GQ (France)

Une brève histoire du blanc.

Couleur ambitieuse pour l’homme, le blanc, s’il est maîtrisé, peut donner des merveilles. Encore faut-il savoir d’où il vient.

- PAR OLIVIER NICKLAUS

SI L’ON REMONTE à ses origines, le blanc a longtemps été réservé au linge de maison et aux sous-vêtements. D’abord, parce que, symbole de pureté, on lui prêtait des valeurs d’hygiène idéales pour les draps et les slips. Aussi parce que ces sous-vêtements, qu’on faisait constammen­t bouillir pour les laver, finissaien­t par perdre leur couleur et devenir blanc, écru, ou beige. Si les chemises blanches ont connu un tel succès, c’est parce qu’on les considérai­t comme des sous-vêtements, ceux qui sont en contact direct avec la peau et qui doivent être immaculés pour prouver la propreté de celui qui les porte. Au XIXe siècle, par exemple, la chemise blanche doit rester à l’abri des regards sous les vestons et manteaux d’hommes. Seuls les cols et les manchettes sont visibles, ils deviennent d’ailleurs des éléments détachable­s qu’on choisit selon l’occasion, la saison et la mode du moment. Le col blanc est ainsi réservé à une élite, d’où l’expression « col blanc » pour désigner les cadres, a contrario des « cols bleus », les ouvriers. Ce marqueur social triomphera à l’ère industriel­le, où aucun employé de bureau ne s’imaginerai­t porter autre chose qu’une chemise blanche cravatée sous son costume sombre.

Propre et salement sexy

Au XXe siècle, la chemise blanche se voit concurrenc­ée par le T-shirt blanc. Lancé par l’US Navy en 1913, il n’est alors qu’un maillot de corps porté sous l’uniforme pour des raisons essentiell­ement pratiques : il absorbe la transpirat­ion et est facilement lavable. À la fin de la Première Guerre mondiale, il gagne en popularité auprès des civils, et c’est pendant la Seconde Guerre mondiale qu’il traverse l’Atlantique. Cette image du style américain par excellence sera renforcée par les icônes hollywoodi­ennes : Marlon Brando dans Un tramway nommé désir en 1951, et James

Dean dans La Fureur de vivre en 1955. Ainsi porté, il incarne la virilité à son comble, alors que le total look blanc est vu à cette époque comme féminin, notamment à cause de la virginale robe de mariée. Ce T-shirt blanc est donc un paradoxe : il transpire la virilité, voire une certaine saleté sexuelle, alors que son but premier est de renforcer l’idée d’hygiène. S’il devient le symbole du flegme et de la décontract­ion sexy, personne ne songerait à porter du blanc autrement qu’en T-shirt ou en chemise à cette époque.

Le chic jean

Il faudra attendre les années 1970 pour le total look blanc. Un Elvis Presley bedonnant ose sur scène ses légendaire­s costumes blancs – pattes d’eph, col relevé, veste frangée, laçages et incrustati­ons de pierreries no limit. Chez nous, ce look est récupéré par Joe Dassin, Claude François ou Johnny Hallyday. Même Serge Gainsbourg met son grain de sel dans l’histoire avec ses fameuses Repetto blanches. Un style show-biz qui trouvera son paroxysme dans les fameux dîners blancs d’Eddie Barclay à Saint-Tropez, où tous les invités sont en blanc, de Carlos à Alain Delon. Le concept est aujourd’hui transposé à Paris, aux Tuileries, pour fêter le début de l’été. En effet, le blanc est parfait pour les beaux jours puisqu’il renvoie la lumière quand le noir l’absorbe. Une pièce néanmoins se taillera un certain succès : le jean blanc. Venu d’Italie, il est d’abord pris avec circonspec­tion.

S’il est parfaiteme­nt coupé, il peut pourtant s’avérer le comble du chic porté avec de très beaux souliers, un blazer ou simplement un col roulé – même en hiver, donc. C’est ainsi, petit à petit, que le blanc a fini par s’imposer comme un incontourn­able du vestiaire masculin, gagnant même un côté minimal, comme le très populaire noir. Il peut désormais se porter en total look, et la pointure en la matière est Martin Margiela, qui en a fait un code de sa communicat­ion, repeignant l’intégralit­é de ses boutiques en blanc, quand ce n’est pas les vêtements eux-mêmes : ses vestes en jean repeintes en blanc sont aujourd’hui dans les musées. Devenu ultrachic, le blanc se retrouve dans les collection­s contempora­ines de créateurs comme Simon Porte Jacquemus qui, lors de son premier défilé masculin baptisé « Le Gadgo » (pour le printemps-été 2019), dans les calanques de Marseille, multipliai­t les ivoires, beiges et écrus, ou Virgil Abloh qui, lors de son premier défilé pour Louis Vuitton, la même saison, poussait le total look blanc à son comble avec costumes, sneakers et sacs immaculés. Il faut dire que le sportswear et le streetwear ont beaucoup contribué à la popularisa­tion du blanc. C’est par eux que les baskets blanches et les joggings blancs ont fini par se fondre dans le vestiaire urbain contempora­in et qu’aujourd’hui, les mecs les plus stylés en blanc sont souvent des rappeurs et des sportifs, tels Orelsan ou Kylian Mbappé. Le paradis blanc a encore de beaux jours devant lui.

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Michael Jackson
Bryan Ferry
Tom Wolfe Michael Jackson Bryan Ferry
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Jared Leto
Warren Beatty
Kanye West Jared Leto Warren Beatty

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