GQ (France)

DÉCRYPTAGE

Et si la capsule de café reflétait notre désir toujours plus grand de vouloir tout maîtriser, tout le temps ?

- Par Nicolas Santolaria_ Illustrati­on Pierre l a Police

La capsule de café ou l’enivrant sentiment de tout maîtriser.

COMMERCIAL­ISÉE À PART I R de la f in des années 1990 en France, la capsule Nespresso a rencontré un énorme succès. Certes, elle permet d’obtenir à domicile un petit noir équivalent à celui que réalisent les percolateu­rs de bars, mais elle produit aussi dix fois plus d’emballage que le mode de conditionn­ement traditionn­el. Même John Sylvan, le concepteur de cet objet aux allures de Soyouz domestique, s’est laissé aller à « regretter l’impact environnem­ental » de son invention. Pour comprendre le succès de la dosette en dépit de ses inconvénie­nts, se pencher sur la toutepuiss­ance du pouvoir de séduction transnatio­nale de George Clooney serait un peu court. En réalité, l’attrait pour la capsule à expresso ne peut s’envisager sérieuseme­nt qu’aux travers des puissantes projection­s que nous effectuons sur nos objets du quotidien. Offrant une expérience pré- conditionn­ée, la dosette s’accompagne d’une promesse, celle d’un café réussi à chaque fois, comme s’il était soudain devenu possible de stabiliser les phénomènes existentie­ls. En plus d’annihiler toute forme d’imprévu, la dosette fait puissammen­t écho à une sorte d’idéal du Moi occidental, cette prétendue intériorit­é que le penseur Alan Watts nomme « the skin-encapsulat­ed ego ». Cet ego encapsulé trouve dans la dosette la métaphore parfaite pour réaffirmer sa permanence. Comme la peau marque la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, la gangue fine et étincelant­e renfermant le café protégerai­t alors, telle une armure, une subjectivi­té torréfiée stable, prévisible, contractue­lle. Reste à savoir, à ce stade, si ce Moi encapsulé est plutôt Voluto ou Cosi.

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