GQ (France)

Qui est Joseph Menconi, ancien braqueur devenu l’ami du tout-Saint-Tropez ?

- PAR PAUL FOURNIER ET BRENDAN KEMMET.

Arrêté puis libéré en mars dernier pour une affaire de blanchimen­t, l’ancien braqueur Joseph Menconi a su se faire une place au soleil dans la cité des stars. Retour sur le parcours de cette figure du grand banditisme, où l’on croise Rédoine Faïd, la jet-set, mais aussi le chef Christophe Leroy...

VERSAILLES (YVELINES), LE 30 SEPTEMBRE 2020, 19h45, siège de la direction régionale de la police judiciaire, salle des intercepti­ons téléphoniq­ues. « Écoute, c’est important ce que je veux te dire... Écoute-moi bien ce que je vais te dire. (…) Tu vas arriver à la maison… Tu as le numéro de Mickaël ? (…) Tu l’appelles, tu lui dis qu’il vient chercher le 4x4 noir dans la nuit… qu’il l’enlève làbas. (…) Dans la grande chambre, tu as vu, il y avait un gilet… Tu le sors de la maison… Tu le mets… Tu le jettes !!! (…) Tu ouvres ce placard-là… il y a 2 ou 3 000 euros (…) mais tu les gardes pas sur toi parce que demain ils vont perquisiti­onner !!! N’oublie pas le 4x4… Tu m’écoutes ??? Alors marque tout… (…) Toi, tu prends le gilet… Tu le jettes dans un container loin !!! »

L’homme, dont la conversati­on vient d’être intercepté­e, est loin d’être un inconnu pour la police. Son accent fort prononcé le trahit. Les enquêteurs de la Brigade de répression du banditisme (BRB) de la PJ de Versailles reconnaiss­ent la voix, un brin paniquée, de Joseph, dit José, Menconi, une figure du banditisme corso-marseillai­s. En poursuivan­t leur écoute, les limiers de la BRB s’aperçoiven­t que Menconi, né à Bastia (Haute-Corse) en août 1965, aux origines sardes par son père, n’est pas seul, en cette fin septembre, lorsqu’il passe plusieurs appels à une amie qui se trouve à Saint-Tropez (Var). Menconi est en effet entendu dans le cadre d’une tentative d’assassinat, en septembre 2018, à l’encontre d’un autre membre du banditisme insulaire, Guy Orsoni, sur les hauteurs d’Ajaccio. Un acte criminel que la justice attribue à la redoutable

bande dite du Petit Bar, du nom d’un modeste bistrot où ses membres présumés avaient pris l’habitude de se retrouver dans la ville de Napoléon.

L’interlocut­rice du voyou corse comprend, elle, qu’il est en garde à vue à la PJ d’Ajaccio. Et surtout qu’elle doit faire le « ménage » en se débarrassa­nt d’un 4x4 blindé et d’un gilet pare-balles... Auditionné­s plus tard, les policiers qui ont permis à José Menconi de passer ces fameux coups de fil se défendent en arguant qu’ils souhaitaie­nt « s’arranger » avec le malfaiteur qui aurait promis de leur livrer le nom d’une « taupe » au sein de la maison poulaga. Les policiers versaillai­s ne le savent pas encore, mais cette écoute va créer bien des remous et même entraîner l’éviction sine die de deux responsabl­es de la police judiciaire d’Ajaccio (Corse-du-Sud). Finalement mis en examen dans cette affaire, José Menconi, qui s’est vu affubler des surnoms, peu flatteurs, de « Pinocchio », « Ciro » (en rapport avec le personnage principal de la série Gomorra) mais encore « Harry Potter » – peut-être pour sa capacité à se sortir de tous les mauvais pas, tel un magicien ? – est placé en détention provisoire. Pour cet habitué de la cité varoise et de ses nuits festives, c’est la fin des réjouissan­ces. Ses ennuis judiciaire­s ne font que recommence­r. Il avait pourtant juré de se tenir loin de ce milieu auquel il a appartenu dans ses jeunes années.

Fêtes avec Bruce Willis et Claudia Schiffer

À lui tout seul, José Menconi est un condensé de l’histoire récente du grand banditisme français. Sorti des bancs de l’école avec un « niveau d’études de 3e », selon ses déclaratio­ns, il part travailler aussitôt dans le bâtiment. Il sera chauffeur d’engins puis serveur dans une discothèqu­e. Ensuite, il a ouvert un bureau de change à Porto-Vecchio, puis tenu un garage qui a connu des difficulté­s de gestion. Est-ce la raison pour laquelle il verse dans la délinquanc­e ? En octobre 1991, on retrouve sa trace du côté d’Aurillac, dans le Cantal, pour un vol à main armée dans une agence bancaire. Il est condamné à cinq ans de prison. Menconi est alors très proche des « anciens » de la Brise de Mer, le fameux gang bastiais, et en particulie­r de Francis Mariani et Richard Casanova. Il incarne même la « relève » aux côtés de Jacques Mariani, le fils du premier, ou de Jean-Luc Germani, le beau-frère du second. La PJ imagine qu’ils ont pu s’illustrer avec l’attaque d’un fourgon blindé à Saint-Laurent-du-Var en avril 1997. Il obtiendra finalement un non-lieu. Arrêté quelques mois plus tard à Paris, Menconi s’évade de la prison corse de Borgo en novembre 1998. Il va alors naviguer entre la Côte d’Azur et la capitale. Il est entendu comme témoin dans l’enquête sur l’assassinat du parrain marseillai­s Francis le Belge, en septembre 2000, près des Champs-Élysées. Un acharnemen­t, selon lui. « Quand j’étais en fuite, on m’accusait de tout ce qui se passait sur le continent », s’agacera-t-il plus tard. La PJ l’imagine aussi partir à l’assaut d’un fourgon du côté de Gentilly en décembre 2000, aux côtés des spécialist­es de la Dream Team, la grosse équipe du braquage de transports de fonds de l’époque. Il est condamné en première instance, puis acquitté en appel, car l’ADN retrouvé sur un gobelet en plastique dans la planque des malfaiteur­s n’a pu lui être formelleme­nt attribué. José nie faroucheme­nt avoir participé à cette affaire. Tout juste admet-il avoir pu se rendre dans ce local pour boire un verre avec son ami Antonio Ferrara, futur évadé avec fracas de Fresnes. La paire aurait sympathisé lors de fêtes à Saint-Tropez aux côtés de Bruce Willis et la top model Claudia Schiffer.

La cavale de Menconi s’achève début 2003 dans les Yvelines. Trois mois plus tard, il s’évade de nouveau : un commando menace les surveillan­ts de la prison de Borgo

avec un bazooka, qui s’avérera être un simple tuyau de PVC... Menconi est repris peu après à Aubagne (Bouchesdu-Rhône). Décrit comme un « sanguin », il est condamné pour le meurtre d’un légionnair­e à Calvi, en août 1997, après un différend dans une boîte de nuit. Qui a déjà croisé le regard noir de cet homme, affilié à « aucune équipe » et dépeint comme un « électron libre » par la police, sait qu’il ne plaisante pas. À sa sortie de détention, en septembre 2015, ce père de famille, à la corpulence « athlétique », s’installe en région parisienne et travaille comme magasinier. Mais dès son premier été d’homme libre, retour dans le Sud, direction la French Riviera, pour une quadrature de l’hédonisme entre Saint-Tropez et les très chics Ramatuelle, Gassin et Grimaud.

D’emblée, son train de vie intrigue les policiers qui le filent. Au volant d’une Porsche 911 cabriolet ou d’un Range Rover Sport, « Jo le Corse » navigue dans le paysage tropézien comme un poisson dans l’eau. Avec sa tignasse poivre et sel et ses lunettes aux épaisses montures noires, il affiche de faux airs de baba cool sur le retour. Surtout, son sens du contact fait des merveilles. « José attire la sympathie des gens, confie un de ses proches, entendu par la police. Il a une façon sympathiqu­e de s’intégrer dans la vie de chacun. Il était d’une compagnie agréable. » Il occupe, un temps, un appartemen­t qui donne sur la place des Lices, en plein coeur du village de Saint-Tropez, où le marché pose ses étals mais aussi et surtout où se disputent les fameuses parties de boules entre célébrités.

L’autre affaire Christophe Leroy

La silhouette robuste de cet amateur de deux-roues (il aime rouler sur une puissante BMW 1200 GS Adventure), se détache du côté du Sénéquier, l’incontourn­able café, rehaussé d’un chic restaurant au décor rouge piment, quai JeanJaurès. « J’ai fait la connaissan­ce de José lors des Voiles de Saint-Tropez (ndlr : un événement annuel qui réunit autour de régates parmi les plus beaux voiliers du monde), relate le même proche. Joseph Menconi est très connu à Saint-Tropez. Ce n’est pas vraiment une personnali­té mais il est souvent présent lors de manifestat­ions ou de cocktails », avant de décrire « un homme charmant, convivial, loin de l’image de l’ancien malfrat ». Qui ne connaît pas « Jo le Corse » n’est pas un familier du village, si cher à Brigitte Bardot.

Le Corse se pose aussi sous les mythiques palmiers lumineux des Caves du Roy, LE temple des nuits tropézienn­es pour nightclubb­ers enfiévrés. De l’autre côté de la ville, avenue du Général-Leclerc, dans le quartier de la Bouillabai­sse, il vient se restaurer à la terrasse de Papy Burger, réputé pour ses hamburgers de gourmet. C’est d’ailleurs à cet endroit qu’il est rattrapé par la police. Pour la première fois depuis sa sortie de prison. Nous sommes le 4 juin 2018. Il est 12h30. Les « musclés » de la Brigade de recherche et d’interventi­on (BRI) de la PJ de Marseille et leurs homologues de la Brigade nationale de lutte contre le crime organisé corse (BNLCOC) interpelle­nt « Jo le Corse », qui vient de stationner sa Mercedes GLC 250 D de location. La justice veut l’entendre dans le cadre d’une enquête sur un double homicide commis, en décembre 2017, sur le parking de l’aéroport de Bastia-Poretta. À l’époque, deux pontes du grand banditisme, Antoine Quilichini, dit Tony le Boucher, et Jean-Luc Codaccioni avaient été pris pour cible, avant de succomber sous les tirs acharnés d’un tueur, porteur d’un masque de cinéma.

Quelques minutes après son arrestatio­n, José Menconi est conduit, route des Salins, dans une villa qu’il occupe à titre gracieux. À leur arrivée, les policiers tombent sur un chef réputé dans toute la région et au-delà : Christophe Leroy, le même qui a connu, en mars, les affres de la garde

« JOSEPH MENCONI EST TRÈS CONNU À SAINT-TROPEZ. IL EST SOUVENT PRÉSENT LORS DE COCKTAILS. C’EST UN HOMME CHARMANT, CONVIVIAL, LOIN DE L’IMAGE DE L’ANCIEN MALFRAT. » UN PROCHE DE JO LE CORSE.

à vue, non pas pour sa « proximité » avec Jo le Corse, mais pour avoir organisé des repas pour happy few en plein confinemen­t à Paris en compagnie de Pierre-Jean Chalençon. Leroy, qui a possédé plusieurs établissem­ents à Saint-Tropez avant de voir ses affaires péricliter, a noué connaissan­ce avec « Menco », avant de le fréquenter. Et de devenir son débiteur. Dans une autre intercepti­on téléphoniq­ue, en date de la fin août 2020, les enquêteurs ne perdent pas une miette de l’échange suivant :

Christophe Leroy : « Allô, ça va Jo ? »

José Menconi : « Ah moi, ça va, si je t’appelle pas, tu m’appelles pas ! » Christophe Leroy : « Non, mais... » José Menconi : « Tu m’as dit : je t’appelle... Pourquoi tu fais ça ? » Christophe Leroy : « Tu as raison... mais pas du tout... c’est juste que ça a été plus compliqué que ce que je pensais mais je n’ai pas d’excuse et il n’y a pas de... euh... il y a zéro excuse et en plus, c’est vrai que je devais t’appeler, j’ai pas fait et en plus la saison a été un peu compliquée mais, ça redémarre quand même un peu tu vois... voilà... Écoute ne t’inquiète pas, je suis là... euh... fin de semaine, je te donne deux mille à Paris, Jo... »

Interrogé sur l’origine de cette créance, José Menconi indique que le célèbre cuisinier lui devait « 2 500 euros » après la vente d’une « petite 125 Honda ». Entendu par une juge d’instructio­n de Marseille, en charge du double assassinat de l’aéroport, sur sa présence régulière à Saint-Tropez, Jo le Corse dit y avoir « des copains ». « Je fais de la moto, je n’y fais rien de spécial », argue-t-il avant d’être questionné sur le pseudonyme de « plagiste » sous lequel son numéro de téléphone apparaît dans celui du principal suspect des faits. « Il m’appelait le plagiste car j’avais une plage à Saint-Tropez. J’ai eu cette plage de 2001 jusqu’à 2018, je crois. » Le magistrat y pressent plutôt le rôle de « logisticie­n » qu’aurait pu endosser Menconi dans l’affaire de la fusillade de l’aéroport bastiais. « Ça n’a rien à voir. Je vous ai dit que j’avais une plage, voilà tout. (…) J’avais plus ou moins pris des parts de la plage à Ramatuelle. Mais cette plage n’existe plus aujourd’hui. »

En juin 2018, José Menconi est mis en examen pour l’affaire du double meurtre de Bastia. Puis, fin novembre 2020, il est poursuivi dans le cadre d’un projet d’évasion de Rédoine Faïd de la prison de Fresnes (Val-de-Marne). Un projet qui aurait été élaboré courant 2017, quelques mois avant la retentissa­nte « belle » de Faïd en hélicoptèr­e de la prison de Réau (Seine-et-Marne) à l’été 2018. Lors de l’enquête, il est question d’un personnage surnommé « Le Serpent » ou « Le C » (comprendre le Corse), qui aurait eu un rendez-vous avec des proches de Rédoine Faïd lors de la cavale. José Menconi nie avoir pris part à un quelconque projet d’évasion du braqueur, originaire de Creil (Oise). Pis : il se montre même assez courroucé par le portrait que Faïd aurait fait de lui dans son livre, le faisant passer pour « une cloche » selon sa propre expression. Malgré ses dénégation­s, Menconi est encore mis en examen pour ce projet d’évasion. A l’été 2020, retour sur la Côte d’Azur où il séjourne du côté de Gassin, dans une villa prêtée par un ami, horloger à Genève. Ce dernier l’invitera également à passer du bon temps sur son bateau, au large du domaine de Murtoli en Corse-du-Sud, où, tous les étés, se côtoient politiques, people et jet-setteurs. Remis en liberté, le 24 décembre 2020, et recyclé comme « apporteur d’affaires dans l’immobilier et la vente d’automobile­s », José Menconi a, une nouvelle fois, été interpellé au mois de mars dernier dans le cadre d’une enquête sur le blanchimen­t des activités du « Petit Bar », avant de ressortir sans aucune poursuite. « Aujourd’hui, je paye mon nom et mes affaires du passé », a-t-il répété lors d’une de ses auditions à la PJ de Versailles. Pas sûr que policiers et magistrats l’aient vraiment entendu.

« IL Y A ZÉRO EXCUSE... C’EST VRAI QUE JE DEVAIS T’APPELER, J’AI PAS FAIT. (...) ÉCOUTE, NE T’INQUIÈTE PAS, JE SUIS LÀ... EUH... FIN DE SEMAINE, JE TE DONNE DEUX MILLE À PARIS, JO... » ÉCHANGE ENTRE LE CHEF CHRISTOPHE LEROY ET JO LE CORSE, CAPTÉ LORS D’UNE ÉCOUTE.

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