Sommes-nous tous des Harry Potter domestiques ?
Grâce aux enceintes connectées, qui répondent à toutes nos envies, le monde se transforme peu à peu en un grand tour de magie illusoire...
IL EST IMPOSSIBLE DE faire la différence entre une technologie avancée et la magie » , écrivait l’auteur d’anticipation Arthur C. Clarke. L’arrivée dans nos salons des enceintes connectées Google Home, Echo ou encore HomePod nous invite à embrasser l’imaginaire de la sorcellerie technologique dans ce qu’il recèle de plus complexe et de plus trivial. Derrière le lointain fantasme de l’homme augmenté, la promesse associée à ce type d’objet tient en réalité en une phrase simple : réaliser des actions sans les mains ( lancer un morceau de Marvin Gaye, trouver la recette des ravioles aux épinards...) par le seul usage de la voix. L’idée qu’une phrase adressée à cette tour de contrôle domestique puisse soudain faire arriver une pizza sur la table du salon nous conduit alors à basculer dans une ambiance étrange, proche de celle que l’on trouve dans les contes enfantins où les balais se mettent à fonctionner d’eux- mêmes et les cafetières à chanter. Escamotant au passage tous les détails du processus technique rendant cette prouesse possible, ces f ormules performatives sont censés faire de nous des Harry Potter domestiques, enivrés par le sentiment illusoire de soumettre enfin le monde à nos désirs. Mais comme toute magie, celle- ci a un revers et agit en réalité par dépossession. Si nous sommes aujourd’hui poussés à dialoguer naturellement avec l’environnement technologique, c’est que la réalité de son fonctionnement concret nous est de plus en plus inaccessible. Au quotidien, nous avons affaire à des « boîtes noires » qui, à gr and renfort de blagues et de f ormules empathiques, surjouent la comédie de la proximité affective. En disant « bonjour » et « merci » à un composé de circuits imprimés, nous participons, sans y prêter at tention, à l ’ émergence d’un nouvel animisme numérique.