L’album posthume de Prince.
Cinq ans après la disparition du Kid de Minneapolis, la sortie d’un nouvel album de Prince relance l’éternel débat sur l’intérêt et la légitimité des albums posthumes...
«SI JE NE PEUX PAS FAIRE ce que je veux, alors que suis-je ? » En 1996, Prince est en pleine bataille juridique contre son label (Warner), lorsqu’il s’épanche dans les colonnes de Rolling Stone. Le musicien vient de sortir The Gold Experience, dix-septième album studio d’une carrière déjà monumentale, largement établie en repoussant les notions d’ego, de contrôle et d’excentricité. Ultime coquetterie : l’artiste a choisi de publier son disque en abandonnant son nom de scène, jugeant que « Prince » était désormais la propriété de Warner. Sur la pochette, un simple pictogramme au nom imprononçable vient un peu plus brouiller la piste de son identité. Et lors de ses rares apparitions publiques, celui qui se fait désormais appeler Love Symbol arbore cinq lettres lourdes de sens, élégamment entremêlées sur sa joue droite : « SLAVE ». Car « lorsque l’on empêche un homme de rêver, il devient un esclave ». Au milieu des années 1990, Prince rêve surtout de récupérer les droits de sa musique et de renégocier les termes de son contrat avec Warner, label auquel il est affilié depuis 1977. L’année de ses 19 ans. Mais derrière l’intérêt économique de la provocation se cachent une réflexion presque philosophique et un questionnement qui anticipe largement le renversement du rapport de force entre les artistes et les majors. À l’aube de l’an 2000, Prince choisit de se dématérialiser avant que toute l’industrie ne connaisse pareil destin. Il est prêt à effacer son propre nom pour que personne d’autre que lui ne puisse décider de la façon dont sa musique sera publiée. Il veut tout contrôler, de la production artistique à la stratégie commerciale. Rien ne peut sortir sans son autorisation. Un quart de siècle plus tard et cinq années après sa mort, un disque posthume de Prince est annoncé pour le milieu de l’été 2021. Enregistrés en 2010 mais rapidement recalés par le Kid de Minneapolis, l’album Welcome 2 America et ses onze inédits sauront probablement consoler certains admirateurs éplorés du Purple One. Mais comment se féliciter d’une telle annonce, alors que son principe même vient contredire l’essentiel des engagements d’un artiste qui prenait un si malin plaisir à démonter les codes les plus cyniques de l’industrie du disque ?
Éclairage ou autopsie
Un grand album se caractérise souvent par un regard, un propos ou une anticipation formelle sur le son d’une époque. Alors comment espérer qu’un vulgaire réassemblage de chutes de studio puisse mettre en valeur la pensée et la vision d’un artiste disparu depuis des années ? Surtout lorsque le principal intéressé avait lui-même décidé de tirer un trait sur son oeuvre et de ne pas la publier ? Bien que terriblement impudiques et forcément contestables sur le plan moral, les sorties posthumes ne sont pas dénuées d’intérêt pour autant. Souvent, elles donnent l’occasion de mieux comprendre le processus créatif d’un artiste. À mi-chemin entre le fan-service et l’autopsie, elles deviennent alors un territoire d’études et d’explorations idéal pour mieux saisir et déconstruire des inspirations, une méthode et des failles souvent camouflées par le maquillage et les filtres de la (sur)production. Ainsi,
From A Basement On The Hill, publié quelques mois après la mort mystérieuse d’Elliott Smith, sonne comme le meilleur guide de composition pour les jeunes songwriters en herbe qui cherchent à magnifier leur dépression. De la même façon, Vulnerable de Marvin Gaye (1997), dont la plupart des chansons ont été enregistrées en 1977, propose un éclairage sur les tourments du chanteur quelques années avant son assassinat. Mais ce disque posthume de Prince, lui, n’apporte rien de nouveau sous le soleil de Minneapolis.
Welcome 2 America, de Prince (Sony), sortie le 30 juillet.