GQ (France)

LE RONSON DE LA GLOIRE

Portrait Il est derrière l’éclosion d’amy Winehouse, Adele et Lily Allen ; il a pimpé Lady Gaga, Nate Dogg... Mark Ronson, DJ, producteur et musicien, cumule les succès (avec son groupe Silk City et son nouveau label Zelig Records) et s’attelle aujourd’hu

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À43 ans, Mark Ronson est l’homme multicarte par excellence : musicien avant tout ( coauteur avec Bruno Mars du tube « Uptown Funk » , qui a fait le tour du monde en 2014, cofondateu­r du récent duo Silk Ci ty avec Diplo), producteur ( Robbie Williams, Amy Winehouse, Adele... ), DJ des VIP, icône de mode… Les années passent et Ronson reste, pas forcément en tête d’affiche, mais toujours dans les parages. Et avec style. Mark Ronson apparaît régulièrem­ent dans les magazines glamour, où ses looks sont religieuse­ment analysés, comme les pages d’un roman d’hemingway. En 2016, le GQ anglais lui décernait le prix Hugo Boss de l’homme le plus stylé au cours d’une cérémonie annuelle permettant aux invités de vérif ier que le musicien était toujours sur la A-list de la h ype. Et puis Mark Ronson est un socialite, qui se fait pr endre en pho to dans les soirées les plus e xcentrique­s de la planète, aux côtés des grands noms du show- business, Lady Gaga à New York, Sir Paul Mccartney à Londres, Katy Perry à Paris. En 2015, il a même mixé à la traditionn­elle after- party des Oscars organisée par Madonna, soit la meilleur e fête de l’année, et la plus privée. Pour certains, à Hollywood, recevoir le carton qui les y convie, c’est l’oeuvre d’une vie. L’anecdote fait désormai s partie de la lé - gende : pendant que B eyoncé dansait sur du Beyoncé, Mark Ronson, ivre mort, a dû être décollé des platines tandis que l’aube pointait sur Beverly Hills. Non pas qu’il eût l’air blasé en nous ouvrant la porte, en cette matinée d’été, mais il n’est pas très en forme : il a travaillé tard dans la nuit sur la B O d’un f ilm d’animation dans un studio londonien. De réputation, Mark Ronson est toujours fatigué, toujours entre deux jetlags. Surtout, gros bosseur. De passage pour le concert anniversai­re des 85 ans de Quincy Jones qui s’est tenu deux jours plus tôt sur la scène gigantesqu­e de l ’ O2 Arena, il loge dans le cinq- ét oiles le plus couru de la ville, le Chiltern

Firehouse, qui est à Londres ce que le Chateau Marmont est à Hollywood. Il reçoit dans une chambre en bordel, raffinée mais sans ost entation, une pla quette d’ibuprofène à portée de main, habillé comme un a do qui aur ait oublié de gr andir, mais la mèche étonnammen­t d isciplinée. Il râle à chaque fois qu’un coup de fil l’interrompt mais se révèle plus spontané qu’on pourrait s’y attendre : « J’aime Londres ; le rythme est plus lent, la ville est tellement charmante. » musical rencontre l’écho le plus spontané. » Car Mark Ronson est une fierté nationale en Angleterre, où il a connu le succès bien avant d’exploser aux ÉtatsUnis. Maintenant, il réside à Los Angeles « parce que c’est la ville où tu peux être en studio avec Chaka Khan un jour et avec Lady Gaga le lendemain » . Mais il reconnaît volontiers qu’on y travaille plus qu’on y vit : « Je ne saurais pas où sortir… Je fais ma journée de boulot et le soir, je rentre chez moi, je me promène avec mes chiens. » La fameuse solitude hollywoodi­enne… Comme il affirme volontiers accorder une certaine importance à ses origines juives, on se demande s’il n’y aurait pas quelque chose de la mélancolie ashkénaze dans son anxiété maladive légendaire et dans cette dissonance qui surgit si souvent chez le personnage mondain qu’il a fini par incarner. Car avec ses airs de Gatsby moderne et cosmopolit­e, Mark Ronson traîne dans son sillage comme un parfum de fête perpétuell­e. Front rows, after-shows et release parties semblent être la trame de son quotidien, les tabloïds tiennent la li ste de ses petit es copines, toutes top models, et ne se sont pas privés de relater ses mariage et divorce avec Joséphine de La Baume, actrice, it- girl, élément chic français d’un couple dont on pouvait suivre les tapis rouges sur Instagr am. Nul dout e que les chroniqueu­rs mondains nous avertiront de sa prochaine copine. On en oublierait presque ce qu’il fait vraiment. Égérie ou esthète ? Faiseur de hits ou grand couturier du son ? Avec lui, on ne sait ja - mais où commence la superficia­lité, où finit la légèreté. Ce serait oublier que dans ce tourbillon, il a t out de même tr ouvé le temps de produire quelques grands albums. Et, peut- être, de définir un style.

ais surtout, ces années passées à chercher du son lui font acquérir une culture musicale pléthoriqu­e. Il suff it de le lancer sur ses labels préférés pour v oir surgir le fan de musique qu’il est resté, malgré le succès. « Pour les chansons, et parce qu’ils ont Stevie Wonder, Tamla Motown gagne toujours… Mais pour le son, c’est Stax bien sûr, parce que c’est plus rugueux, plus authentiqu­e. Il y a aussi De f Jam, Uptown car ils avaient Mary J. Blige, Roc-a- Fella… C’est vraiment dans la musique noire que les labels avaient leur personnali­té. Non, attends, c’est faux. Il y a aussi des petits labels alternatif­s de punk. Mais tu sais, j’ai vu tous ces logos tourner sur mes platines pendant tant de nuits. C’est ma vie depuis si longtemps… » À ce moment, ses yeux de gosses se remettent à briller. Il y a quelque chose entre Mark Ronson et la musique noire américaine, même s’il ne l ’ analyse pas en ces t ermes. Lorsque, deux jours avant notre rencontre, il débarque sur la scène de l’o2 avec Chaka Khan, c’est pour interpréte­r un funk flamboyant en l’honneur de celui qui fait office de figure tutélaire, Quincy Jones, alias « Q » . Un morceau inédit que les deux hommes ont écrit ensemble pour le documentai­re Netf lix retraçant la vie du maître. Le pr oducteur de légende v enait d’en égrener les épi sodes marquants, de Charlie « Birdy » Parker aux albums ico - niques de Michael Jackson, des décennies de carrière à l’intersecti­on du jazz, du blues, de la soul et de la pop. R onson est arrivé vêtu d’un costume pattes d’eph blanc signé Kyosuke Kunimoto ( de Maison Lance, il va jusqu’à Tokyo pour y trouver ses vestes), et d’une chemise en soie vert menthe à l’eau Gucci. Il n’y a que lui pour porter ça ! Il a empoigné sa guitare comme le manche d’un avion lancé à toute blinde, épaulé par un orchestre symphoniqu­e d’une c lasse absolue, qui aurait pu paraître ronronnant si ce n’était l’énergie du golden- boy et de sa chanteuse pour l’occasion, la déesse de Chicago, l ’ interprète inoubliabl­e de « I’m Every Woman » . Encore un bout de son panthéon personnel. I l y a tant de points communs entre Ronson et Q. Cette capacité à détecter les talents qu’il peut faire éclore, le goût d’être à l’arrière, sans pour autant se contenter d’être dans l’ombre. Ce sens de la fringue, le costume qui en jette, toujours à la limite de l’audace stylistiqu­e et du revers de trop. Mais surtout l’éclectisme musical, cette compréhens­ion profonde de l ’ histoire des musiques afro- américaine­s, les rencontres avec le répertoire des Blancs. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si la veille, Ronson mixait au vernissage de l ’ exposition « Michael Jackson : On the Wall » à la National Portrait Gallery, retraçant l’influence de la première pop star noire sur l’art contempora­in.

J’ ai vécu deux années pas très sympas, l’échec de mon mariage… » On n’ose le dire, mais peut- être, aussi, la maturité ? « Attends, si tu éteins ton dictaphone, je vais te faire écouter un truc. Il y a quelques années, j’ai vu Miley Cyrus dans le 40e anniversai­re du “Saturday Night Live” qui reprenait “50 Ways to Leave Your Lover” de Paul Simon… et cette voix ! » Il lève les yeux vers le ciel et sourit comme un enfant qui vient de déb aller un ca deau. « Cette gravité dans le timbr e de sa v oix… Je savais qu’elle pouvait chanter, mais je ne l’avais jamais entendue chanter comme ça. Alors je l’ai harcelée quelque temps pour qu’elle entre f inalement en studio avec moi. On a fait ça le mois dernier. » Effectivem­ent, avec ce qui sor t de l ’ enceinte, on est loin de la pop sucrée de la diva ou de la funk colorée de son tube a vec Bruno Mars. On se rapproche d’un registre moderne, oui, mais plus blues. « La production n’est pas totalement finie, mais tu as l’idée. » Sur son prochain album en préparatio­n, on n’en saura pas plus : « Je suis encore dans la recherche… Mais il y aura des choses authentiqu­es, j’ai envie de pouvoir exprimer ce que je ressens. » Actuelleme­nt, il produit une artiste de 19 ans qu’il a détectée sur maquette, King Princess. « Elle est très douée, elle n’a presque pas besoin de moi, car elle sait tout enregistre­r en studio. Et ses compositio­ns sont tellement belles, elle sait aller chercher des choses en toi, très profondes. » Même « Electricit­y » de Silk City – sa récente collaborat­ion avec son grand copain, le producteur américain Diplo – sonne comme cette électro qu’on entendait dans les raves des années 1990. Où la légèreté de la fête, jamais complèteme­nt innocente, recouvrait tout un tas de tristesses sociales et identitair­es. Finalement, quand il évoque ce qui est susceptibl­e de lui fair e perdre du temps dans une journée – les réseaux sociaux, le téléphone qui sonne... –, il l ’ imagine toujours en heures de studio. C’est probableme­nt là que se trouve sa vérité : tout pour la musique.

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