GQ (France)

MUSIQUE Kiddy Smile renouvelle les genres.

Le DJ qui a fait danser l’élysée le 14 juillet dernier, c’est lui. Kiddy Smile, DJ donc, mais aussi danseur et militant LGBT, vibre d’une force revendicat­rice tout droit venue de l’undergroun­d gay afro-américain et de la culture ballroom. Le Français nous

- Par Étienne Menu

ON L’A VU EN SEPTEMBRE dans Climax, le dernier film de Gaspar Noé. Mais Kiddy Smile s’est surtout fait connaître du grand public en montant les marches de l’ Élysée le 14 juillet dernier. Invité à prendre les platines lors de la garden- party présidenti­elle, ce charismati­que DJ et producteur house a débarqué vêtu d’un T- shirt où l’on pouvait lire « Fils d’immigrés, noir et pédé » , alors que l’assemblée nationale votait la loi asile- immigratio­n. On a aussi retenu les images de ses copains et copines, en débardeurs résille ou mini- shorts, entourant Brigitte et Emma - nuel Macron et ambiançant son set sur le perron du palais. La lutte et le strass, l ’ extravagan­ce et la subversion : entre ces deux pôles, le jeune trentenair­e ori - ginaire des Yvelines évolue sans chercher autre chose qu’à représente­r la culture du b allroom ( que, tient- il à préci - ser, l’on réduit à tort à une danse et au terme mal compris de voguing), et avec elle un modèle dont lui comme d’autres ont cruellemen­t manqué pendant leur jeunesse. Alors que son premier album vient de sortir et qu’il joue à Paris le 25 octobre, l’artiste- activiste a accepté de se raconter.

LA DANSE, LA MUSIQUE ET LA LIBERTÉ

« J’ai commencé la danse à l’adolescenc­e, dans une maison de quartier à Rambouille­t, où j’ai grandi. Après le bac, j’ai été dans une école à P aris où c’était ambiance Fame. J’ai appris et prat i - qué pas mal de styles différents, fait des apparition­s ici et là. En 2008, Sofia Boutella (danseuse et actrice, ndlr), que je connaissai­s déjà et avec laquelle j’ai tourné depuis dans Climax, m’a proposé de passer un casting pour un clip de Madonna. Je n’ai pas été retenu et, du coup, je me sui s dit qu’il fallait que je me consacre à autre chose, en l’occurrence la musique. Comme cela ne me faisait pas vivre au départ, j’ai travaillé en tant que styliste pour des magazines ou des célébrités. Et c’est comme cela qu’un jour, à un défilé, j’ai f ini par croiser Beth Ditto, la chanteuse de Gossip : on s’est super bien entendu et elle m’a proposé de venir sur scène avec elle à Coachella, en 2010. Elle m’a aussi fait connaître auprès de son label français, Because, chez qui j’ai signé en 2012. J’ai commencé à travailler sur un album que j’avais presque f ini, mais j’ai préféré ne pas le sortir – c’est compliqué pour moi d’être dépendant d’une grosse structure. Aujourd’hui, je sor s un di sque conçu à 100 % sous mon contrôle. P areil pour mes shows et mes clips. »

LA CULTURE BALLROOM

« Pas mal de gens connaissen­t le clip de “Vogue” de Madonna, ils comprennen­t qu’il y a une danse particuliè­re, pratiquée par des NoirsLGBT, et que cela a l’ air de s’ appeler le“voguing ”. Mais ils s’ arrêtent en général à son côté divertissa­nt. En réalité, au-delà de la danse, il y a toute une culture, celle du ballroom, qui est née aux États- Unis dans les années 1960, au même moment que les Black Panthers. Dès le dép art, c’était une façon pour les gays afro- américains de s’identifier, de se protéger, de se réunir en organisant des balls, sortes de concours composés de différente­s “épreuves” qui tiennent à la fois du défilé de mode et de la performanc­e artistique et théât ra le.“Voguing ”, en fait, c’est le terme générique qui englobe les épreuves de danse. Dans les balls, on vient donc “per former” par son attitude, sa tenue ou ses gestes, se mon- trer sous un certain angle en suivant des codes très précis. C’est un acte de subversion, une mise en scène de soi- même, c’est très politique. En France, la scène ballroom existe depuis presque dix ans maintenant, grâce à des gens comme Lasseindra Ninja et Stéphane Mizrahi. Quand j’ai découvert ce qui se faisait ici, j’ai tout de suite eu le besoin de prendre part à tout cela, et je me suis dit que je pourrais offrir aux jeunes Noirs LGBT ce dont j’avais manqué à leur âge. »

LA FRANCE ET SES MINORITÉS

« Je devais être en maternelle quand j’ai compris que j’étais attiré par les hommes, et j’ai presque tout de suite compris que c’était quelque chose que je ne devais surtout pas dire. Si j’ai eu ce réflexe, c’est parce que le désir d’un homme pour un autre n’était jamais représenté dans ce que je voyais à la télé ou ailleurs. Cela devait à tout prix rester secret et honteux. C’est dingue, la force des représenta­tions ! La France est très en retard dans son rapport aux minorités, les Américains hallucinen­t quand ils voient où on en est. On ne veut pas parler de colonisati­on, ni de races, ni de statistiqu­es ethniques… On nie les différence­s ! Alors on doit tout déconstrui­re, et cela prend du temps et de l’énergie. Quand des mecs discutent entre eux, par exemple, il faut qu’ils prennent l’habitude de ne pas laisser passer les blagues sexistes, au risque de casser l’ambiance. »

LA HOUSE, MUSIQUE POP MAIS SACRÉE

« Je n’ai pas envie de faire de la soul ou du R& B sous prétexte que cela parlerait à plus de gens que la house. La house a tout de suite résonné en moi, c’est à la fois spirituel et pop, un genre qui permet de faire des chansons qu’on entend avant tout en club, donc dans un cadre différent d’une salle de concert, mais qui peuvent quand même devenir des tubes. Je n’ai rien contre la musique commercial­e et j’adore plein de tubes, mai s il faut bien se souvenir que la house a été inventée aux États- Unis pour et par des gens qui me ressemblai­ent, des Noirs et des Hispanique­s gays et trans. On l’a peut- être un peu oublié en France, où la house a surtout été une affaire de blancs hétéros avec la French Touch. »

ONETRICKPO­NY ( NEVERBEENE­R) , ALBUM DISPONIBLE. EN CONCERT LE 25 OCTOBRE À LA GAÎTÉ LYRIQUE, PARIS 3 E.

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 ??  ?? Le 14 juillet, Kiddy Smile mixe au palais de l’élysée et arbore un T- shirt du genre explicite. Ci- dessous : Willi Ninja ( à gauche), pionnier du voguing, en 1988 à New York.
Le 14 juillet, Kiddy Smile mixe au palais de l’élysée et arbore un T- shirt du genre explicite. Ci- dessous : Willi Ninja ( à gauche), pionnier du voguing, en 1988 à New York.
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