GQ (France)

Eddy de Pretto nous parle de sa passion pour Blond, l’album de Frank Ocean.

Chaque mois, un artiste nous révèle l’oeuvre qu’il considère comme un choc visuel, émotionnel ou intellectu­el, voire une influence majeure. Le nouvel invité de GQ, Eddy de Pretto, nous parle de sa passion pour l’album Blond de Frank Ocean.

- PAR SOPHIE ROSEMONT

DÈS LE SINGLE « FÊTE DE TROP », sorti en 2017, Eddy de Pretto a imposé non seulement une musique à la croisée des genres, entre hip-hop, pop et chanson française, mais aussi une allure inimitable de bad boy de Créteil, excessivem­ent mondain et ouvertemen­t homosexuel. Il n’est donc guère étonnant si son premier album, Cure, repaire de tubes immédiats, a été l’un des plus gros succès récents de l’industrie du disque française. Trois fois certifié disque de platine, il a valu au jeune homme une tournée à guichets fermés... et quelques saisons de réflexion avant de livrer son second effort, À tous les bâtards. On y retrouve la gouaille d’Eddy, son groove, son timbre de voix à la Nougaro et, enfin, son engagement pour un monde sans discrimina­tions. C’est ce qui se trouve dans le deuxième album du rappeur américain Frank Ocean, Blond, dont l’écoute l’a bouleversé et qu’il évoque ici pour nous.

« Quand j’ai sorti mon premier disque, je ne connaissai­s pas Frank Ocean. Or, beaucoup de gens m’en parlaient, établissai­ent des parallèles entre sa musique et la mienne. Lorsqu’en 2019, j’ai enfin écouté Blond, j’ai été soufflé. Par les harmonies, les textes, la production, l’émotion... J’ai d’abord été saisi par le morceau “Seigfried”, plus de cinq minutes de lenteur graduelle et atmosphéri­que. Il m’a pris aux tripes. J’aime également “Self Control”, “Godspeed”, “Nikes”... C’était une période où j’avais besoin de me nourrir ailleurs, j’étais effrayé par l’écriture de mon second album. Franck Ocean a été un gros vivier pour mon inspiratio­n, il a confirmé ce que j’avais déjà exploré avec Cure tout en offrant de nouveaux territoire­s à découvrir dans À tous les bâtards. Ce qui me touche chez lui, c’est la complexité de son personnage et de sa musique. Il baigne dans la culture hip-hop, il a collaboré avec Kanye West et Jay-Z, des figures de l’électro comme James Blake et

Bon Iver. Pourtant, ses mélodies sont quasi lyriques, se distinguen­t de la scansion habituelle du hip-hop. Au-delà du rap, il y a énormément de soul dans les envolées vocales et instrument­ales de Frank Ocean. Ce n’est pas un hasard si, dans Blond, il est entouré des meilleurs musiciens du monde : Pharrell Williams, Kanye West, Chassol... Frank Ocean m’a ouvert à Daniel Caesar, Kevin Abstract, Tyler the Creator, tous ces artistes chantant merveilleu­sement bien, qui pourraient assurer en a capella partout alors que ce sont des pointures du rap. Moi aussi, le chant est ce qui me transporte le plus, avant d’imaginer les mots racontant mes histoires, avant la culture urbaine dans laquelle j’évolue. Je n’oserais jamais me comparer à Frank Ocean, tellement au-dessus du lot, mais je me suis reconnu dans son ambition artistique : mélanger des genres a priori contradict­oires pour en faire une musique dont on espère qu’elle touchera le public. Par ailleurs, nous cultivons des thématique­s similaires : la vision et, surtout, l’expérience de l’homosexual­ité dans un contexte socio-culturel qui peut se montrer défavorabl­e, le fait de se raconter de façon intime, sans s’excuser d’être ce qu’on est. Blond épouse ma conviction selon laquelle il faut s’exprimer précisémen­t comme on le ressent. Sur l’une de mes dernières chansons, “Tout vivre”, je chante qu’en publiant À tous les bâtards : “Je remets mon coeur en vente”. Car c’est intense, jusqu’à l’angoisse parfois, de se livrer autant. Enfin, il y a la pochette de Blond. On voit Frank Ocean sous la douche, recouvert d’eau, le visage sans doute baigné de larmes. Est ici représenté­e toute la dévirilisa­tion d’un homme se montrant à nu. On s’attend à ce qu’il soit blond au vu du nom du disque mais non, ses cheveux sont teints en vert – une excentrici­té qui contraste avec l’authentici­té et la sensibilit­é de ses paroles. »

À tous les bâtards d’Eddy de Pretto (Romance Musique), disponible.

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