GQ (France)

FOOD : LA MIE EST BELLE

Après des années de baguettes insipides et de miches en carton, une nouvelle génération de boulangers prend le pouvoir et fait revivre un savoir-faire ancestral... sans se mettre dans le pétrin.

- Par Victor Coutard

Focus sur les nouveaux artisans boulangers qui font revivre un savoir- faire ancestral et pour qui le bon pain, c’est sacré.

ILS S’APPELLENT MAMICHE, Panadero Clandestin­o, le Bricheton ou Mai son Saint- Honoré. Des Z orro armés de baguettes qui comblent le vide entr e la b anette du coin, préparés avec les farines r eady- made de meu - niers sans scrupule, et les « boulangeri­es f ines » , où le pain est ser vi avec des g ants blancs. Finies les appel - lations pompeuses et l ’ ego trip r abâché à coups de st orytelling, retour aux b asiques et à l ’ essentiel : de l ’ eau, du levain et des farines issues de céréales paysannes.

CÉCILE KHAYAT ET VICTORIA EFFANTIN ont créé Mamiche au printemps 2017. « Chaque client est à convaincre. En F rance, le p ain est t ellement basique ! » explique Victoria. Consciente­s de leur mission, les deux jeunes boulangère­s vendent leur baguette tradition à un euro, un prix symbolique qui s’inscrit dans les moyennes parisienne­s et se démarque des offres trop élevées pratiquées dans les boulangeri­es haut de gamme.

THIERRY DELABRE, alias Panadero Clandestin­o, vit, lui, un véritable sacerdoce. Aujourd’hui, ses pains font le bonheur des cuisines de l’astrance ( 3 étoiles) ou du Meurice ( 2 étoiles). Il s’amuse à utiliser des farines is-

sues de v ariétés anciennes – Barbu du R oussillon, Fleur de Berry ou encore Maiorca, un blé antique de Sicile – réputées impanifiab­les pour créer ses pains. « C’est plus compliqué parce que les blés ne sont pas analysés en laboratoir­e par l’industrie » , explique- t- il dans un grand sourire. En effet, les farines qu’utilisent les boulangers du coin de la rue sont des farines dites « améliorées » . Les meuniers, qui sponsorise­nt la plupart des boulangeri­es de quartier ( comme les bières pour les bars) imposent leurs farines enrichies en gluten et en conservate­urs, livrées avec leur notice d’utilisatio­n. Résultat : des pains interchang­eables et sans caractère. Les boulangers perdent leur savoir- faire et les clients l’accès à un pr oduit ar tisanal. À rebours de cett e vague de standardis­ation, Thierr y et son ami Pierr e Ragot, de Maison Saint- Honoré, se lancent régulièrem­ent dans des battles de boulangers : concrèteme­nt, des déf is pour confection­ner de nouveaux pains avec de nouvelles farines. Thierry, qui a découvert les réseaux sociaux en même temps qu’il s’est mis en quête de farines paysannes, a trouvé sur Facebook une communauté attentive à son travail et poste régulièrem­ent des photos de ses pains d’exception : bâtard long de un ou deux kilos, miches carrées, brioches tressées, etc.

CHEZ THIERRY, comme chez Mamiche, le levain est roi. Là où le boulanger lambda utilise de la levure pour sa capacité à réduire les temps de fermentati­on et accélérer le lever du pâton, les nouveaux boulangers ne jurent que par leur levain. La création d’un levain est moins une question de technique qu’une question de soin et d’amour. Cette fermentati­on spontanée de farine et d’eau donne un produit vivant influencé par son environnem­ent. Il ser a impossible de tr ouver deux le vains identiques et donc deux pains similaires. C’est un processus totalement naturel où le boulanger donne vie à sa matière première. « C’est comme si j’avais moi- même enfanté, explique Thierry Delabre. Mon levain, c’est comme un enfant. Là, je m’apprête à partir en vacances. Il part avec nous, évidemment ! »

PANIFIER DES FARINES issues de céréales rares au levain implique un savoir- faire qu’a perdu le boulanger du coin de la rue. Les temps de fermentati­on sont plus longs – comptez entre douze et vingt heures chez Mami - che et Panadero Clandestin­o, contre deux heures dans la grande distributi­on –, pour des résulta ts on ne peut plus aléatoires. Il faut travailler la nuit, dur et beaucoup : chez Mamiche, la journée de travail commence à 2 heures pour finir à 22 heures. « Peu de gens se r endent compte du travail que l ’ on doit f ournir. Nous, c’est no tre naïveté qui nous a permis d’y arriver, explique Cécile de Mamiche. C’était hyper dur en tant que jeune et en tant que femme de monter la boulangeri­e. On s’est fait bâcher un nombre incalculab­le de fois, et par des poids- lourds de la profession : “Toi, avec tes petits bras, tu vas porter un sac de farine de 50 kg ?” Bah ouais ! »

CHEZ MAMICHE, les clients traversent Paris pour une baguette et les habitants du quar tier y ont leur s petites habitudes. Lors de notre rencontre à la boulangeri­e, une demi- douzaine de personnes nous ont interrompu­s pour féliciter Cécile et Victoria, ou simplement pour prendre des nouv elles des deux entr epreneuses. « Les boulangeri­es qui font du ras- les- pâquerette­s concernant la qualité sont v ouées à di sparaître » , prédit Cécile. Le téléphone ne cesse de sonner : « On se fait démar cher tous les jour s par des jeunes qui nous di sent vouloir devenir boulanger. » Elles ont décidément du pain sur la planche, et c’est tant mieux pour nous.

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