GQ (France)

#Metoo, votre Honneur !

Est-ce la fin de l’omerta ? Le milieu de la justice semble, à son tour, découvrir les pratiques de harcèlemen­t qui sévissent dans les cabinets et les couloirs des palais. GQ a mené l’enquête auprès des victimes et des lanceurs d’alerte, bien décidés à bal

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La sociologie de la profession livre une première clef d’explicatio­n. Dans ce métier très féminisé ( 55 % des avocats), les « collabs’ » sont majoritair­ement des femmes de 25 à 35 ans, salariées et en début de carrière, alors que les associés sont à 80 % des hommes, la cinquantai­ne bien tassée, souvent propriétai­res et patrons de leur entr eprise. Détail essentiel ( et dérogatoir­e au droit du travail ordinaire) : un avocat associé n’a p as à justif ier du licencieme­nt d’un collabo - rateur, au nom de la liberté accordée à cette profession libérale. Autrement dit, le lien hiér archique et de subor - dination peut s’exprimer sans aucune limite, y compris pour de très mauvaises raisons. Le masque idéal pour cacher les turpitudes les plus inavouable­s.

Est- ce une affaire de génération ? Antoine Marger, avocat de 51 ans, en est persuadé : « Un jour, dans un dîner avec quatre consoeurs de ma génér ation, j’ai posé la question : toutes avaient eu à subir les assiduités de leur patron, toutes... et cela n’a pas changé ces dernières années. » Les mêmes dérapages reviennent en boucle, avec pour point commun de r eproduire souvent un processus identique : une véritable traque. Membre de la commission à l’égalité profession­nelle de l’union des jeunes avocats ( UJA), Marine Duponcheel, avocate spécialisé­e dans le contentieu­x commercial, a fait la synthèse de ces témoignage­s. Tout commence par le langage : une remarque anodine sur les vêtements ou le physique, puis un commentair­e un peu plus salace... Ensuite, le chasseur passe à l’acte : « Forcer à faire la bise à ses collaborat­rices tous les matins... en gros, tout ce qui consiste à être plus tactile que les convention­s ordinaires. Il y a t out un conditionn­ement, du style : “Tu es un peu stressée aujourd’hui, détends- toi, tu as besoin d’un petit massage.” »

Au début, ces écarts de comporteme­nt peuvent paraître anodins. Voire normaux dans un cadre profession­nel « cool et détendu » . « Le problème pour les vic - times, conclut l ’ avocate, c’est de ne p as savoir poser la limite, sur tout pour celles dont c’est le pr emier stage ou la première collaborat­ion. D’abord un déjeuner, puis un pot le vendredi soir ou une invitation à dîner avec toujours une excuse ou un motif profession­nel “pour fêter un dossier” par exemple. Est- on encore dans le cadre profession­nel ou est- on p assé dans le ca dre personnel ? Petit à petit, la pr ession est t elle sur la jeune f ille qu’elle ne sait plus bien si ce qui lui est proposé est “normal” ou non. Et si elle f init pas dire “stop”, on lui e xplique que la frontière, elle l’a franchie depuis longtemps déjà. Or, on observe une vr aie répétition dans le scénario de har - cèlement sexuel, dans le mode opér atoire d’approche et d’emprise. » Du coup, r efuser l’invitation à dîner de l ’ associé senior peut passer pour une faute de goût, voire une faute profession­nelle. Et cela peut être rédhibitoi­re pour la carrière, car à la f in de leur f ormation, les futurs avocats doivent effectuer un stage de six mois minimums avant de prétendre au barreau. « Si la proie résiste, précise Marine Duponcheel, alor s un mécani sme de vengeance peut se mettre en place. Et là, il y a deux solutions : soit elle f init par céder aux avances du prédateur, soit elle part, mais alors son stage n’est pas validé. Donc elle reste. Si elle reste et qu’elle continue de résister, alors il peut y avoir sanction sur son travail ( critiques, humiliatio­ns publiques...) et des déprécia tions physiques sur sa personne. » C’est le moment où l’enfer s’ouvre

Toujours la même mécanique : d’abord les mots. « La seule chose qu’il me demandait, raconte Dominique Soriano, à chaque fois qu’il flashait sur une cliente, c’était de l’appeler jusqu’à ce qu’elle vienne au cabinet. » Car l’appétit de Maître Hoarau ne se limite pas à ses collaborat­rices. Il y a des clientes, mais aussi des greffières et d’autres avocates. Sans oublier cette employée de l’ordre des avocats, qui s’est confiée à un enquêteur de la Police judiciaire locale : « Avant d’arriver à l ’ Ordre, explique B., j’ai tr availlé pour des a vocats. Il m’arrivait de le croiser et il me faisait des remarques sur mon physique, si bien que quand il a été élu bâtonnier, je n’allai s pas très bien. Maîtr e Hoarau m’avait alors répondu qu’il ne fallait pas mal interpréte­r ses propos, que quand il v oyait une jolie f emme, il ne pouv ait s’empêcher de lui dire qu’elle était jolie. Je lui ai répondu qu’il y avait une dif férence entre faire des compliment­s et me téléphoner pour me demander la couleur de ma petite culotte, me demander si mon body était à pression ou à agrafes car cela faisait “schlak” lorsqu’on l’enlève. » Le harceleur, confronté à la résistance de sa victime, se sent obligé de l’humilier publiqueme­nt : « Une fois dans le couloir du palais, en présence de plusieurs avocats, Maître Hoarau s’est adressé à moi en ces termes : “Oh, ma petite gousse de vanille, qu’est- ce que j’aimerais être un quatre- quarts pour que tu m’introduise­s.” »

Dans les couloirs du cabinet Hoarau- Lacaille, où les murs sont tapissés de miroirs qui permettent au maître des lieux de sur veiller ses emplo yés, la situation bascule très vite pour Dominique Soriano. « Maître Hoarau ne supportait pas l’idée que je lui résiste et que je lui réponde, se souvient le clerc rebelle. Du coup, mes collègues me reprochaie­nt cette résistance et m’attribuaie­nt sa mauv aise humeur. Je pensai s pouvoir tenir le coup, mais j’arrivais au travail en ayant du mal à respirer. » Dans un pr emier temps, Dominique Soriano esquive en trouvant refuge auprès de l’autre associée du cabinet, une femme qui la protège des humeurs de son harceleur. Finalement, un samedi, elle craque. Invoquant la perte d’un dossier dont il la juge responsabl­e puisqu’il est r etrouvé sur son bur eau, l ’ omnipotent patron lui lance dans la salle d’a ttente bondée de clients : « Vous êtes une sale connasse, v ous ne savez pas faire votre boulot. » Les mots de trop : « Les larmes me montent aux yeux au moment où un client me dit que c’est Maître Hoarau qui a posé le dossier introuvabl­e sur mon bureau, pour me piéger. » Dès le lundi, Dominique Soriano est placée en arrêt de travail par son médecin, puis elle porte plainte pour harcèlemen­t moral au commissari­at. Elle ne remettra jamais les pieds au bureau, début d’un calvaire qui va durer une éternité...

Dans un premier temps, les policier s font leur travail. Au commissari­at de Saint- Pierre, à la Réunion, la plaignante est reçue et écoutée avec beaucoup de tact par un officier de police judiciair e spécialeme­nt formé à ce type de délit. « Quelqu’un d’extraordin­aire, dit Dominique

Les juges sont- ils plus sévèr es que les a vocats avec leurs brebis galeuses ? Devant le Conseil supérieur de la magistratu­re ( CSM), une dizaine de cas ont été sanctionné­s pour de tels comporteme­nts. « Dans ce type d’affaires, détaille Youssef Badr, por te- parole du mini stère de la Justice, les sanc - tions prononcées par le CSM concernent génér alement des victimes étrangères profession­nellement au milieu judiciaire. On trouve trace de magistrats sanctionné­s disciplina­irement pour avoir eu des relations sexuelles sur leur lieu pr ofessionne­l avec des justiciabl­es ou a voir commis des faits d’agressions sexuelles ou de corruption­s de mineurs dans leur vie privée. » À la Réunion, l’affaire Francis Catalano avait défrayé la chronique en 2006- 2007. Ce juge d’instructio­n au TGI de Saint- Pierre avait pris la fâcheuse habitude de tr ansformer son cabinet en deuxième bureau pour abriter ses

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