Tendance arc-en-ciel

Dans le monde impitoyable des montres de luxe, les pièces multicolores et incrustées de pierres précieuses s’imposent comme la nouvelle obsession des collectionneurs, nous dit Nick Foulkes.

LES MONTRES ARC EN CIEL, incrustées d’une myriade de pierres précieuses colorées, se sont récemment hissées parmi les modèles les plus collector de l’horlogerie haut de gamme. Si Rolex se frotte aux coloris bariolés depuis les années 1980, lorsque la marque avait retravaillé ses élégants modèles Cellini, c’est la Cosmograph Daytona, sortie en 2013, avec ses 36 saphirs coupe trapèze déclinés en di érents tons, qui a initié cette nouvelle passion pour les palettes multicolores. Depuis, les pièces Rolex se déclinent en une multitude de nuances, jusqu’à la Yacht-Master de 2022, sertie de pierres bleues et violettes, et la nouvelle Daytona polychrome, un trophée pour les férus de montres des années 2020.

“Pour tout amateur de Daytona qui se respecte, le modèle arc-en-ciel est un indispensable”, explique Remy Julia, expert en horlogerie chez Christie’s. “Le but ultime étant de posséder la trilogie jaune, blanche et rose. Il y a six ans, quand je travaillais dans les ventes privées, elle coûtait 240 000 dollars. Aujourd’hui, le prix a doublé et il continue d’augmenter.” Ce qui était auparavant une manière originale pour les aficionados de montres de flamber avec des modèles ostentatoires et coûteux est aujourd’hui devenu une véritable pierre angulaire de l’industrie. Des maisons comme Hublot et Audemars Piguet ont su apprivoiser la tendance bigarrée en s’inspirant de mouvements artistiques et culturels qui dépassent le seul univers de l’horlogerie.

Hublot s’est posé en précurseur avec le lancement de la Big Bang Unico Sapphire Rainbow en 2017. Le modèle a fait forte impression au Met Gala l’an passé, au poignet du styliste Law Roach, qui habille autant Zendaya que Lewis Hamilton. “La Big Bang Unico est une forme d’hommage de Hublot au pop art, qui utilise des tons vifs et audacieux pour réinterpréter la haute horlogerie”, explique Ricardo Guadalupe, le CEO de Hublot. “Comme le succès était au rendez-vous, nous avons étendu le multicolore au reste de nos collections.”

Quand j’ai vu pour la première fois la nouvelle montre Royal Oak O shore Selfwinding Music Edition, signée Audemars Piguet, l’oeuvre de Kandinsky m’est immédiatement venue à l’esprit. Le pionnier de l’art abstrait aurait été sujet à une forme de synesthésie – dans son cas, il avait la possibilité de voir la musique en couleurs.

Kandinsky n’a jamais pu “voir” les hits du producteur star britannique Mark Ronson qui portait fièrement la Royal Oak bien avant qu’il ne devienne ambassadeur Audemars Piguet plus tôt cette année. Le DJ-producteur a été nommé par la maison d’horlogerie à l’occasion du lancement de ses dernières O shores, qui s’inspirent de l’équipement du studio d’enregistrement. La structure Tapisserie signature du cadran a ainsi été imprimée de manière à reproduire le nuancier du VU-mètre, l’outil de l’ingénieur du son pour égaliser le volume. Les boutons à texture moletée rappellent les prises jack et les protège-couronnes font référence au fader d’une console de mixage. Pour vivre l’inverse d’une synesthésie à la Kandinsky (entendre une musique en scrutant votre montre colorée), il vous faudra mettre la main sur la nouvelle version, au cadran serti de gemmes et dont les tons épousent au plus près ceux de l’égaliseur. Sa lunette révèle quant à elle un dégradé de rubis, de tsavorites et de saphirs qui oscillent entre jaune, orange, vert et bleu.

Des pièces à la palette chromatique exubérante se retrouvent aussi chez Chanel – qui s’inspire des stroboscopes de la culture électronique avec sa collection J12 Electro – ou A.P. avec sa référence aux 10 couleurs de l’égaliseur de son.

Les déclinaisons multicolores font aussi le bonheur des joailliershorlogers qui mêlent leurs talents d’artisans à leur expertise en sourçage de pierres précieuses. J’en ai personnellement eu un aperçu avec une création aux nuances tourbillonnantes signée Chopard. Ce n’est pas tant un modèle arc-en-ciel qu’un exercice magistral, mêlant couleurs et prouesse technique : sur l’intégralité de la montre, du boîtier au cadran en passant par le remontoir, les barettes et le fermoir, se joue une symphonie de couleurs étincelantes. Si seulement Kandinsky avait pu voir ça.

sarah mandois, adaptation française