RONGÉ PAR LE MÂLE
Chaque année en France, la Police judiciaire ouvre plus de 800 enquêtes et 20% d’entre elles ne connaissent pas de fin. Rangées au placard, mises sous silence. C’est sur la base de ce constat tragique que Dominik Moll a choisi d’entamer son nouveau film, La Nuit du 12. Adapté d’un ouvrage de Pauline Guéna, 18.3 - Une année à la PJ (Éditions Denoël), ce brillant polar mené par Bastien Bouillon et Bouli Lanners suit le travail d’investigation de deux policiers après le meurtre brutal d’une jeune fille à Grenoble. Des thrillers sans coupables, le cinéma en a déjà imaginé par le passé. Des géniaux même comme Memories of Murder de Bong Joon-ho ou Zodiac de David Fincher. Mais ce qui passionnait le réalisateur de Harry, un ami qui vous veut du bien se trouvait ailleurs. “Mon scénariste Gilles Marchand a eu l’intuition que la vraie thématique du film, et qui n’apparaissait pas clairement dans le récit de Pauline Guéna, était le rapport hommes/femmes et le questionnement de la masculinité.”
Et si tous les hommes avaient été coupables, à leur manière, par leurs attitudes et leurs stéréotypes chevillés au corps, de la mort de la jeune femme ? Peu de polars osent s’aventurer sur ces terrains-là. La Nuit du 12 y saute à pieds joints, avec le cynisme et la noirceur habituelles au cinéma de Dominik Moll. Une réplique, prononcée par une policière, résume tout : “Les hommes tuent et font la police.” “C’est à la fois choquant et comme accepté par tous”, reconnaît le cinéaste qui a pu rendre visite à la
Police judiciaire de Grenoble pendant une semaine. Il a vu et relaté dans son film leur quotidien besogneux, les procès verbaux en pagaille, les couples qui se délitent une fois passé la porte du commissariat. “Il était aussi important pour nous de faire exister le groupe dans le film. Le groupe devient presque une première famille”, confia-t-il.
Une famille où il n’y aurait pratiquement que des hommes prisonniers de leur virilité, qui se confient peu et élaborent d’autres remèdes à leurs frustrations et déceptions. “La tension qui s’accumule, entre mecs, ils l’évacuent avec des blagues potaches.” Mais la mélancolie de La Nuit du 12 se dégage justement dans ce qui n’apparaît pas à l’oeil du spectateur, de prime abord. Ce sont les femmes qui vont permettre à Yoann, l’enquêteur obsessionnel du film, de voir plus clair dans ses recherches et de mettre les mots sur le Mal qui le hante. Ce sont aussi elles qui vont lui offrir les moyens derrière lesquels il a si longtemps courus. “Comme le montre le féminisme, il y a une prédominance du patriarcat et les hommes continuent de tenir les postes clés dans la société. Si les hommes parvenaient à faire plus de place aux femmes, voir ce qu’elles peuvent apporter, ça serait déjà un petit pas encourageant”, résume le cinéaste. Le septième art ne sort pas non plus indemne de cette conclusion, malgré des avancées en France. “Mais il y a du boulot quoi !”, conclut-il lors de notre rencontre. Une phrase qui enrobe parfaitement l’art délicat de Dominik Moll, laborieux mais convaincu à trouver le point de lumière dans la noirceur du réel.
La Nuit du 12, sortie le 13 juillet au cinéma.