Vingt ans après ses débuts méprisés, la téléréalité est devenue une véritable cash-machine.
Vingt ans après l’apparition de la téléréalité en France avec « Loft Story », le business des candidats semble n’avoir jamais été aussi florissant. Retour sur l’histoire d’une cash-machine.
AU VOLANT DE SA MERCEDES G500 imitation marbre noir, Dylan Thiry roule vite. Il fait beau, il fait chaud. Tandis qu’il longe la côte, les basses d’un morceau de trap résonnent à travers les vitres baissées. Oubliez SaintTropez. Désormais, quand on est influenceur et star de la téléréalité, c’est à Dubaï qu’il faut vivre. Les ingrédients du rêve, eux, n’ont pas changé : plage, palmiers et voitures de luxe, égrainés à longueur de « stories », ces courtes vidéos personnelles que l’on met en ligne sur Instagram. Sur le réseau social, les 750 000 abonnés de Dylan peuvent tout suivre de son quotidien, à raison d’une trentaine de publications par jour. Grâce à elles, on pénètre même l’intérieur lambrissé de la chambre qu’il a louée à l’année au Five Palm, un luxueux hôtel planté face à la mer. Pratique pour un journaliste... Il y a un peu plus d’un an, ce Luxembourgeois d’origine a rejoint les autres stars de téléréalité – Nabilla Benattia, Jazz Correia, Jessica Thivenin et Thibault Garcia – pour s’installer dans la mégalopole émiratie. Une vie meilleure ? « Une vie plus ensoleillée », corrige par téléphone le beau gosse tout en muscles, cheveux longs et yeux azur. Si Dubaï se transforme peu à
peu en résidence dorée pour vedettes médiatiques, « c’est surtout pour les impôts », reconnaît-il honnêtement. Pas de taxation sur les sociétés ou les revenus... De quoi séduire ce vingtenaire à la tête d’un petit empire commercial. « Il y a des mois où je fais un placement de produit à 18 000 euros, d’autres à 40 000... Ça varie tout le temps », précise Dylan, qui assume ses gains rapides sans rougir. Grâce à ses photos et vidéos vantant les mérites de marques qu’il publie sur les réseaux sociaux, il estime son revenu annuel proche des 600000 euros. Pour les héritiers du « Loft », la téléréalité est devenue un business comme un autre. Et il n’est pas de tout repos. En plus du partage de ses moindres faits et gestes en images, il faut interagir en permanence avec sa « communauté », répondre à quantité de mails et de messages. Une somme d’obligations qui l’amène à passer près de seize heures par jour sur son portable, douze rien que sur Instagram ! « C’est vraiment abusé », lâche-t-il devant les statistiques du smartphone.
La carrière de Dylan a commencé en 2017 par un simple message sur Facebook. Une responsable des castings qui avait repéré ses photos de mannequin amateur lui propose un rôle de « prétendant » dans l’émission « Les Princes de l’Amour » (W9). Refus de l’intéressé qui nourrit alors des rêves de Légion étrangère. Pour lui, ce sera « Koh-Lanta » ou rien. Dans le milieu, son nom commence à circuler et sa détermination fait le reste. Quelques semaines plus tard, il débarque au Cambodge lors de la 17e saison de la mythique émission. Loin de s’en satisfaire, le néo-aventurier arrive avec un plan de bataille : « Je ne voulais pas être un candidat perdu parmi les autres. Il fallait que je marque les esprits. » Pour cela, il suffira d’un accessoire de sa garde-robe, soigneusement glissé dans son baluchon : des mocassins Gucci à boucle dorée. Lors du premier épisode, on le voit arpenter la jungle locale avec ces précieux godillots aux pieds. Pour des millions de téléspectateurs, le moment devient une séquence culte où l’on s’amuse gentiment de sa pseudo-naïveté. Lui, sait qu’il a fait mouche : « Le coup des mocassins, c’était préparé. Après ça, toutes les émissions m’ont contacté. »
Pour Nathalie Nadaud-Albertini, sociologue et spécialiste de ce genre audiovisuel, cette roublardise médiatique est bien le signe de l’évolution des temps : « Aujourd’hui, l’émission de télévision n’est plus qu’un élément de parcours pour les candidats car ils ont en tête l’idée qu’on peut faire carrière dans ce milieu. Alors dès les castings, ils se posent la question du personnage qu’ils vont incarner et le jouer à fond. » Pour passer au premier plan, il faut un « caractère ». Comprenez une personnalité suffisamment forte et extravertie pour attirer les caméras vers soi. Dylan Thiry, qui, après « Koh-Lanta », s’est notamment illustré dans « La Villa des Coeurs Brisés » (TFX), nous fait profiter de son expérience : « Je me souviens d’un tournage où une candidate attendait que les caméras soient éteintes pour commencer à parler ou critiquer. C’est pas bon, ça ! Si tu veux pas draguer ou faire des histoires devant les caméras, reste chez toi. Ne fais pas de la téléréalité. » En comparaison, les pionniers de la téléréalité et leur candeur des premières fois ressemblent aux vestiges d’une civilisation cathodique révolue.
La cigarette qui met le feu aux poudres
La date du 16 septembre 1999 ne figure pas encore dans les manuels d’Histoire. Ce jour-là, « Big Brother » débarque sur les écrans de la petite chaîne du câble néerlandais Veronica. La télévision n’aura plus jamais le même visage. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, lors de son lancement, cette expérience d’enfermement collectif produite par la société Endemol est un ovni médiatique au succès incertain. Les trois premières semaines du show frisent même le fiasco. « On faisait des réunions entre les dirigeants de la chaîne, les gens d’Endemol et John de Mol lui-même (alors PDG de la société, ndlr). On s’était même demandé s’il ne valait pas mieux arrêter le programme parce que l’audimat était trop bas », se souvenait Unico Glorie, ex-directeur de Veronica, dans une interview filmée en 2011. Heureusement pour eux, un événement inattendu va renverser la situation. Ou du moins, quelque chose qui en a l’apparence...
À l’époque, Sabine Wendel a 25 ans. Elle fait partie des huit candidats à participer à cette première mondiale : « Passer cent jours coupés du monde extérieur avec des inconnus, ça me semblait une vraie expérience sociale. Le fait d’être filmée en permanence était presque secondaire », explique celle qui, aujourd’hui, est agente immobilière à Amsterdam. Au cours de l’aventure, elle a un coup de coeur pour Bart, 22 ans. Une idylle se noue rapidement entre eux : « C’était assez innocent, un peu comme une histoire de vacances. Mais la production avait clairement un scénario en tête. Ils ont fait de nous un vrai couple, avec une grande histoire d’amour. » Pour faire monter la mayonnaise audiovisuelle, un peu de romance ne peut pas nuire mais tout ça manque un peu de piment. Après quelques jours de flirt, l’émission diffuse une séquence explicite à la lumière des caméras infrarouges. Premier plan : on voit Sabine et Bart s’allonger dans un lit et s’installer sous une couverture. Ellipse. Plan suivant :
allongés côte à côte, ils partagent une cigarette. Message reçu pour le public. Bart et Sabine « l’ont fait »... Sauf que pas vraiment : « Je sortais d’une longue histoire d’amour et au bout de six semaines d’enfermement, je n’ai rien fait de plus que de m’amuser un peu sous une couette ! Avec cette scène de la cigarette, ils ont suggéré que nous étions allés au bout. Mais ce n’était pas le cas. » On pourrait croire la différence triviale... Mais dans le cas de Sabine, les conséquences sont lourdes. « Bart n’a rencontré aucun problème. Moi, à la sortie, on m’a prise pour une fille à la vie dissolue, et régulièrement, des gens que je n’avais jamais rencontrés m’abordaient pour me parler de ma sexualité. En plus, à chaque émission où on m’invitait, on rediffusait la scène... Quand une marque de saucisses s’est servie de ces images pour en faire une publicité, j’ai réalisé que je ne pourrais jamais m’en débarrasser. »
Deux ans avant la piscine de Loana et Jean-Edouard, c’est un raz-de-marée médiatique et sexiste. L’expérience sociale rêvée par Sabine Wendel se transforme en peepshow national devant lequel quinze millions de Néerlandais se rincent l’oeil : « Ça a suscité beaucoup de réactions, bien que nous soyons un pays très ouvert d’esprit. Mais d’un autre côté, l’audimat n’arrêtait pas de monter », résume à sa manière Unico Glorie. De 6% des téléspectateurs au début de l’émission, les audiences explosent pour culminer à 75% le soir de la grande finale... Sans la cigarette de Sabine et Bart, qui sait ce que serait devenue la téléréalité ?
« UNE CANDIDATE ATTENDAIT QUE LES CAMÉRAS SOIENT ÉTEINTES POUR CRITIQUER. SI TU VEUX PAS DRAGUER OU FAIRE DES HISTOIRES, RESTE CHEZ TOI. NE FAIS PAS DE TÉLÉRÉALITÉ. » DYLAN THIRY, ANCIEN DE « KOHLANTA » DEVENU ENTREPRENEUR
La révolte des candidats
En France, la naïveté des Lofteurs est similaire à celle des cobayes néerlandais. Julie Mercy, l’une des onze célibataires du jeu, se rappelle encore de sa surprise lorsque la production lui a révélé le concept réel de « Loft Story » : « Au moment des castings, on pensait tous qu’on allait participer à une sorte de “Tournez manège” ! » (émission
de rencontres diffusée sur TF1 dans les années 1990). Avant de les faire entrer dans les 225 m2 du loft, Endemol leur a bien stipulé par écrit la nature de l’expérience : un programme d’enfermement avec captation d’images 24h/24. Mais pour la plupart d’entre eux, le dispositif technique reste vague. « Au démarrage, on s’est rendu compte qu’il y avait vraiment des caméras partout ! On ne pensait pas, par exemple, qu’il y en aurait une dans les toilettes... Ça nous a un peu surpris », explique l’ex-candidate. Dans une des séquences du programme, Philippe, l’intello à lunettes, découvre lui que le fameux confessionnal est équipé d’une caméra. Déstabilisé, il lance à ses camarades : « Ils nous l’avaient pas dit, les saligauds ! » Peu regardants sur les conditions du jeu, ces vingtenaires de l’an 2000 le sont encore moins lors de la signature de leur contrat avec Endemol. Incapables de prévoir la célébrité qui découlera de leur médiatisation, ils acceptent de céder la moitié de leurs gains à chaque contrat signé dès leur sortie du jeu... Loana Petrucciani, la grande gagnante, résume leur état d’esprit : « Je me disais qu’il valait mieux toucher 50% de quelque chose que de ne rien toucher du tout. » Laure Delattre, la candidate BCBG du groupe et plus procédurière, fait pourtant relire les clauses par son avocate. Effarée par ce qu’elle y trouve, celle-ci contacte la presse et force la production à renégocier de nouvelles dispositions plus équilibrées. C’est le premier acte de la révolte des candidats.
Malgré cette déconvenue, à l’époque, la téléréalité est de loin l’affaire la plus rentable de l’histoire du Paf. D’abord, grâce à son coût de production relativement modeste. Rapporté au nombre d’heures de programme diffusées, le « Loft » est considéré comme moitié moins cher qu’une fiction française. La raison de cette économie tient dans l’ingrédient principal du programme : le lofteur. L’indemnité offerte aux participants est alors ridiculement
basse, à peine deux euros de l’heure ! Difficile de trouver un travailleur de l’audiovisuel meilleur marché... Grâce à ses audiences records et son pic à 11,7 millions de téléspectateurs lors de la finale, « Loft Story » se transforme en machine à cash. Les recettes publicitaires générées par M6 auraient atteint près de 55 millions d’euros, auxquels il faudrait ajouter quelques millions supplémentaires pour les produits dérivés et les SMS surtaxés des votes de téléspectateurs. Pendant ses toutes premières années dorées, la téléréalité française a encore les coudées franches. Mais un jeune avocat va venir changer la donne.
En mai 2003, Jérémie Assous a 26 ans. Deux mois après avoir prêté serment, il voit débarquer dans son cabinet un ex-participant de « L’Île de la Tentation », produit à l’époque par Glem (filiale du groupe TF1) : « Il avait vendu des photos de lui à un magazine et la production lui réclamait 15 000 euros par cliché. Je me suis donc plongé dans son contrat. » L’avocat, qui n’a pas suivi l’émission à la télévision, apprend les conditions du tournage : horaires de présence, obligation de participer à certaines activités, de ne pas communiquer avec l’extérieur... Il n’en revient pas : « Ça m’a tout de suite sauté aux yeux : c’était un contrat de travail déguisé. » Le jeune Me Assous va s’engouffrer dans la brèche et tout mettre en oeuvre pour faire requalifier les contrats de son client et ceux de deux autres participants du jeu. Cinq ans plus tard, il obtient gain de cause devant la cour d’appel de Paris. Bilan de l’action : 27000 euros de dédommagements pour chacun. Le monde de l’audiovisuel a pris un coup sur la tête. Après avoir défendu près de 500 clients issus de la téléréalité, l’avocat savoure son tribut de guerre : « Si vous prenez “L’île de la Tentation” ou “Koh-Lanta”, je leur ai coûté des dizaines de millions d’euros ! » Au-delà de l’aspect pécuniaire, c’est surtout une victoire en termes de jurisprudence. En 2009, la Cour de cassation confirme le principe du contrat de travail pour ses participants. Les candidats de téléréalité sont désormais des salariés comme les autres. Pour s’en sortir, l’industrie doit opérer une profonde mutation.
Émissions low-cost
À l’approche du dixième anniversaire de la téléréalité en France, Thibaut Valès a du pain sur la planche. Avec ses associés au sein de la société La Grosse Équipe, ils viennent de produire leur premier succès, un programme baptisé « Cinq Frenchies ». « Le principe va vous faire sourire », prévient le producteur. « C’était très teenage... On envoyait cinq garçons célibataires à l’autre bout du monde avec un objectif en tête : rouler un maximum de pelles à un maximum de filles. » La rigolade assurée en temps pré-MeToo... Comme le succès est immédiat, la nouvelle-née NRJ12 leur demande de plancher sur quelque chose de neuf. « On s’est dit qu’il y avait des dizaines de candidats emblématiques dont on ne savait pas ce qu’ils étaient devenus. On voulait les ressortir (sic) et leur donner une deuxième chance. » « Les Anges de la téléréalité » sont nés. Ils révolutionnent le genre : fini l’enfermement du « Loft » ou de « Secret Story », le 24h/24 et les éliminations hebdomadaires. Place aux tournages dans une villa luxueuse des beaux quartiers de Los Angeles, loin des studios de la Plaine Saint-Denis : « On envoyait nos candidats dans la ville des stars et des tapis rouges... Il y avait un vrai côté rêve américain », décrypte Thibaut Valès.
La rupture n’est pas seulement visuelle, comme l’explique la sociologue Nathalie Nadaud-Albertini. « Auparavant, les candidats étaient cantonnés à une seule émission. Mais en 2011, les “Anges” utilisent les fils narratifs des autres programmes et les nouent entre eux pour en faire une sorte de grand feuilleton. » Peu à peu, la téléréalité laisse la place à un nouveau genre : la série-réalité. « C’est un peu la version 2020 des sitcoms d’AB production », ré
APRÈS AVOIR DÉFENDU PRÈS DE 500 CLIENTS ISSUS DE LA TÉLÉRÉALITÉ, JÉRÉMIE ASSOUS SAVOURE : « SI VOUS PRENEZ “L’ILE DE LA TENTATION” OU “KOH-LANTA”, JE LEUR AI COÛTÉ DES DIZAINES DE MILLIONS D’EUROS ! »
sume l’inventeur Thibaut Valés. Huit mois plus tard, Alexia Laroche-Joubertmetàl’antenne« LesCh’tisàIbiza ».Dans ce programme, même s’il s’agit d’anonymes, la recettedes« Anges »resteglobalementinchangée.Dusoleil,desjeunesdesdeuxsexesréunisdansune« villaderêve »avecdesdéfispersonnelsàrelever...Succèsgaranti.Pourcellequialancéle« Loft »en2001,c’estunbol d’air. Malgré des audiences satisfaisantes, l’émission« Dilemme »(accuséeparEndemold’êtreunplagiatde« SecretStory »),qu’elleproduitalorsavecsasociété,nesera pas reconduite par W9.
Partout, les audiences déclinent et de moins en moins deFrançaisacceptentdepayerdesSMSsurtaxéspourvoter pour un candidat. Tout le modèle économique est enpéril.« Le“Loft”coûtaittrèscheràcausedeladiffusionàJ+1.Ontournaitunépisodelemardipourlemettreàl’antennedèslemercredi.Doncilfallaitfairelapost-productiondanslanuit »,souligneAlexiaLaroche-Joubert,aujourd’huià la tête de la puissante société Adventure Line Production. Avec« LesCh’tis »etconsorts,cettedispendieusearméede techniciens, cadreurs, monteurs et réalisateurs en rotationpermanentedevientsuperflue.Aprèsunrapidecalculautéléphone,elleestimequelesnouveauxformatsdesérie-réalité ont permis de diviser les budgets par dix ! Les« Anges »imposeunmodèlelow-costoùunedizainedepersonnessuffisentpourfairetournerlamachine.Lesestimationstournentrégulièrementautourde60 000 eurosparépisode,unchiffre« crédible...pourcertainesémissions »,admet prudemment Thibaut Valés, qui vient tout juste de revendresasociétédeproduction.Puisqueledispositiftechnique s’est allégé, la narration repose plus que jamais sur le bon vouloir de ses participants. Thibaut Valés résume la situation :« Cesontdesprogrammesoùontourneénormément,dès8 heureslematinetjusqu’à1 heurelesoir,etavecça, on arrive à construire un épisode et demi. Alors le bon candidat,c’estceluiquialacapacitédefairelebuzzetàfairedeshistoires,sansqu’onaitbesoindelediriger. »
« Être beau et plaire »
Aprèsavoiracquisunstatutprofessionnel,lesenfantsdelatéléréalitécultiventdésormaisunsavoir-faire.Ces« scénaristesd’eux-mêmes »,commelesqualifiepoursapartAlexia Laroche-Joubert, monnaient leurs services à un minimumde200 eurosbrutsparjour.Pourlespluscélèbres,« c’estaucasparcas,commedesjoueursdefoot »,éludel’ancienproducteurdes« Anges ».Moinsdiscret,DylanThiry avait révélé en direct à la télévision son salaire de 27 000 eurospoursadeuxièmeparticipationà« Koh-Lanta ».Danstouslescas,pourlenombred’heuresdetravailetdeprogrammediffusés,lestarifsrestentlargementinférieursàceuxdecomédiensprofessionnels.Professeurenéconomie de l’innovation, Pascal de Lima constate une logiquepropreausecteuraudiovisuel :« Dansl’aérien,pourfairedulow-cost,onréduitlesservices.Pourlatélé,çaseporte au niveau humain. En fait, on utilise des amateursqu’onpayemoinscherquedevraiescélébrités. »Danscecontexte,dénichercesfuturestêtesd’affichebonmarchédevient un enjeu stratégique. Pendantsixans,AlexisAvenièreaété« casteur »pourlecompted’émissionstellesque« LesMarseillais »ou« Undînerpresqueparfait ».Àlarecherchedelaperle rare, il passe alors ses journées à fureter sur Facebook,naviguantdeprofilenprofil.« Lerestedutemps,je partais en immersion. J’ai passé deux mois à Marseille par exemple... Tu fais le tour des centres commerciaux,dessallesdesportetdesrestaurants »,explique-t-il.Descastingssauvagesavecuncritèredesélectiondebase :« Onfaitdelatélé...Onnevapassementir,leschaînesrecherchent d’abord des physiques. Il faut être beau etplaire. »D’oùlaforteconcentrationdebimbosauxmensurationsdites« parfaites »etd’apollonsbodybuildésàl’antenne.« Cesontdesgensquidoiventfairerêver »,explique Thibaut Valés, pour qui la profession a tout demêmeévoluésurlaquestion.Selonlui,elleseraitmêmedeplus en plus prête à mettre en avant des physiques moins stéréotypés.Iln’estpourtantcapabledeciterqu’uneseulecandidaterelevantdecettecatégorie,SarahFraisou,révéléeparles« Anges »lorsqu’elleétaittrèsronde avantderejeterlafautesurl’airdutemps :« Lachirurgieesthétique,lesbeauxcorps,c’estpaslatéléréalitéquilesainventés !C’estuntrucdegénération. »Aupetitjeudel’oeufoudela poule, il y a pourtant quelques contre-arguments... Outre-Manche, un sondage commandé en 2019par la Mental Health Foundation conclut qu’un quart des jeunesde18et24 ansdéclarentsesentirmaldansleurpeau après avoir visionné le programme de téléréalité« LoveIsland ».Danslamêmeétude,15%reconnaissents’être déjà punis physiquement en raison de leur apparence(privation,anorexie,boulimie,auto-mutilation...).Lespouvoirs publics commencent logiquement à alerter. En2019,unrapportduHaut-Commissariatàl’Égalité(HCE)fustigedesprogrammesquivéhiculent« unevisiondesrapportsentrefemmesethommesstéréotypéeetinégalitaire »,où« lescandidatssontconsidéréscommedesDomJuandominateursetlescandidatescommedesséductrices ».Hypersexualisation des corps, dénigrement des partici
pantes et injures sexistes, la téléréalité agit comme un miroir grossissant du sexisme latent dans la société.
Un confinement ultra-bénéfique
« DANS L’AÉRIEN, POUR FAIRE DU LOW-COST, ON RÉDUIT LES SERVICES. EN TÉLÉ, ÇA SE PORTE AU NIVEAU HUMAIN. ON UTILISE DES AMATEURS QU’ON PAYE MOINS CHER QUE DE VRAIES CÉLÉBRITÉS. » PASCAL DE LIMA, PROFESSEUR EN ÉCONOMIE DE L’INNOVATION
Pour avoir participé à deux programmes différents, Sabrina Boot connaît bien les ressorts de cette télé-macho. En 2015, elle apparaît une première fois dans « Les Princes de l’Amour », un programme qui consiste alors à présenter une kyrielle de jeunes femmes censées se battre pour décrocher le coeur d’un homme célibataire. Sabrina a participé deux fois aux « PDLA », comme on dit sur W9. Elle y a même rencontré l’amour la deuxième fois. Mais avec le recul, elle tique un peu : « Quand je me suis regardée à la télé, je me suis dit qu’on était comme du bétail. On nous fait venir pour des mecs qui peuvent nous jeter à tout moment. C’est fou... » Elle poursuit avec un souvenir de tournage, celui d’une jeune candidate, à peine majeure, que la production a fortement incitée à réaliser un strip-tease pour « son prince ». Heureusement, on a pensé aux garde-fous : la jeune femme s’arrêtera aux sous-vêtements... Dans les coulisses, Sabrina tombe sur elle juste avant la scène : « Elle est en train de se préparer et je vois qu’elle n’est pas bien. Elle me dit qu’elle ne veut pas le faire, à cause de sa famille qui va regarder. Je lui ai dit qu’elle n’était pas obligée, même si la production le lui avait demandé. Elle l’a fait quand même, à contre-coeur. » Contactées à plusieurs reprises par la rédaction, les sociétés W9 et Studio 89 n’ont pas souhaité réagir. Sabrina conclut : « On est des marionnettes de la téléréalité. Il faut dire que beaucoup de jeunes dans ces programmes sont étudiants, des gens au RSA pour certains qui vivent encore chez leurs parents. » Face à certaines insistances de la production, Sabrina a pourtant appris à dire non. Quand la production lui tend un seau de glace pour le jeter sur une de ses rivales, elle refuse. « Comme j’étais devenue de moins en moins malléable, ils m’ont dit que j’étais chiante », se souvient-elle.
Dans cette guerre de pouvoir, l’avenir semble sourire aux candidats. Et pour cause, le progrès est de leur côté : « Avec les réseaux sociaux, ce ne sont plus les émissions qu’on suit, mais les candidats. Ça leur donne beaucoup plus de poids et quand ils ne sont pas contents de certains montages, ils peuvent le dire », analyse Nathalie Nadaud-Albertini. Le confinement de mars 2020 aura même accéléré ce basculement technologique. Tandis que tous les tournages étaient mis à l’arrêt pour cause de pandémie, les stars de la téléréalité ont continué à alimenter leurs fans en potins, décryptages et clashs sur les réseaux sociaux. « Ils ont fait des vidéos sur Instagram aussi bonnes que des épisodes de téléréalité, avec des embrouilles, des émissions de rencontres... Chaque soir, tu avais jusqu’à 200 000 personnes sur les directs », relève Alexis Avenière, désormais « talent manager » dans l’entreprise We Event qui s’occupe de la carrière de bon nombre d’influenceurs. Dans ce nouveau rapport de force, « on reste nécessaire mais on est devenu accessoire financièrement », conclut Alexia Laroche-Joubert.
Enfin émancipés, les enfants du « Loft » ? Pas sûr. Qu’on soit influenceur ou simple candidat, avec ou sans producteur, le public exige toujours plus de sacrifices, de transparence, de beauté, de clashs... De spectacle. Depuis sa chambre d’hôtel, Dylan Thiry confesse au téléphone une certaine fatigue face à cette obligation d’exposition permanente. « C’est dur. En réalité, je suis plutôt pudique et j’ai dû aller à l’opposé de ce que je suis vraiment. Sinon, t’es pas suivi, on te connaît pas... Même quand tu te sépares de ta copine, t’es obligé, il faut l’exposer à tout le monde », raconte celui qui, lors de sa dernière rupture, a filmé toute la scène et l’a diffusée sur Instagram. « Mais t’as le choix. Si tu veux arrêter, tu coupes ton téléphone et tu vas bosser à Auchan », admet Dylan. À chacun sa servitude...