LAETITIA, LOUIS ET NOTRE ÉPOQUE
Laetitia Casta et Louis Garrel sont hilarants dans le nouveau film de Louis, La Croisade, qui vise incroyablement juste dans les préoccupations de l’époque, entre pandémie, alerte climatique et prescience des enfants. De ça et d’autres sujets du moment, ils parlent ici longuement. Et intelligemment.
LA TABLE DU DÉJEUNER EST DRESSÉE dans une jolie maison au sud du XIVe arrondissement parisien. Trois générations de femmes Casta se retrouvent pour partager le repas avec Louis Garrel. Car dans cette maison, les femmes sont majoritaires – même s’il y a quelques mois, un nouveau-né baptisé Azel, à la frimousse souriante et à la tignasse rousse, est venu grossir le contingent masculin. Le soleil illumine la cuisine. Pendant un moment, on pourrait se croire dans un film de Jean Renoir, à savourer la trêve pacifiée d’un déjeuner à la campagne. Après un partage démocratique de merveilleux gâteaux, ces femmes gracieuses s’évaporent dans la maison, et l’on se retrouve à discuter à bâtons rompus avec Laetitia et Louis, comme avec des amis. Deux amis qui sont par ailleurs des stars, et qui viennent à nouveau de travailler ensemble. Après avoir mis en scène une première fois son couple à la ville dans le déjà très réussi L’Homme fidèle, Louis Garrel récidive. Pour La Croisade, il a imaginé, avec son complice Jean-Claude Carrière, une fable diaboliquement drôle et contemporaine où un petit garçon peut-être plus éveillé que ses parents au monde comme il va mal, leur vole des objets qu’il juge inutiles pour financer un programme écologique à l’échelle de la planète. On n’a ici spoilé que les premières minutes du film, et on laissera aux spectateurs la surprise de la suite, comédie vraiment à hurler de rire, qui nous promène d’une forêt francilienne au désert africain. Logiquement, on commence par parler de ce film, avant d’élargir la conversation à d’autres sujets contemporains dont certains hautement radioactifs. Laetitia et Louis ne sont pas toujours d’accord, doutent, réfléchissent, élaborent ensemble une réflexion dont on sent qu’elle précédait et survivra à cet entretien. On vit donc comme un privilège d’avoir partagé avec eux cette discussion, ponctuée, quand les esprits entrent en surchauffe, de tonitruants éclats de rire.
Laetitia et Louis, c’est la deuxième fois que vous travaillez ensemble, mais ce qui surprend ici, c’est à quel point, Louis, tu te poses en boomer : tu incarnes la vieille garde totalement dépassée par la conscience écologique de
votre fils de fiction.
Louis : Ça, ça vient de Jean-Claude (Carrière, grand scénariste, mort le 8 février dernier, ndlr). On avait écrit ensemble mon film précédent, L’Homme fidèle, et ça s’était tellement bien passé que je l’attendais pour qu’on retravaille ensemble. Un jour, il m’appelle en me disant qu’il a une idée. Je fonce chez lui et il me lit toute la première scène du film. Et quand on arrive au moment où le fils dit à ses parents : « Si je vous pique des trucs pour les revendre, c’est pour sauver la planète », là, je tique. Je lui dis : « Jean-Claude, je ne trouve pas ça juste. Des enfants qui sont obsédés par l’écologie, ça me gêne parce que ça fait comme si on mettait dans la tête d’enfants des idées d’adultes. » Bref, je laisse un peu l’idée de côté en disant à Jean-Claude qu’il faut qu’on se lance sur un autre sujet. Mais il continue dans son coin. Et tout à coup, je vois au journal de 20 heures une jeune suédoise, Greta Thunberg, qui fait la grève de la faim pour alerter sur le climat. Et trois mois plus tard, on voit ces manifs d’enfants dans le monde entier. Donc là, je l’appelle et je dis « Mea culpa ». Et il me fait : « Dépêche-toi de faire ce film sinon tu vas avoir l’air de courir après le réel, tandis que là, tu peux le devancer. Dépêche-toi ! »
Et toi, Laetitia ?
Laetitia : Je n’étais pas aussi rétive que Louis, mais je lui avais dit qu’il fallait faire attention à ce que ça ne soit pas trop théorique, pas seulement du discours. Surtout, je me souviens d’un déjeuner il y a longtemps avec Jean-Claude au cours duquel il nous avait parlé des micro-particules qui se baladent dans l’air, qui