GQ (France)

Entretien exclusif avec Ronnie Fieg, le fondateur de la marque conceptuel­le Kith.

Entretien exclusif avec Ronnie Fieg, le fondateur du concept-store américain Kith, génie de la collab et temple de la basket, qui vient d’ouvrir ses portes à Paris.

- PAR HUGO COMPAIN.

CONNAISSEZ-VOUS L’EMPIRE KITH ? En tout juste dix ans, Kith est passé d’une boutique pointue de sneakers du sud de Manhattan à un phénomène global devenu une marque, référence ultime en matière de hype avec déjà sept mégastores – l’oeuvre de Ronnie Fieg. L’homme commence sa carrière dans les boutiques sportswear David Z, gagnant ainsi une visibilité qui ne tarde pas à taper dans l’oeil des marques. Celles-ci l’invitent à collaborer sur des sneakers... jusqu’à la consécrati­on, le jour où le Wall Street

Journal met sa paire de Asics Gel Lyte III en couverture. Nouveau nom à connaître dans le petit milieu grandissan­t des fans de sneakers, Ronnie lance Kith en 2011, et le succès est fulgurant. Après des ouvertures aux points culminants du retail internatio­nal (Tokyo, Los Angeles, Miami, Brooklyn…), Kith a choisi Paris comme première destinatio­n européenne. Et Ronnie Fieg a vu les choses en grand: en plein coeur du triangle d’or, à deux pas des Champs-Élysées, il a investi l’ancien hôtel Pershing Hall, soit près de 1500 mètres carrés tirés à quatre épingles où une débauche de marbres et de bois nobles côtoie les oeuvres suspendues de Daniel Arsham, qui a transformé la Air Max en sculpture. Signe particulie­r? Zéro vêtements au rez-de-chaussée, puisque Kith a pour ambition de réformer les codes du retail. À la place, la terrasse baignée de lumière du restaurant Sadelle’s, hot spot du brunch new-yorkais, s’étend sous l’atrium central et son mur végétal aux côtés d’une autre spécialité exportée à Paris: le bar à glace et à céréales Kith Treats, où les clients peuvent s’offrir des combinaiso­ns glacées imaginées par les amis de la maison parmi lesquels Virgil Abloh, LeBron James ou Victor Cruz. Tout un programme accessible uniquement sur rendez-vous – covid oblige – pour retrouver les meilleurs drops de sneakers chaque semaine, l’ensemble des lignes Kith (homme, femme et enfant), une série de collab exclusives avec Nike ou Calvin Klein, qui ont laissé pour la première fois une autre marque réviser leurs logos, et une sélection vintage signée par le spécialist­e new-yorkais What Goes Around Comes Around. Interview.

Pour ceux qui ne connaissen­t pas, expliquez-nous Kith... C’est un univers à 360 degrés, où chacun est le bienvenu et dont on ressort un peu plus heureux. Je crois en une connexion émotionnel­le avec nos produits.

Quels ont été les ingrédient­s de votre succès hors norme ? Un travail acharné depuis le premier jour, une équipe sans ego avec un but commun, et s’attacher à ce que chaque personne qui passe les portes d’une boutique Kith se sente bienvenue, comme faisant partie d’une grande famille. Intuition et business. Comment choisissez vous les produits qui trônent chez Kith ?

Qualité, design, substance et valeur. Quatre caractéris­tiques qui forment la pierre angulaire de tout bon achat pour un consommate­ur aujourd’hui. J’applique ensuite la politique du « produit roi, business suivra ». De là découle notre curation, une vision que nous avons développée au fil des années, qui a séduit, et en laquelle nos clients ont confiance, au milieu du chaos ambiant. Pourquoi avez-vous choisi

Paris comme première destinatio­n en Europe, plutôt que Londres, où la culture streetwear est très forte ?

Un choix personnel, d’abord : c’est la ville dont je me sens le plus proche en Europe car j’y ai beaucoup voyagé. C’est incontesta­blement la ville de la mode. Et je pense que Kith va apporter un peu de fun dans l’univers du luxe et du lifestyle à Paris. Nous avons pensé l’espace comme une expérience inédite dans le paysage du retail en Europe. Preuve en est : je vous mets au défi de trouver une boutique sans vêtements au rez-de-chaussée.

Ici, on compare instinctiv­ement l’arrivée de Kith à Paris au concept store Colette…

C’est un des plus beaux compliment­s que vous puissiez me faire. Colette a changé ma vie car c’est la première fois que j’ai vu un espace combinant le « high & low » à la perfection : Chanel à côté de Supreme, Comme des Garçons à côté de marques de skate et de goodies à quelques euros. Colette et quelques boutiques, au Japon notamment, ont eu l’effet d’une épiphanie sur moi : mon esprit s’est ouvert sur un nouveau paradigme de consommati­on, un lifestyle à 360 degrés qui fait aujourd’hui le sel de Kith.

En quoi Kith est-il différent de Colette ?

Nous avons notre propre marque, « Kith ». D’ailleurs, nous étions vendus chez Colette ! À la base, nous étions une boutique de sneakers, mais très vite nous avons fédéré une communauté qui a voulu voir le magasin devenir une marque. Kith est la combinaiso­n de tout ce qui a pu m’inspirer dans ma vie. Je voudrais que Kith soit une destinatio­n où vous pouvez passer la journée : lire un livre ou un magazine, déjeuner, acheter une glace chez Kith Treats, faire du shopping…

Pourquoi avoir choisi cette adresse, proche des Champs-Élysées ?

Je dois vous avouer que de prime abord je voyais plutôt Kith dans le Marais. Puis l’idée d’implémente­r Kith dans le triangle d’or, en retrait de la plus belle avenue du monde, m’a séduit. J’aime aussi l’idée que la rue Pierre-Charron ne soit pas (encore) connue pour ses adresses mode malgré l’agitation proche. On peut s’attendre à ce que Kith métamorpho­se le quartier…

Alors notre pari serait réussi !

« LA BOUTIQUE COLETTE A CHANGÉ MA VIE ET OUVERT MON ESPRIT SUR UN NOUVEAU PARADIGME. »

En tant que businessma­n, quels conseils pourriez-vous donner à un jeune entreprene­ur ?

Vous devez comprendre verticalem­ent tous les rouages du business dans lequel vous vous engagez, au sens propre : commencez au soussol dans les stocks où les produits arrivent, puis au rez-de-chaussée sur l’espace de vente pour comprendre vos clients, ce qu’ils recherchen­t, leurs réactions, avant d’intégrer les bureaux pour devenir « merchandis­er », acheteur ou comptable si vous aimez les chiffres. Je suis toujours acheteur et comme dans n’importe quel business, il est d’important de s’interroger : « Est-ce que je voudrais consommer ces produits ? » J’ajouterai qu’une grande partie de mon travail consiste à sonder où se trouvera la connexion émotionnel­le à un

produit, notre raison d’être.

Vous dites souvent que « streetwear » n’est pas le bon mot pour décrire Kith…

En effet, je préfère nous définir comme une marque « lifestyle » : nous avons imaginé des voitures, des boissons, des céréales. On a aussi collaboré avec Versace, sur une capsule Made in Italy. On ne peut pas appeler une voiture « streetwear ». À mon sens, « streetwear » est devenu un terme utilisé à tout va pour décrire un peu tout et rien à la fois. Lors de mon adolescenc­e, c’était des T-shirts imprimés. Notre team a poussé le curseur bien plus loin, à mon humble avis. Vous avez collaboré avec Coca-Cola, BMW, Power Rangers : qu’est-ce qui vous intéresse dans l’idée de vous associer avec ces titans ? Faire resurgir les émotions que j’ai ressenti enfant avec ces marques, et les partager. Leurs univers avaient la force de me faire rêver. Avec Kith, je veux raconter des histoires pour créer un lien émotionnel entre le produit et les personnes. Nike Air Force 1, Dunk, Air Max, Adidas Stan Smith, Superstar… On voit beaucoup d’anciens modèles redevenir des hits, mais quelles sont les nouvelles icônes d’aujourd’hui et du futur, selon vous ? Question difficile. Je dirai que la clé pour comprendre le design contempora­in est de faire le constat que nous voyons continuell­ement passer sous nos yeux des innovation­s en tout genre. Elles n’ont pas le temps de s’implémente­r dans l’esprit du public. Il y a quelques décennies, chaque modèle avait une durée de vie bien plus longue dans les cycles de mode. De ce fait, les gens avaient le temps de créer une connexion émotionnel­le avec un produit qui pouvait même définir une époque. In fine, chacun pouvait lui associer des souvenirs propres, c’est ce qui caractéris­e toutes les baskets que vous mentionnez. Il faut aussi prendre en compte le fait que ces « icônes » n’étaient pas forcément respectées à l’époque de leur sortie. On les a fétichisée­s des années plus tard. Dur donc, de parler des futures icônes, mais je suis très curieux également.

Vous êtes vous-même un collection­neur. Quelles sont vos obsessions du moment ?

Je collection­ne les New Balance 1700, et je repense beaucoup aux Asics Gel-Lyte III sur lesquelles j’ai collaboré entre 2007 et 2012. Comme une bande-son ou un film pour certains, les sneakers me rappellent des périodes de ma vie, comme une timeline : j’ai récemment ressorti de mes archives les Asics GelLyte III Super Green, qui coïncident avec le premier anniversai­re de Kith. Quid de la mode et de l’écologie. Comment est-ce possible de conjuguer consommati­on incessante (votre business model des « drops » constants pour susciter l’envie) avec sustainabi­lity ? Cette année, pour Earth Day, nous allons présenter une capsule sustainabl­e. Au sens plus large, nous essayons de faire de ce monde un monde meilleur, c’est normal quand on atteint une certaine croissance. Nous avons travaillé avec The New Yorker Magazine sur une capsule dont les bénéfices ont été reversés à la fondation Martin Luther King Junior Estate. Pour le Black History Month, nous avons invité trois artistes noirs à se mettre en avant sur notre plateforme. Nous soutenons également les business locaux appartemen­t aux personnes de couleurs, qui n’ont rien à voir avec la mode, en partageant leurs initiative­s sur nos réseaux sociaux pour leur offrir de la visibilité.

Quels terrains restent-ils à conquérir pour Kith ?

Exporter notre concept dans d’autres grandes villes du monde !

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