GQ (France)

Florian Zeller sort son premier film, The Father, et c’est un coup de maître.

Dans The Father, son premier film, l’écrivain français plonge le spectateur dans un labyrinthe mental renversant et met en scène un Anthony Hopkins sénile et bouleversa­nt. Un coup d’essai, et un coup de maître.

- PAR JEAN PERRIER.

PARMI VOS DOUZE pièces de théâtre, vous avez choisi d’adapter Le Père. Pourquoi celle-ci ?

Quand j’ai écrit la pièce (créée en 2012, ndlr), l’histoire d’un homme âgé qui perd ses repères, j’avais des points d’appui, comme mon histoire personnell­e. J’ai accompagné ma grand-mère dans la maladie, donc ça m’était familier. Pour autant, mon projet n’était pas de raconter ma vie, mais plutôt de partager des émotions que je savais collective­s. Quand la pièce a été représenté­e, partout dans le monde, les gens venaient vers nous pour évoquer leur propre histoire. J’ai alors compris la dimension cathartiqu­e de cette expérience. Et pour moi, c’est ça la vocation du cinéma : faire comprendre au spectateur qu’il appartient à quelque chose de bien plus large que lui-même.

Quel était le principal défi, ne pas faire du « théâtre filmé » ?

Oui, quand on adapte une pièce de théâtre au cinéma, on vous conseille d’ajouter des scènes en extérieur. Je voulais au contraire utiliser un lieu clos, l’appartemen­t du personnage, qui me permettait de raconter l’histoire de façon très visuelle. Ce lieu devait devenir un espace mental. Il fallait travailler ce sentiment de désorienta­tion que traverse « Anthony », le personnage principal. Je voulais que le spectateur ressente lui-même l’incertitud­e face au réel. C’est l’intuition que la mémoire est plus liée à l’espace qu’au temps... En fait, c’est une expérience immersive.

Je me souviens de Mulholland Drive de David Lynch, que j’adore, et ce qui m’avait frappé, c’est que la narration laisse un espace que chacun peut investir. J’aime miser sur l’intelligen­ce du spectateur.

Bon, racontez-nous, comment avez-vous réussi à convaincre Anthony Hopkins ?

Ce n’était déjà pas simple de joindre son agent ! Mais un jour, celui-ci me dit qu’Anthony a lu le scénario et qu’il souhaite me rencontrer. J’ai pris un billet pour Los Angeles, j’avais l’impression de jouer ma peau. On a pris un petit-déjeuner ensemble et discuté de la pièce rapidement, il savait où je voulais en venir, il est très instinctif. Et à la fin de la rencontre, il m’a fait un hug en me disant : « Je te suis. » C’est quelqu’un de très généreux, solidaire. À 83 ans, il est encore cet acteur qui se met en danger. Il a dû se connecter à des endroits de son être qui étaient parfois douloureux, violents. Ce n’était pas facile pour lui.

Vous n’étiez pas intimidé de lui demander de jouer des scènes presque humiliante­s ?

Non, pas intimidé... Après, c’est mon premier film, lui a une très longue carrière, et quand un réalisateu­r fait une erreur, il perd vite sa crédibilit­é face un comédien de ce calibre.

On a eu des moments de conflit. Et quand Hopkins est en conflit avec vous, ça fait trembler les murs ! Mais il a été un partenaire très joyeux, ouvert, sans ego. Et il n’y a pas une journée où nous ne sommes pas tombés dans les bras l’un de l’autre à la fin du tournage. Il s’agissait de tensions tendres, en réalité.

Sans dévoiler la fin, racontez-nous la dernière scène...

C’était la scène la plus difficile à tourner car c’est la destinatio­n finale du film, et on savait tous les deux que si elle n’était pas parfaiteme­nt exécutée, le film perdait toute sa puissance. L’enjeu, c’est qu’il ne fallait surtout pas qu’Anthony imite un vieux monsieur malade. Je voulais gommer toute dimension fictionnel­le pour voir en face de moi le vrai Anthony Hopkins. Ce fut compliqué entre nous deux à ce moment-là, je lui demandais de puiser loin dans ses émotions, et c’est comme si j’exigeais de lui qu’il souffre encore et encore. Quand on a coupé, tout le monde pleurait sur le plateau. C’était un moment d’une grande beauté.

On sent chez vous une forme d’aisance naturelle. Rassurez-nous, il y a aussi eu des moments de doute ?

Faire ce film a été un véritable parcours du combattant. Le tournage a été décalé plusieurs fois en raison de la pandémie. La recherche de financemen­ts a aussi été très complexe. C’est un film britanniqu­e et on n’a pas bénéficié de ce qu’offre le cinéma français : le CNC, les aides publiques... Je me suis rendu compte alors à quel point la France est un pays qui soutient ses artistes.

Vos pièces sont jouées dans le monde entier, ont reçu de nombreuses récompense­s. Votre premier film compte quatre nomination­s aux Golden Globes. À bientôt 42 ans, quels sont vos prochains rêves ?

J’en ai plein ! J’ai une angoisse, c’est que ma vie soit figée. J’aime aller vers l’inconnu. Ça me fait peur, parce que je ne suis pas l’aventurier de l’année, mais je ne veux pas refaire les choses mille fois. J’ai en tête une autre adaptation : Le Fils...

Mais là, je veux rester concentré sur The Father et son accueil par les spectateur­s. C’est très fragile un film, c’est une somme de petits miracles. Et j’espère que, d’une façon ou d’une autre, j’aurai l’occasion de partager ces émotions avec le public. The Father de Florian Zeller, sortie prévue le 7 avril.

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