GQ (France)

Il s’interrompt au milieu d’une tirade :

- — MATHIEU LE MAUX ET FABRICE TASSEL RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINTS

« Tu connais la fable du petit oiseau ? Non ? OK... Un oisillon qui ne sait pas encore voler tombe de son nid, en plein hiver. Il se met à crier, tremblant de froid. Par chance, une vache le voit et, voulant le réchauffer, elle soulève la queue et plaf, elle dépose une grosse bouse sur lui. Arrive un renard, qui sort l’oiseau de là, l’essuie, le nettoie et... le bouffe ! Moralité : ceux qui te mettent dans la merde ne le font pas toujours pour ton malheur. Et ceux qui t’en sortent ne le font pas forcément pour ton bonheur. » Content de sa blague, entendue de la bouche de Terence Hill dans le western-spaghetti Mon nom est Personne (Sergio Leone, 1973), Mathieu Kassovitz nous apprend là plusieurs choses. Déjà, qu’il a de l’humour, ce qui n’est pas le trait de caractère auquel on associe spontanéme­nt cet éternel énervé, râleur-boudeur profession­nel. La seconde est qu’à considérer que la vache symbolise la police, comme il le mit en scène dans ce célèbre extrait de La Haine dont il fête cette année le 25e anniversai­re, et que le renard représente cette classe politique qui le débecte, la figure pop anti-keuf de service nous explique avec cette petite histoire que la cible de ses virulences et de ses colères n’est pas forcément celle que l’on croit. Si le verbe est encore parfois « malotru », ce fervent soutien du comité « La Vérité pour

Adama » (Traoré) juge en réalité moins ces hommes que la matrice qui les (dé)forme : il n’est pas anti-flic, mais contre les dérives de la police ; il n’est pas anti-système, mais contre « celui qui laisse les gens dans la merde tout en faisant semblant de s’occuper d’eux ». Comme le renard avec le petit oiseau, donc. Animal clivant, parfois crispant, « Kasso » continue de mordre, vent debout contre les inepties politiques, sociales et intellectu­elles.

Dans un « monde d’après » qui attend de trouver de nouvelles méthodes pour soutenir ses beaux discours, ce fantastiqu­e acteur (on l’oublie trop) est encore un repère. Qui, s’il se dit résigné, continue de croire qu’il faut l’ouvrir, dénoncer, s’engager, quand bien même on n’est pas directemen­t concerné. Il dit que ça sera sans lui, désormais. On n’y croit pas. Mathieu Kassovitz est un feu, qui se ravive au gré des drames et des faits divers. Alors il brûle quand on s’en approche, oui. Mais il a le mérite d’éclairer.

 ??  ?? En couverture : Mathieu Kassovitz, photograph­ié par Max Farago pour GQ.
Crédits : blouson et pantalon Hermès. T-shirt Derek Rose.
En couverture : Mathieu Kassovitz, photograph­ié par Max Farago pour GQ. Crédits : blouson et pantalon Hermès. T-shirt Derek Rose.

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