Indociles, les Français ? Gaspard Gantzer répond à cette épineuse question.
Des « Gaulois réfractaires », les Français ? Ce n’est pas tout à fait l’avis de Gaspard Gantzer. Le président et fondateur de l’agence de communication Gantzer explique ici pourquoi le peuple parvient à maîtriser ses pulsions en temps de crise, et ce malgré l’amertume.
IL Y A UN AN, LE PRÉSIDENT DÉCRÉTAIT le premier confinement. Depuis l’Élysée, la voix grave, l’oeil affecté, il annonçait que nous allions devoir rester chez nous, pour stopper la progression d’une épidémie qui menaçait de submerger nos hôpitaux et d’emporter le pays. Nous avons changé de vie en un instant. Nous n’avons plus battu un cil, plus bougé une oreille, et, surtout, plus mis le nez dehors. Nous, les Gaulois réfractaires, les frondeurs, les révolutionnaires sans-culottes, les gavroches, les communards, nous avons mis de côté notre refus de l’autorité. Nous avons respecté docilement l’injonction présidentielle. Sans moufeter. Depuis, à chaque fois que le gouvernement prend une décision pour freiner la progression de l’épidémie, nous nous y conformons avec l’application de l’écolier du premier rang. Gestes barrières, fermeture des bars, musées et cinémas, couvre-feu, confinement, rien ne nous semble impossible. Certes, il y a quelques restaurants clandestins, bars cachés et fêtes improvisées. Certes, nous nous montrons de plus en plus mécontents, maudissant ce satané virus qui tue nos compatriotes et empêche de circuler. Certes, nous sommes tous un peu devenus épidémiologistes et ne pouvons nous empêcher de critiquer chaque décision de l’exécutif, comme on commenterait l’annonce de la composition de l’équipe de France de football, riant des coups de com’, soulignant les incohérences, stigmatisant les injustices. Certes, nous sommes tous las de cette épidémie sans fin qui semble recommencer chaque matin. Certes, nous pensons chaque jour au monde d’hier et rêvons chaque nuit du monde d’après. Certes...
Le respect et le civisme
Et pourtant, nous ne nous rebellons pas. Les appels à la désobéissance civile restent lettre morte. Les révolutionnaires restent chez eux. Pas de grand soir à l’horizon. Juste des longues soirées à la maison qui commencent à 18h00. Mais que sommes-nous devenus ? Avons-nous troqué nos dents de loup contre des dents de lait ? Avons-nous remplacé nos bonnets phrygiens par des bonnets de nuit ? Avons-nous remisé nos glaives gaulois et nos pavés des boulevards ? Cinq siècles après La Boétie, serions-nous de nouveau des disciples de la « servitude volontaire » ? On peut en douter. Si on ne connaît pas encore toutes les caractéristiques du virus ni la variété de ses effets secondaires, je ne pense pas qu’il agisse comme un anesthésiant de notre passion pour la contestation, cette fièvre hexagonale qui nous saisit à intervalles réguliers depuis plus de deux mille ans.
Non. L’explication se trouve ailleurs. C’est d’abord certainement la peur qui nous a guidés. Pris par surprise, saisis par l’effroi, nous nous sommes calfeutrés chez nous, dans nos petits appartements, pendant que d’autres fuyaient les villes à grandes enjambées pour repeupler la Bretagne, le Berry et la Sologne. La peur s’est cependant vite estompée. Elle a laissé place à la prudence, et, surtout, à des sentiments plus nobles : le respect et le civisme.
Le respect pour les plus fragiles, nos aînés, pour qui la maladie peut vite s’avérer dangereuse. Le respect pour nos soignants, en première ligne, au péril de leur vie, que nous avons applaudis chaque soir à nos fenêtres, à 20 heures, au printemps dernier. Le respect pour tous les soldats de l’ombre, de toutes les lignes, du manutentionnaire au boulanger en passant par le policier, le pompier ou le chauffeur de bus, qui, tous, ont continué à assurer. Nous avons fait preuve de civisme. L’épidémie nous a fait prendre conscience que nous étions interdépendants, que nous pouvions représenter un danger pour les autres, en les contaminant, mais que nous pouvions nous sauver collectivement, en faisant attention aux autres. Le Gaulois réfractaire est devenu exemplaire, montrant son meilleur visage, grognon mais responsable. Bien malin celui qui pourra deviner combien durera ce regain de civisme républicain. Résistera-t-il à l’épreuve du temps, si l’épidémie s’éternise, malgré nos efforts et les vaccins ? Survivra-t-il si nous en finissons avec cette fichue maladie ? On peut l’espérer. L’année écoulée a en effet aussi laissé poindre le pire (complotisme, délation, chacun pour soi...) et nos passions tristes pourraient vite reprendre le dessus. Mais ne nous en soucions pas aujourd’hui. Pensons plutôt à ce que nous ferons ce jour rêvé, quand nous pourrons enfin profiter de notre liberté retrouvée, embrasser, voyager, boire et danser, sans retenue, le coeur léger, avec la conscience tranquille de ceux qui l’ont bien mérité !
« AVONS-NOUS REMPLACÉ NOS BONNETS PHRYGIENS PAR DES BONNETS DE NUIT ? »