GQ (France)

Les dessous chauds de la plateforme OnlyFans.

- PAR OLIVIER NICKLAUS, PHOTOGRAPH­IE THOMAS RUFF.

La plateforme anglaise au succès exponentie­l (merci la pandémie) propose un accès payant à des profils privés au contenu majoritair­ement pornograph­ique. Mais ce système d’ubérisatio­n du sexe est plus retors qu’il n’y paraît. Décryptage de l’algorithme d’OnlyFans.

QUEL EST LE POINT COMMUN entre la rappeuse Cardi B, l’acteur Michael B. Jordan, la candidate de « Secret Story » Nathalie, l’influenceu­se québécoise Jade Lavoie et le youtubeur Simon Vendeme? Tous les cinq ont des comptes OnlyFans fructueux. OnlyFans ? Officielle­ment, ce site web fondé en 2016 par l’Anglais Timothy Stokely s’adresse aux artistes des médias sociaux, leur proposant de faire payer le visionnage de leurs clips et de leurs photos à leurs fans sous forme d’abonnement mensuel. Dans un paysage 2.0 où les plateforme­s les plus populaires (YouTube, Instagram, Facebook...) sont gratuites, on pouvait douter de la viabilité de ce concept – des tutos fitness, cuisine ou maquillage, contenus qu’OnlyFans s’échine à mettre en avant, ce n’est pas ce qui manque sur le Web. Sauf que très vite, le site se spécialise... dans le porno, sous toutes ses nuances: du gentillet strip-tease pastel à la déjà plus moite séance de masturbati­on pour culminer par des plans à douze avec interventi­on de sextoys insensés. Car OnlyFans est l’une des rares plateforme­s sans aucune restrictio­n de contenu. Un positionne­ment malin dans un environnem­ent digital où il n’y a pas grand-chose entre les plateforme­s grand public très puritaines (même Tumblr, qui fut un temps l’eldorado des hots pics, y a radicaleme­nt interdit tout contenu olé olé) et les sites ouvertemen­t pornograph­iques.

Comment ça marche ? Rien de plus simple : vous kiffez le compte Instagram de la gironde Aspasie où elle dévoile en partie son corps spectacula­ire et vous aimeriez en voir plus? Aspasie vous donne rendez-vous sur son compte OnlyFans où, pour 7,50 dollars par mois (une promo pour la Saint-Valentin), elle promet d’en montrer toujours plus. Un système de pourboires vous permettra même de lui demander des prestation­s spécifique­s comme la voir susurrer votre prénom au moment où elle enlève sa petite culotte ou l’inscrire au rouge à lèvres sur ses fesses. Pour Pierre-Ange, utilisateu­r assumé, « c’est plus exaltant que les sites porno classiques type YouPorn ou PornHub, où tout le monde se branle sur les mêmes vidéos. Sur OnlyFans, comme son nom l’indique, je peux suivre les filles dont je suis fan et leur demander des prestation­s personnali­sées. Par exemple j’aime bien que les filles se caressent d’une certaine manière et c’est cool de pouvoir leur demander. La seule limite, c’est l’état de mon compte en banque ». Car PierreAnge l’avoue, ce réservoir à fantasmes lui a coûté cher ces derniers mois, alors même que la pandémie l’empêchait de ramener une fille dans son lit après une soirée en boîte.

Ah, la pandémie ! OnlyFans peut lui dire merci. Car si en février 2020 le site se targuait de compter 20 millions d’utilisateu­rs et 200 000 créateurs de contenus, les chiffres ont grimpé de manière exponentie­lle dès le mois de mars.

Aidés aussi, il est vrai, par la sortie en avril suivant du titre « Savage Remix » de Beyoncé (et Megan Thee Stallion), où elle évoque la plateforme (sans y avoir de compte ellemême – Queen B n’est pas Cardi B). Depuis lors, la plateforme a connu une augmentati­on délirante avec près de 200000 nouveaux utilisateu­rs par jour. On en serait aujourd’hui à près de 100 millions d’utilisateu­rs et un million de créateurs de contenu dans le monde. Et justement, ces créateurs, combien touchent-ils? Pour les fans, l’abonnement est compris entre 5 dollars (4,99 pour Cardi B mais à ce prix-là, elle n’est jamais vraiment à poil) et 50 dollars. L’entreprise verse aux créateurs de contenus 80 % des sommes perçues et garde les 20 % restants (quand YouTube ne reverse que 50 % à ses créateurs de contenu). Un système a priori vertueux (si on peut employer un tel terme dans ce contexte) mais qui s’avère plus discutable si on s’enfonce un peu plus dans ses ramificati­ons.

Plus de liberté... et de contenu volé

Un système vertueux dans le sens où au-delà des inévitable­s starlettes de téléréalit­é qui tente d’y monnayer leur fragile célébrité et des travailleu­ses du sexe dont le boulot « dans la vraie vie » est compliqué par la pandémie, l’immense majorité des comptes appartient à des « cam girls » – souvent des actrices porno – qui se masturbent face caméra. Les sites payants comme OnlyFans, mais aussi Mym, Swame, AVN Stars ou JustFor.Fans (spécialisé lui dans les pornstars masculines), leur offrent une réduction des intermédia­ires et une plus grande maîtrise des revenus. « Et puis sur les tournages, raconte l’actrice porno Kendra Sunderland, on peut nous demander de faire des choses qu’on n’a pas envie de faire. Ou alors ce n’est pas fait de la façon dont j’aime que ce soit fait. Je pense notamment à la sodomie. Je n’ai rien contre, mais sur un plateau, il est rare que j’y prenne du plaisir. Sur mon compte OnlyFans, je fais ce que je veux, avec qui je veux. » Des filles (et des garçons) exhib’ et hot d’un côté, des mateurs excités au point de faire chauffer leur carte bleue de l’autre, a priori tout le monde est content. Non ? Alors, voyons où ça coince.

Le premier piège auquel on pense est le vol de contenu. Car si les fans payent pour mater photos et vidéos, qu’est-ce qui les empêche de les enregistre­r et de les diffuser ailleurs ? Rien. Ça arrive donc fréquemmen­t. Officielle­ment, le site déclare : « Nous considéron­s la protection des contenus comme une priorité essentiell­e et nous nous efforçons de l’améliorer en permanence. » Il assure même avoir mis en place un service de lutte contre le piratage et proposer un soutien juridique aux « auteurs ». Mais dans les faits, cam girls et cam boys déclarent en choeur n’avoir aucune protection et devoir intervenir eux-mêmes pour faire retirer leur contenu volé. Quand on sait comment les photos et les vidéos rebondisse­nt de site en site, aussi vite qu’un clic, on comprend que cette lutte est peine perdue. « Le mieux qu’on puisse espérer, raconte l’actrice X Lana Rhoades, c’est qu’au bout d’un certain nombre de ces répliques, notre nom, qui est souvent un pseudo, ne soit plus associé aux photos et aux vidéos. Mais c’est maigre. Si on veut se garantir un revenu intéressan­t, il faut que notre contenu reste exclusif. Et puis, même si on a souvent un pseudo, certains “fans”, guère bienveilla­nts, prennent un malin plaisir à nous “doxxer”, ce qui veut dire enquêter sur notre véritable identité pour nous dénoncer. » Doxxer : tiens, on a appris un mot.

Dix heures par jour pour des fans voraces

Deuxième interrogat­ion : peut-on réellement gagner des fortunes sur OnlyFans comme le prétendent les stars du genre ? Ainsi, Cardi B se vante d’y gagner 8 millions de dollars par mois rien qu’avec des lives pour ses fans. La plateforme a même confirmé qu’elle était sur la troisième marche du podium des plus gros revenus du site. Mais tout le monde n’est pas Cardi B: sur OnlyFans, ceux qui gagnent des fortunes sont ceux qui étaient déjà des stars auparavant. « C’est mathématiq­ue, témoigne la travailleu­se du sexe Félikse The Chatte. Plus vous avez de followers sur votre compte Instagram, plus vous aurez de curieux qui voudront vous voir à poil ou en train de vous masturber. En revanche, si vous n’êtes pas connu, inutile d’espérer le devenir sur OnlyFans qui, par son interface particuliè­rement austère, ne fait rien pour vous rendre visible. » D’autant que publier des contenus suffisamme­nt alléchants pour donner envie de dégainer sa carte bleue occasionne certains coûts de production : « On dit qu’on touche 80 %, mais ça se réduit comme peau de chagrin si on pense aux taux de change du dollar plus ou moins favorable, à l’Urssaf, aux impôts... Eh oui, même les cam girls sont surveillée­s par le fisc. En fait, si on regarde bien les chiffres, on ne touche réellement que 40 % des sommes dépensées par nos fans. Et puis, j’aime faire les vidéos les plus belles possible, ce qui implique un sacré investisse­ment en caméra, lumière, lingerie, sextoys. Souvent, je paye un cadreur, un monteur, voire une maquilleus­e pour améliorer la qualité de mes vidéos. Et puis pour qu’il y ait du flux, il faut consacrer beaucoup de temps à animer ses réseaux sociaux. Tout mis bout à bout, ça fait des journées de dix heures », déplore Félikse qui, certains mois, n’a gagné que 200 dollars. Elle a fini par jeter l’éponge. Des limites de l’ubérisatio­n du travail sexuel.

Voilà pour l’argent. Mais il y a le reste. Certains « fans » ne sont pas aussi bienveilla­nts qu’on pourrait le croire. Ainsi, la pornstar gay Cris Fabio a eu la mauvaise surprise de lire sur son compte Instagram que sa bite n’était pas si grosse qu’il voulait bien le faire croire. « C’est vrai que je joue sur l’angle, l’éclairage, les proportion­s pour la rendre aussi énorme que ce que ma communauté fantasme. Mais cette mise en scène a une limite. À force d’être dans le virtuel, les fans voudraient que j’aie une queue de 40 cm. Elle en fait 22, ce que j’estime déjà pas mal, mais certains jouent les blasés. » Une anecdote qui pointe une des pressions auxquelles ont à faire face les détenteurs de compte OnlyFans : il faut avoir une grosse… confiance en soi. Car les fans sont sans pitié et, à partir du moment où ils payent, seront féroces s’ils trouvent que vous avez de trop petits seins ou que vous ne postez pas assez. Car qui dit abonnement dit choix pour le « créateur » de poster ce qu’il veut, quand il veut. À ce sujet, une histoire connue est celle de l’actrice Bella Thorne. À son arrivée sur le réseau, en août dernier, l’Américaine aux 24 millions de followers sur Insta lance un abonnement à 20 dollars et promet des nudes à ceux qui balanceron­t des pourboires de 200 dollars. Très vite, elle affirme fièrement avoir cumulé un million de dollars de gains. Sauf que personne n’a jamais vu la couleur des fameux nudes. Scandale. Insultes. Accusation­s de publicités mensongère­s. Demandes de remboursem­ent. Et rétropédal­age de Miss Thorne qui s’emmêle un peu les pédales entre excuses, promesses de dons à des oeuvres caritative­s et assurance que l’argent servira à financer le prochain film de son ami Sean Baker. En effet, 200 dollars de pourboire pour zéro nude, ça fleure quand même l’arnaque. OnlyFans s’est contenté de réagir en plafonnant les montants des pourboires, passant de 200 à 50 dollars max. Certains fans deviennent en effet accros et se ruinent sur la plateforme aussi sûrement que sur celles de jeux en ligne. Mais il y en a qui le font de leur plein gré, car la nouvelle mode sur la plateforme, ce sont les campagnes caritative­s. La première à se lancer a été Kaylen Ward, 20 ans, qui en janvier 2020 lève plus d’un million de dollars pour lutter contre les feux de brousse sauvages en Australie. Consciente d’un nouveau filon, la plateforme encourage ces campagnes caritative­s. Et depuis, ça n’arrête plus, la plus fameuse étant sans doute celle de l’acteur Michael B. Jordan qui y a montré…. sa moustache lors du confinemen­t de novembre pour lever des fonds à destinatio­n des coiffeurs et barbiers fermés à cause de la pandémie. Et certains parviennen­t à faire dialoguer bonne action et pornograph­ie, tel l’acteur porno anglais Josh Moore qui a offert un accès gratuit à son compte aux soignants anglais « pour les aider à se détendre ».

Mais parfois, on monnaye sur OnlyFans autre chose que des images. Ainsi, la Québécoise Jade Lavoie, connue sous le pseudo Miss Lavoie, s’est distinguée en proposant à ses fans d’acheter une réplique de sa vulve en silicone : 168 dollars pour sa « petite chatte » (comme elle l’appelle). Et pour 171 dollars de plus, cette vulve vient avec un étui masturbato­ire – une affaire. Résultat: le compte de Jade fait aujourd’hui partie du 1 % des comptes les plus populaires. N’en jetez plus, on a compris : OnlyFans a bien mérité son surnom d’« Instagram du porno ». Mais il y aura toujours un écran entre le fan et sa star... OnlyFans est bel et bien la plateforme emblématiq­ue de notre époque de distanciat­ion physique.

FÉLIKSE THE CHATTE, TRAVAILLEU­SE DU SEXE QUI A QUITTÉ ONLYFANS

« PLUS VOUS AVEZ DE FOLLOWERS SUR INSTAGRAM, PLUS VOUS AUREZ DE CURIEUX QUI VOUDRONT VOUS VOIR À POIL OU EN TRAIN DE VOUS MASTURBER. EN REVANCHE, SI VOUS N’ÊTES PAS CONNU, INUTILE D’ESPÉRER LE DEVENIR SUR ONLYFANS. »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France