120 MINUTES AVEC…
Bref, Bloqués, Serge le mytho, À voix haute… Derrière ces quatre succès télé, un garçon de 35 ans à peine, que personne ne reconnaît, mais avec qui tout le monde veut travailler.
Harry Tordjman, producteur de Bref, Bloqués, À voix haute… que personne ne reconnaît, mais avec qui tout le monde veut travailler.
LE PROBLÈME AVEC les hommes de l’ombre, c’est qu’à la terrasse d’un café, on ne sait pas vers qui se diriger. Et Harry Tordjman, avec sa tête de jeune créatif parisien – crâne rasé, teddy ajusté et sneakers vintage –, ne nous facilite pas la tâche : « À l’époque de Bref, on me reconnaissait parce que j’étais l’inconnu qui se baladait avec Kyan Khojandi, le héros de la série. Mais maintenant que je sors sans lui, je passe totalement inaperçu » , s’amuse- t- il. À 35 ans, ce garçon très discret fait pourtant partie des producteurs les plus en vue de ces dernières années. Et forcément des plus pressés. Ce jour- là, il nous a bloqués 120 minutes, pas une de plus. D’un commun accord, on décide de zapper les années collège et d’évoquer directement ce qui a fait sa réputation : l’enchaînement de quatre cartons télé – Bref, Bloqués, Serge le mytho et À voix
haute –, en… quatre ans. « Notre succès, on ne le doit pas aux choses qu’on a faites, mais à celles qu’on a refusées » , analyse- til en commandant un thé vert. « On » , c’est My Box Productions, entreprise familiale qu’il a créée et qu’il dirige aux côtés d’anna, sa grande soeur et directrice artistique, et de Patricia, sa maman et directrice financière. Montée f in 2010 pendant une journée de RTT – « Je bossais comme juriste, jusqu’à ce que je comprenne qu’en fait, je voulais être producteur » –, cette boîte a explosé quelques mois plus tard avec le carton de Bref. La pastille a débarqué au Grand Journal et pulvérisé tous les records d’audience, de likes et de parodies. Les trois
copains sont devenus des petites stars et le téléphone du jeune producteur – 29 ans à l’époque –, ne s’est plus arrêté de sonner. Si la série ne lui a pas payé un loft avec vue sur la Seine ( mais une Audi A1, qui a depuis brûlé dans son parking), elle l’a en revanche propulsé parmi les keypeople du PAF.
Bloqués est son deuxième coup de maître. Dans ce programme lunaire, les Casseurs Flowters, Orelsan et Gringe, refaisaient le monde sur un canapé pourri. « Il y a tout ce que j’aime dans cette série : de l’humour, de l’absurde et de la poésie. Si l’on regarde bien, on retrouve ça dans tous mes projets » , assure- t- il. Surtout, Bloqués a révélé le personnage de Sergelemytho, incarné par Jonathan Cohen. Face à l’engouement que provoquaient ses apparitions, My Box lui a offert un spin- off ( série dérivée), en attendant le longmétrage dont rêve Cohen. « On va le faire ce film, mais chaque chose en son temps… »
IL FAUT DIRE QU’EN CE MOMENT, il vit à fond la belle épopée d’à voix haute, documentaire de son ami Stéphane de Freitas qui suit le concours Eloquentia visant à élire le meilleur orateur du 93. Une « aventure profondément humaine » qui aurait bien pu le laisser sur la paille, explique- t- il en retournant son iphone côté pile – bon signe – et en commandant – très bon signe – un deuxième thé vert. « Le sujet n’était a priori pas très sexy, le réalisateur quasi inconnu… Mais l’histoire était trop forte pour qu’on passe à côté. » Avec À voix haute, il a explosé les budgets, mais les retours ont été tellement bons que le documentaire s’est transformé en long- métrage. Le temps est presque écoulé, et la discussion glisse naturellement vers un territoire plus perso. Il dévoile – prudemment – quelques éléments de sa vie. On apprend qu’il vit dans le 10e arrondissement de Paris, qu’il songe à s’acheter la dernière Tesla et qu’il regarde très souvent Littlemisssunshine, son film référence. Il s’apprête à produire une série de 52 minutes, un drame historique qui se déroule à la Nouvelle- Orléans et sur lequel il travaille depuis trois ans. Mais aussi, donc, le biopic sur Serge le mytho, et enfin, le film de Bref : « Il devait arriver juste après la série, mais les gars étaient lessivés. » Avec tous ces projets « médiatiques » , les gens finiront certainement par le reconnaître. « Ça m’embêterait, parce que je me suis attaché au côté Daft Punk du délire… » . Il sourit, saisit son sac à dos de teenager et traverse la terrasse bondée pour rejoindre son taxi. C’est bon, personne ne s’est retourné.