30 : LA PRISE DE CONSCIENCE

Le premier humoriste (Alex et sa guitare) prend le micro et je comprends à sa première blague qu’il est cent fois mieux préparé que moi. Je remercie le ciel

de ne pas être programmé après lui. Le problème, c’est que les trois qui suivront (Soun Démbélé, Roman Doduik et Hakim Jemili) seront encore plus balèzes. Mon niveau de stress grimpe de 3 à 8, je comprends enfin que j’ai affaire à des pros.

21 H 00 : LE FAUX DÉPART

Après un entracte où j’ai eu le temps de passer de l’excitation au désespoir, je suis appelé sur scène. Dans le feu de l’action, j’oublie ma première blague (une référence à Tinder qui, j’en suis sûr, était hyper drôle) et commence donc à dérouler mon histoire sans la moindre pointe d’humour… Ce qui est assez embêtant pour un sketch. Le premier rire arrive au moment où j’évoque ma ressemblan­ce physique avec Kev Adams. Je me dis que j’aurais dû ouvrir avec ça, et développer la vanne. Merde.

21 H 01 : LE HORS SUJET

Première minute éprouvante, mes potes ont ri, le reste de la salle pas du tout. Je comprends à ce moment précis qu’on a tout misé sur des private jokes de boulot, comme des références à des collègues, et que ce n’était pas la meilleure des stratégies. Desservi par un texte bancal de mon coauteur et imprésario, mais plutôt à l’aise au micro, je décide donc d’improviser pour intéresser le reste du public…

21 H 03 : LA RÉVÉLATION PUIS LE BIDE

J’arrache quelques rires grâce à des vannes sur lesquelles je n’aurais jamais parié, comme lorsque je lance sans trop y croire que j’ai « ken Roselyne Bachelot ». Mais juste après, je rate l’une de mes blagues les plus faciles à cause d’une simple bafouille : « Macaulay Culkin » devient dans ma bouche « Conan Maneulé » et la réplique suivante, référence à Maman

j’ai raté l’avion, perd subitement tout son sens. Ce sera le plus gros moment de gêne de la soirée. Pour moi comme pour tout le monde dans l’assistance.

21 H 04 : LE RUNNING-GAG… FOIREUX

J’arrive à la fin de mon sketch, et décide de surfer sur le succès de ma seule bonne vanne (sur Roselyne, donc) en improvisan­t une chute qui tournerait autour d’elle, car j’ai vu que les types d’avant faisaient souvent revenir leurs idées fortes. Mais j’oublie encore une fois de mentionner deux autres personnage­s clés de mon histoire et la fin arrive clairement comme un cheveu sur la soupe. Le public, partagé entre consternat­ion et soulagemen­t, m’applaudit poliment.

21 H 06 : LA TRISTESSE

En traversant la salle après avoir quitté la scène, je croise le regard de mes proches qui, pris au piège, se sentent obligés de me féliciter : « Non mais c’était drôle… » De loin, l’un des moments les plus glaçants d’une soirée qui pourtant n’en manquait pas.

L’avis du pro, Guilhem Malissen

« Il était tellement à l’aise qu’on a cru pendant un moment que son sketch serait drôle. Mais le texte reprenait trop de blagues “de bureau” que le public n’a pas saisies. Sur scène, l’écriture doit être simple, de façon à esquiver les private jokes, le bafouillag­e ou les interactio­ns maladroite­s, puis à s’amuser avec son corps et sa voix. Charles a réussi à éviter des écueils, mais nous a quand même perdus. On peut parler de bide, mais ça n’a pas été la cata non plus… »

 ??  ?? Notre kamikaze, Charles Audier a tenté d’endosser le costume de Jerry Seinfeld, mais le stand- up ne s’improvise pas tant que ça…
Notre kamikaze, Charles Audier a tenté d’endosser le costume de Jerry Seinfeld, mais le stand- up ne s’improvise pas tant que ça…

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