DÉCRYPTAGE
Et si la capsule de café reflétait notre désir toujours plus grand de vouloir tout maîtriser, tout le temps ?
La capsule de café ou l’enivrant sentiment de tout maîtriser.
COMMERCIALISÉE À PART I R de la f in des années 1990 en France, la capsule Nespresso a rencontré un énorme succès. Certes, elle permet d’obtenir à domicile un petit noir équivalent à celui que réalisent les percolateurs de bars, mais elle produit aussi dix fois plus d’emballage que le mode de conditionnement traditionnel. Même John Sylvan, le concepteur de cet objet aux allures de Soyouz domestique, s’est laissé aller à « regretter l’impact environnemental » de son invention. Pour comprendre le succès de la dosette en dépit de ses inconvénients, se pencher sur la toutepuissance du pouvoir de séduction transnationale de George Clooney serait un peu court. En réalité, l’attrait pour la capsule à expresso ne peut s’envisager sérieusement qu’aux travers des puissantes projections que nous effectuons sur nos objets du quotidien. Offrant une expérience pré- conditionnée, la dosette s’accompagne d’une promesse, celle d’un café réussi à chaque fois, comme s’il était soudain devenu possible de stabiliser les phénomènes existentiels. En plus d’annihiler toute forme d’imprévu, la dosette fait puissamment écho à une sorte d’idéal du Moi occidental, cette prétendue intériorité que le penseur Alan Watts nomme « the skin-encapsulated ego ». Cet ego encapsulé trouve dans la dosette la métaphore parfaite pour réaffirmer sa permanence. Comme la peau marque la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, la gangue fine et étincelante renfermant le café protégerait alors, telle une armure, une subjectivité torréfiée stable, prévisible, contractuelle. Reste à savoir, à ce stade, si ce Moi encapsulé est plutôt Voluto ou Cosi.