GQ (France)

AVICII Vie et mort d’un DJ adulé et déprimé.

Trop vite, trop tôt, trop fort... voilà comment on pourrait décrire le succès du DJ suédois à l’origine des tubes « Le7els » et « Wake me Up ». Avicii s’est suicidé à 28 ans, après des années de cadence infernale et de lutte contre l’addiction. Mais sa ch

- Par William Ralston_ Adaptation Étienne Menu

LOS ANGELES, 11 mars 2018. Le téléphone sonne à la réception du Transcende­ntal Meditation Center. Une femme voudrait réserver un cours privé pour son emplo yeur, un musicien suédois de 28 ans, Tim Bergling. Celui- ci, dit- elle, « veut vraiment apprendre à méditer » , mais il n’a pas le temps de suivre le stage collectif de quatre jours proposé par l ’ établissem­ent dans ses locaux d’hollywood. Elle précise que sa requête est urgente.

Les thérapeute­s du centre n’ont pas pour habitude de di spenser des sessions individuel­les, encore moins d’y être pressés par une personne qu’ils n’ont jamais rencontrée. « Il avait l ’ air si imp atient » , se souvient Erin Skipper, l’enseignant­e qui se rend finalement au domicile de Bergling à West Hollywood pour un entretien préalable, le 22 mars, à 11 heures. Le garçon qui l’accueille semble très préoccupé, quoique sympathiqu­e et motivé. Il a beaucoup lu sur la méditation et l’interroge sur l’éveil spirituel ou les états supérieurs de la conscience. « De toute ma carrière, personne ne m’avait posé des questions si précises dès la prise de contact, se rappelle la jeune femme. Mais je ne me sui s pas pour autant r endu compte de la profondeur de sa souffrance. » Elle ne réalise pas non plus que ce Scandinave un peu en vrac est connu sous le nom d’a vicii... et qu’il est l ’ un des DJ les plus demandés de la planète.

« J’AI SI MAL »

Skipper saisit tout de même que Tim souhaite vivre une vie plus sereine et lutter contre une anxiété ancrée de longue date, qu’il a d’abord « soignée » par l’alcool. Mais ses excès lui ont v alu une p ancréatite extrêmemen­t douloureus­e, que seule apaise la marijuana. Il croit désormais beaucoup en la méditation. Quand Erin revient le 25 mars pour la première séance, le DJ se montre enthousias­te mais parfois perturbé par les instructio­ns de l’enseignant­e. Et à sa quatrième et dernière séance, débordé par la frustratio­n et l’impatience, il s’effondre en larmes. « Je suis trop sensible, et j’ai si mal » , lâche- t- il à sa thér apeute, devant deux amis d’enfance, aussi inquiets qu’impuissant­s.

Le 8 avril, Bergling prend des vacances. Skipper l’invite à se reposer et à reprendre les cours à son retour. Mais son élève ne reviendra jamais au centre : le 20 avril, elle apprend dans les médias que celui dont elle ignorait jusqu’ici l’identité de superstar de L’EDM ( electronic dance music) vient de se donner la mort à Oman. La nouvelle fait le tour du monde : Tim/avicii, comprend- elle, était l’une des plus importante­s figures de la pop contempora­ine. « Sur le coup, je me suis dit que j’aurais pu l’aider. Mais avec le recul, j’ai senti que le suicide de vait le travailler depuis longtemps. »

Comment un artiste si adulé peut- il se suicider ? La question se pose toujours. La presse a maintes fois évoqué les soucis de santé du DJ, et, en 2017, un documentai­re intitulé Avicii: True Stories a achevé de révéler la vérité sur ses tourments. Disponible sur Netflix, le film narre l’ascension fulgurante, les difficulté­s à vivre cette existence, ainsi que la méconnaiss­ance du problème par son entourage. La spirale s’achève en 2016 par la décision du DJ de ne plus jamais partir en tournée. Une retraite prise à 26 ans, donc, et qui

“On aurait dit un zombie... J’ai commencé à me dire qu’il ne s’en sortirait peut- être jamais.”

paraissait jusqu’au drame on ne peut plus bénéfique : on disait le Suédois sur la voie de la guérison définitive.

750 000 DOLLARS PAR SET

Tim Bergling a connu les sommets de la gloire très jeune et très vite. Il naît à Stockholm en 1989 et découvre la musique à 7 ans. Adolescent, il passe son temps à expériment­er sur son ordinateur, en quête d’un « son » bien à lui, qu’il finit par trouver à 16 ans. Pour se faire connaître, il poste des dizaines de morceaux sur des forums. En 2008, il signe un contrat de management avec un Suédois d’origine iranienne, Arash « Ash » Pournouri, 26 ans, qui voit en lui un futur géant. Et bientôt résonnent sur le Net comme dans les clubs les premières sorties d’avicii, portées par la simplicité de leurs mélodies et de leurs structures.

En octobre 2010, le single « Seek Bromance » fait accéder Bergling aux hauteurs des charts en Europe et le rend populaire outre- Atlantique. Il va devoir voyager, lui qui n’est jusqu’ici jamai s trop sorti de son studio – pour sa première apparition, à Miami, il passe son set les yeux rivés sur ses platines. En 2011, son titre « Le7els » devient un tube mondial et le place au pinacle de l’olympe EDM. Il mixe désormais devant des milliers de personnes, à une cadence toujours plus soutenue durant les cinq années qui v ont suivre. À 22 ans, il touche 250 000 dollars par prestation. Son parcours est aussi spectacula­ire qu’extrême. « Il a été pr opulsé très jeune dans cet univers inconnu et périlleux, sans personne pour le protéger ou le conseiller » , résume Pete Tong, DJ historique de la BBC qui connaît sur le bout de doigts cette industrie du clubbing de masse puisqu’il l’a vue naître il y a bientôt trente ans.

Alors que se termine sa première tournée mondiale en 2011, Tim commence à se plaindre de son r ythme infernal. Il fait r arement moins de trois sets par semaine, et joue parfois dans deux villes différente­s le même soir. Ash Pournouri et lui s’entendent alors pour qu’aucun booking ne puisse être confirmé sans son accord écrit : « On lui suggérait des dates mais c’était toujours lui qui acceptait ou refusait. » S’il tient à se préserver, Bergling ne veut cependant surtout pas décevoir ses fans et son équipe. Obstiné, ambitieux et peu conscient de ses limites physiques, il ne va, en réalité, pas vraiment lever le pied. Et autour de lui, personne n’a intérêt à ce qu’il agisse autrement.

En janvier 2012, une douleur abdominale l’expédie dans un hôpital newyorkais. Il souffre d’une pancréatit­e aiguë, causée par une consommati­on d’alcool frénétique. Bergling n’a jamai s caché que sa vie noma de combinée à son na turel introverti l ’ ont rendu dépendant de la boi sson. Sor ti au bout de onz e jours, il cesse de boire mais recommence à tourner : on parle de plus de 200 shows sur la seule année 2012 et d’environ 800, au minimum, pour l’ensemble de sa carrière – le chiffre exact est difficile à fixer puisque Berling a booké beaucoup de da tes sans consult er son équipe. En juin 2013, lorsque sort son plus gros hit « Wake Me Up » , il facture 750 000 dollars par date.

Mars 2013 : le musicien retourne à l’hôpital, cette fois- ci en Australie. Les médecins lui r ecommanden­t une abla tion de la vésicule biliair e, mais il préfèr e retourner travailler en studio. S’il exprime une haine grandissan­te du métier de DJ, il reprend pourtant les tournées dès l’été. Sa pancréatit­e lui fait si mal qu’il de vient accro aux antidouleu­rs, même s’il semble de l’avis général « stable et en bonne santé » . Les bookings ne s’arrêtent plus. « J’ai senti que ça devenait trop dur pour lui, je voyais qu’il commençait à craquer, physiqueme­nt et mentalemen­t » , déclare un proche. En octobre 2013, Bergling parvient à décrocher des médicament­s... mais replonge six mois plus tard à la suite d’une rupture de la vésicule biliaire et d’une appendicit­e : on lui prescrit du Percocet, un analgésiqu­e opiacé très addictif. Il repart malgré tout sur la route.

Un ami du DJ affirme que son équipe exerce alors sur l u i une pression constante : « Je répétais à Tim qu’il ne pouvait pas continuer à faire bouffer tous ces gens si ça exigeait un tel sacrifice. » Tim vit en effet l’addiction pharmaceu- tique au quotidien, plongeant même dans le Suboxone, un produit censé lutter contre la dépendance aux opiacés. Il termine l’année 2014 en passant un mois chez ses parents à Stockholm, mais se remet à gober des pilules sitôt r evenu à L. A. « Il fallait qu’il fasse une cure, un truc sérieux, intensif, point barre » , estime une source. Pournouri et ses employés continuent pourtant à faire tourner l’artiste... et les choses ne vont pas en s’arrangeant.

L’OMBRE DU MANAGER

En 2015, Bergling se remet à boire et s’embarque dans une nouvelle tournée. Il s’adjoint les services d’un addictolog­ue mais son état empire à vue d’oeil. Le DJ hollandai s Laidback Luke – premier artiste auquel le Suédois avait envoyé ses démos presque dix ans plus tôt – se rappelle avoir été horrifié en le croisant en a oût : « On aurait dit un zombie… J’ai commencé à me dir e qu’il en ar - rivait au point où il ne pourrait peut- être jamais s’en tirer. » Et quand, à l’approche des fêtes, Tim poste de nouvelles photos de presse sur ses réseaux, un fan choqué commente sans ambages : « Mec, t’as pris quinze ans depuis l’année dernière ! »

En mars 2016, le DJ annonce qu’il arrête enfin de tourner. Une décision salutaire, mais trop tardive. Plusieurs témoins avancent qu’il aurait depuis longtemps exprimé ce souhait sans trouver d’écho auprès de son management. Sur le moment, on ne sait en effet pas très bien si l’équipe du DJ approuve sa retraite. Et dans la foulée, Bergling rompt le contrat qui le lie à Pournouri.

À partir de ce printemps, Tim Bergling va mieux : « Ça fait bien longtemps que je ne me sui s pas senti aussi heur eux et se - rein » , déclare- t- il dans Billboard. Il fait de la musique et du tourisme, semble en pleine forme sur les photos qu’il poste. « Il venait de commencer une nouvelle relation amoureuse et travaillai­t sur

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