UN PETIT GRAIN DE FOLIE ?
Avec deux milliards de tasses bues chaque jour, le café est l’un des premiers business au monde. Mais l’envolée des prix et la facture environnementale l’obligent à repenser son modèle.
En observant ces clients allemands, japonais, brésiliens ou français déguster des cafés kényans, éthiopiens, burundais, colombiens ou salvadorien au Télescope, l’un des cinquante coffee-shops parisiens, nous revient cette prédiction d’une journaliste du New York Times qui, à l’été 2012, annonçait que parmi les trente-deux innovations qui allaient bouleverser notre quotidien, boire un bon café figurait en deuxième position. Deux milliards de tasses bues dans le monde chaque jour, soit 255 kg à la seconde, pour un chiffre d’affaires de 200 milliards de dollars par an : le café est le nouvel or noir. Deuxième matière première échangée après le pétrole, c’est la première denrée agricole, dont le cours est scruté à la bourse de New York pour l’arabica (60 % des ventes mondiales), à celle de Londres pour le robusta (40 % des volumes). En dix ans, la consommation a carrément doublé dans les 13 300 coffee-shops européens (dont environ 500 en France). Et si les ÉtatsUnis et l’Europe restent les plus accros au café, l’essor des pays émergents et les nouvelles habitudes de consommation prises par les classes moyennes (au Brésil, en Inde, en Asie...) ont joué un rôle puissant dans cette progression. L’an dernier, sur les 70 000 diplômes délivrés par la Specialty Coffee Association (SCA), 10 000 l’ont été en Chine (qui est déjà le second marché pour Starbucks avec une croissance annuelle de 8 %), et 20 000 en Corée du Sud. L’Asie est donc prête à débouler en force sur le marché, ça va faire mal. Après un creux au début des années 2000, où la concurrence du thé s’était accrue, rien ne semble pouvoir arrêter l’expresso, le latte, le brew (le café filtre), ou encore l’ice coffee. Un mouvement encore mal connu du grand public participe largement à cette révolution : le « café de spécialité ». Né il y a une grosse vingtaine d’années aux États-Unis, notamment à Seattle, puis développé en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Angleterre, il fait patiemment son trou. Le principe est simple : vendre du café d’excellente qualité et produit de façon totalement naturelle, payer les caféiculteurs au juste prix, sans oublier de développer des outils qui permettent la préservation de l’environnement. S’il n’occupe qu’environ 5 % du marché français, 25 % de son homologue américain
a déjà été conquis, et ces grands crus rendent fous le Japon, où les coffeeshops fleurissent à chaque coin de rue. « Le marché est en train de pivoter, relève Christophe Servell, le fondateur de Terres de café, car les amateurs sont de plus en plus nombreux à vouloir connaître la provenance et le niveau de qualité de ce qu’ils boivent. Le café de spécialité est désormais le segment qui progresse le plus chaque année. » « Le bio certifié représente entre 17 et 20 % du marché mondial, renchérit Stéphane Comar, torréfacteur et président de la branche française de la SCA. Mais c’est même davantage, aux alentours de 50 % de l’ensemble du marché, car du café bio est aussi vendu en conventionnel par des petits producteurs (80 % des exploitations dans le monde font environ un hectare et appartiennent à des familles qui n’ont ni l’argent ni le réflexe de se faire certifier en bio, ndlr) qui ne veulent rien jeter. »
S’il y a un produit qui incarne parfaitement cette vague, c’est la capsule, aussi baptisé « le portionnable » par les spécialistes. Introduite en 2006 par Nespresso et son ambassadeur George
Clooney, elle représente déjà 11 % des ventes mondiales, et les spécialistes prédisent une nouvelle vague de croissance de 45 % d’ici fin 2020, malgré son prix assez élevé.
74 % PLUS CHER
Les Français ont particulièrement adhéré : rapporté à la consommation par habitant, l’Hexagone est le premier marché mondial de la capsule (58 % du chiffre d’affaires du café à domicile) devant les États-Unis et l’Allemagne, et même le deuxième en volume derrière les États-Unis. Les ventes de capsules dans la grande distribution totalisent 1,2 milliard d’euros en France. Les fabricants devraient cependant prêter attention à un point : leur impact environnemental fait de plus en plus grogner les consommateurs. Le suremballage (1,5 gramme pour... 5 grammes de café) et le non-recyclage des produits en fin de vie sont particulièrement visés. Chaque kilo d’emballage produit génère entre 3 et 4 kg de gaz à effet de serre, soit autant voire plus que la production du café (entre 2 et 4 pour chaque kilo), et les dosettes en aluminium réclament deux fois plus d’eau que celles en plastique.
Une autre source de mécontentement pourrait venir de la forte augmentation des prix du café, essentiellement dûe à la très forte concentration du marché. Si la France est ainsi devenue un marché dit « mature », sa croissance est essentiellement due à l’augmentation des prix et non à celles des volumes. Ainsi, tous formats confondus (paquets, capsules), le prix du kilo de café est passé de 9,10 euros le kilo en 1994 à 15,80 euros en 2017, soit 74 % d’augmentation (les volumes, eux, ont progressé de 54% en quinze ans). Une croissance qui s’explique aussi par la répercussion des sommes investies dans le marketing, le storytelling et le packaging des capsules. Au final, « le paradoxe du café » ne se dément pas depuis le début des années 2000 : les pays producteurs sont confrontés aux prix les plus bas depuis un siècle alors que la valeur des produits à base de café dans les pays consommateurs ne cesse d’augmenter. Même dans son modèle économique, le café est devenu l’archétype d’un succès mondial.