GQ (France)

Révélation masculine des dernières Victoires de la musique, Hervé se dévoile sans fard.

- PAR ÉTIENNE MENU,

Sacré révélation aux Victoires de la musique pour son premier album, Hervé est la nouvelle sensation Hyper, pop française. Néo Bashung branché sur 100 000 volts, le jeune Breton de 30 ans est un artiste à 360 degrés : auteur, compositeu­r, interprète, producteur, également artisan de son image. est tombé sous le charme... GQ

DANS SES CLIPS ou dans ses interviews, Hervé apparaît comme un garçon expansif et sain, qui parle en souriant beaucoup, danse dans sa cuisine, court dans la campagne ou roule en décapotabl­e, mais sans frimer. C’est un jeune trentenair­e mi-parisien mi-breton, un garçon bien dans sa peau et surtout bien dans son époque, à la fois sensible (voix à fleur de peau) et viril (crâne rasé, épaules et mâchoire carrées). Hervé nous assure, quand nous le rencontron­s quelques jours avant les Victoires de la musique 2021, qu’il ne gagnera probableme­nt pas le prix puisque Hatik, autre candidat nommé dans la catégorie « révélation masculine », « a vraiment tout déchiré en 2020 ». Mais le jury a donné tort à Hervé en le sacrant. Pendant l’heure et demie où nous lui parlons dans nos bureaux, sans caméra, Hervé Le Sourd (à l’état civil) laisse aussi deviner une forme de pudeur, voire de timidité passagère. Dans sa façon de parler de lui-même, de décrire son parcours, d’envisager son succès, d’évoquer son rapport très physique à la musique qu’il écoute et qu’il fait : Hervé a pile l’état d’esprit qu’il faut, la bonne « mentale ».

Ta musique mêle des influences distinctes : la chanson, la new wave, le rap et l’electro au sens « club » du terme. Comment astu découvert tout ça ?

Alors d’abord, vers 8 ans, j’ai un choc en entendant le son d’un piano. Ma mère a une compile genre « Les plus grands thèmes » avec des tubes pour piano solo et j’y suis tout de suite ultra sensible. À tel point que je demande à apprendre à en jouer et que je vais dans une école de musique de ma ville, Fontenay-le-Fleury, dans les Yvelines. Sauf que le solfège et les gammes, ça me parle pas du tout, et que je fais finalement un vrai blocage sur l’apprentiss­age de l’instrument – je ne comprenais pas du tout le truc ! Je finis par lâcher et au même moment, je me mets à beaucoup jouer au foot dans le club de Saint-Cyr, à côté de Fontenay. Ça devient de plus en plus sérieux, et je continue d’écouter de la musique : surtout du rap français, et un peu plus tard, ce qu’écoutaient mes parents – Higelin, Dire Straits, Les Rita...

Et comment en viens-tu à reprendre la musique ?

En gros, vers 15 ou 16 ans, je tombe sur un synthé pas cher dans l’hypermarch­é où on fait nos courses avec ma mère. Je commence à en jouer, puis je récupère une tour de PC et je cracke un logiciel de son.

Je comprends que je peux brancher le synthé sur la tour et donc m’enregistre­r, ça me rend dingue. Je reprends les cours de piano mais cette fois c’est à l’arrache, dans un local de Bois-d’Arcy à côté du Leclerc. Je n’y vais qu’une fois par mois et, surtout, j’y vais juste pour mémoriser les accords et les gammes que le prof me montre. Je photograph­ie tout ça mentalemen­t et quand le cours est terminé, je monte sur mon vélo et je rentre à fond chez moi, où je me dépêche de rejouer sur le synthé ce que j’ai mémorisé pour l’enregistre­r. Ce qui me branche direct, c’est de composer : ça m’obsède ! Très vite je comprends que c’est ça qu’il faut que je fasse de ma vie, pas autre chose. Je commence à produire mes premiers trucs que je file à mes copains rappeurs. Parce qu’au départ, comme j’écoute beaucoup de rap, mon but c’est de faire des instrus. À Fontenay et dans les villes autour, il y a une grosse culture rap, il y a La Fouine à Trappes et pas loin de chez moi il y a 13OR, qui rappe depuis les années 1990 dans l’Skadrille. On est voisins, je passe chez lui de temps et de temps et bref, je finis par me dire qu’en fait, bah c’est possible de percer là-dedans, même si en vrai je connais personne dans le milieu à Paname. Et je me retrouve à donner des instrus à des gens comme Niro ou Fianso qui ont pas encore explosé à l’époque, mais finalement les morceaux sortent pas.

On sait que ce n’est pas en tant que producteur de rap que tu t’es fait connaître. Comment tu en es arrivé à faire ce que tu fais aujourd’hui ?

Alors vers la même époque, 20092010, je rencontre deux potes qui viennent de se faire virer de leur lycée de Versailles. C’est un peu des marginaux, ou, disons, des excentriqu­es, et ils me racontent qu’ils font des soirées le week-end à Versailles ou qu’ils sortent à Paname dans des teufs. Je me mets à bouger avec eux mais dans ma tête, les clubs et tous ces trucs-là, c’est des endroits un peu chics. Donc je débarque habillé comme à un mariage, genre avec les chaussures à bout carré (rires). Sauf que là, bam, grosse teutar pour moi : je découvre l’electro. C’est comme dans Billy Elliot, quand on lui demande l’effet que ça lui procure, de danser : de l’électricit­é. C’est l’époque de Justice, Ed Banger, les sons hyper saturés, ça me parle à fond parce que je suis moi-même saturé d’hormones. Ça me transcende direct. Et je me rends compte, en tant que producteur, que c’est la musique parfaite pour moi, parce que j’ai pas besoin d’attendre qu’un rappeur prenne mon instru

– il n’y a pas de voix, ou seulement des samples de voix. Je sors beaucoup au Social Club, mais je ne me vois pas DJ, je préfère me concentrer sur la prod. En 2012 je m’installe à Paris, dans une petite piaule que ma mère a réussi à me choper parce que le proprio est breton (rires).

Tu faisais tes sons en solo. Comment tu t’es retrouvé à monter le duo Postaal ?

Ça faisait un moment que je faisais mes prods dans mon coin et, en 2014, je rencontre un chanteur et musicien anglais, Dennis, et on se met à faire des morceaux sous le nom de Postaal. On a la chance de démarrer très vite via un manager anglais, ce qui me permet de me profession­naliser et de comprendre l’industrie. On va souvent en Angleterre et là, j’ai à nouveau un gros choc en découvrant toute la culture club britanniqu­e. Pour moi, avant, la jungle et la drum & bass, c’était juste la musique de Matrix ou de « FIFA » (rires). Et là je vois des soirées énormes, avec des MCs et tout, et des gens qui pètent des câbles dessus. Je découvre les Happy Mondays aussi, avec beaucoup de retard, j’avoue, et par eux je découvre tout le rock anglais. Et puis je me remets à la chanson française, Bashung notamment. Je me rends compte que c’est la même mécanique d’écriture que dans le rap français ! Un truc de ouf, de comprendre ça. Je me replonge dans Daho, Higelin, et je réalise que des artistes comme Stromae ou Christine and the Queens sont devenus des grosses stars en France en faisant leur musique eux-mêmes, sans dépendre de producteur­s. À partir de 2016, j’ai eu envie de me lancer sur un projet en solo.

Je me suis posé chez mon père, en Bretagne, où j’ai enregistré quatre ou cinq maquettes. Pour mes textes, je me prends grave la tête. Parce que je respecte autant les grands paroliers de la chanson française

– Boris Bergman, Jean Fauque, Daniel Tardieu... –, que les grosses plumes du rap français – Lino, Kery James, Salif, Nessbeal, Aketo de Sniper... – qui ont une grande exigence d’écriture. Et j’ai aucune envie qu’on me dise que mes textes sont pétés, y a pas moyen.

Mais tu te considères comme un chanteur pop, de variétés ?

En tout cas, depuis peu, je cherche à faire des refrains que les gens peuvent reprendre ! Sur mes premiers titres, je gardais des réflexes club : même si je chantais, la constructi­on, c’était une montée, et puis un drop avec la basse et le beat. Sauf qu’en jouant en festival, je me suis aperçu que les gens avaient beau reprendre un peu mes paroles, ils chantaient quand même beaucoup plus devant les autres groupes, et j’ai compris pourquoi : c’est que les chansons des autres groupes, bah elles avaient des refrains (rires). Donc je me suis mis à écrire en mettant des refrains, en plus des drops !

Ton public, d’ailleurs, à quoi il ressemble ?

Franchemen­t, il y a de tout ! Toutes les classes sociales, tous les âges, des vieux rockeurs, pas mal de kids. Mais je vois beaucoup plus de filles que de garçons, quand même.

C’est intéressan­t parce que tu n’es pas non plus une teen idol à la Harry Styles. Comment tu te places dans les rapports hommes/femmes ?

Je ne suis entouré quasiment que de femmes, et de femmes qui se sont faites toutes seules : ma D.A., ma chef de projet, ma dir prod, mon ingé son en live. Et puis j’ai grandi avec ma maman, je l’ai vue mener sa vie comme elle l’entendait, me transmettr­e tout ça. Je sais que le modèle machiste s’est perpétué pendant longtemps et qu’il est encore là, et si je vois autour de moi des mecs qui disent des trucs ou entretienn­ent des idées misogynes, je leur dis direct qu’il y a pas moyen de parler comme ça. Mais autour de moi, je n’ai que des modèles de réussite féminine. J’ai presque une fascinatio­n pour ça. Je ne suis pas une femme, c’est sûr, mais la façon qu’ont celles dont je suis proche de voir le monde et l’existence, je crois que c’est un truc que j’ai connu et que j’ai vu directemen­t.

Tu imagines évoluer comment ? Est-ce que tu penses développer l’écriture pour d’autres, comme tu l’as déjà fait pour feu Johnny ?

Ce texte, c’est une histoire lunaire. Je passe au studio pour signer je ne sais plus quel papier et je croise Maxime Nucci, aka Yodélice, qui me dit qu’il est en train de bosser sur une maquette pour le futur disque de Johnny et qu’il a besoin d’un texte en urgence parce qu’il part enregistre­r avec Johnny à Los Angeles dans les jours qui suivent. Il me fait écouter la chanson avec une voix en « yaourt », et on se met à écrire des paroles tous les deux. Maxime me rappelle une fois qu’il est en Californie et me dit que Johnny a adoré. Du coup, la chanson est sortie avec notre texte... Mais depuis, je n’ai pas vraiment cherché à percer dans ce circuit des paroliers. Je crois que je préfère me concentrer sur mes propres chansons !

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PHOTOGRAPH­IES ALEX MAJOLI, STYLISME AZZA YOUSIF.
 ??  ?? Costume croisé en flanelle de laine et cravate en soie Hermès. Chemise en popeline de coton Charvet.
Pull col V sans manches en laine AMI ALEXANDRE MATTIUSSI. Chaussette­s en coton Falke. Derbies Golf triple semelle en veau box J.M. Weston.
Costume croisé en flanelle de laine et cravate en soie Hermès. Chemise en popeline de coton Charvet. Pull col V sans manches en laine AMI ALEXANDRE MATTIUSSI. Chaussette­s en coton Falke. Derbies Golf triple semelle en veau box J.M. Weston.
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Polo en maille de coton Fred Perry. Pantalon rayé en laine Acne Studios.
 ??  ?? Veste de survêtemen­t vintage Adidas @Foxdenshop. T-shirt en coton American Vintage. Pantalon en coton Louis Vuitton. Chaussette­s en coton Falke.
Derbies en cuir ciré Adieu Paris.
Veste de survêtemen­t vintage Adidas @Foxdenshop. T-shirt en coton American Vintage. Pantalon en coton Louis Vuitton. Chaussette­s en coton Falke. Derbies en cuir ciré Adieu Paris.
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 ??  ?? Costume croisé en flanelle de laine Hermès.
T-shirt loose en coton ADN.
Costume croisé en flanelle de laine Hermès. T-shirt loose en coton ADN.

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