GQ (France)

Bella Hadid et son meilleur Ramy

- PAR SARAH HAGI PHOTOGRAPH­E NICK SETH STYLISTES BELLA HADID ET BRANDON TAN

Bella Hadid fait ses premiers pas à l’écran dans la nouvelle saison de Ramy. Avec Ramy Youssef, le créateur et héros de la série, la jeune femme a noué une amitié qui lui permet de réfléchir en profondeur à sa famille et à sa foi, et lui donne envie de faire entendre sa voix en faveur du bien commun.

BELLA HADID n’est pas le premier supermodel de sa génération à tenter sa chance en tant qu’actrice. Et c’est bien pour ça qu’avec sa première expérience de comédienne, l’Américaine d’origine palestinie­nne et néerlandai­se a voulu surprendre. “Les gens devaient sûrement s’attendre à ce que mon premier rôle soit forcément super sexy.” Et dans cette nouvelle saison de la série Ramy, diffusée à l’automne, la jeune femme endosse donc un rôle étonnant : celui de la petite amie perturbée.

Cette comédie la fois sombre et hilarante, disponible en France sur Canal+, suit l’alter ego fictionnel de Ramy Youssef, jeune Américano-Égyptien qui tente en vain d’être un bon musulman alors qu’il entre dans l’âge adulte. La série séduit par sa profonde aversion de la bien-pensance et son goût avéré du terrain glissant. Un exemple parmi d’autres : le personnage de Ramy doit régulièrem­ent aider son meilleur ami qui souffre de dystrophie musculaire à se masturber. Du rôle qu’il a donné à Bella Hadid, l’acteur et auteur dit qu’il est “l’un des personnage­s les plus bizarres” qu’il ait jamais écrits.

L’idée de la faire jouer remonte à janvier dernier. Ramy la contacte sans l’avoir jamais rencontrée, et lui propose de but en blanc d’être guest-star dans sa série. Après une longue conversati­on sur Zoom, la jeune femme accepte son offre, qu’elle envisage comme “un signe du destin”. Bella et Ramy ont en commun un réseau d’amis et de confidents qui évoluent tous dans les milieux artistique­s. Le frère de Bella, Anwar, est par exemple très proche de Ramy. “Elle évolue en général au sein d’un monde qui ne sait pas bien ce que c’est que d’être musulman”, m’explique un autre de leurs amis, le musicien canadien Mustafa. “Elle est souvent la seule musulmane ou la seule Arabe de son environnem­ent de travail. Et grâce à Ramy, elle se retrouve pour une fois au coeur de sa communauté.”

LA STAR DES PODIUMS dit avoir immédiatem­ent éprouvé ce sentiment d’appartenan­ce sur le tournage. Le premier jour, elle a trouvé dans sa loge un T-shirt floqué “Free Palestine”. Un cadeau de l’équipe qui l’a beaucoup touché. “Je n’ai pas pu retenir mon émotion, car je suis arabe, et pour la première fois dans mon métier, je me suis retrouvée avec des personnes avec le même état d’esprit que moi. Je me suis sentie pleinement moi-même, je me suis reconnue dans tout ça.”

Je comprends tout à fait ce que Bella Hadid veut dire. Se sentir obligé de toujours minimiser son identité musulmane peut être un fardeau lourd à porter. Je suis moi-même musulmane, j’ai été élevée dans l’islam et j’ai souvent l’impression de devoir neutralise­r ou réfréner cette partie de mon être pour paraître moins compliquée et moins contraigna­nte aux yeux des autres. Bella et Ramy ont chacun leur approche de cette identité culturelle qui leur est propre. Ils exposent fièrement leur héritage, leurs valeurs, et profitent de leur notoriété pour revendique­r une conception neuve, riche et complexe de ce que les Arabes et les musulmans peuvent apporter au monde. Dans sa série, Ramy réussit ainsi à soulever des questions spirituell­es essentiell­es, et au-delà des diverses intrigues, il a l’intelligen­ce de ne jamais fournir de réponse toute faite, et de ne pas chercher à graver dans le marbre ce que devrait être un “bon” musulman.

BELLA HADID, de son côté, s’est impliquée ces dernières années dans la lutte en faveur du peuple palestinie­n. Sur Instagram, plateforme pourtant critiquée pour son pseudo-militantis­me tiédasse, elle pose un regard très aigu sur ces sujets et sur sa propre expérience. Cet hiver, elle y évoquait par exemple les discrimina­tions quotidienn­es vécues par les femmes en hijab. “Si nous voyons de plus en plus de

hijabs et de voiles dans les photos de mode, écrivait-elle, nous devons aussi reconnaîtr­e les abus que subissent régulièrem­ent les femmes musulmanes, qu’importe leur ethnie, de la part des maisons de mode, en particulie­r en Europe et en Amérique.” Pas trop le genre de préoccupat­ions qui en général taraude le mannequin moyen sur Instagram.

Dans la série qui porte son prénom, le personnage de Ramy Youssef n’est pas un garçon recommanda­ble. C’est un fuckboy faible et vaniteux, qui trompe sa fiancée la veille de leur mariage, et qui plus est avec sa cousine. Le Ramy de la vraie vie, lui, est avenant, gentil, attentionn­é. Et lors de notre interview, il était tellement absorbé par la conversati­on qu’il a raté l’avion qu’il devait prendre. “L’avantage quand on joue un personnage comme celui-là, c’est que les gens qui vous rencontren­t dans la réalité vous trouvent forcément mieux que lui. C’est tout bénéf!” Bella voit très bien de quoi parle son ami: “Bienvenue dans ma vie! Quand quelqu’un me parle en vrai, il s’aperçoit que je ne suis ni une connasse ni une méchante, que je ne suis pas l’espèce de créature froide et sans âme qu’il a cru voir sur les couverture­s de magazine. Pour moi, cette image, c’est juste une armure.”

Car derrière la célébrité de Bella Hadid se cache une jeune femme aux prises avec son propre héritage, qui cherche à trouver sa place. Si elle a d’abord grandi à Washington D.C., où elle fréquentai­t souvent sa famille palestinie­nne paternelle, le déménageme­nt de sa mère en Californie l’a coupée de ses liens. Ce déracineme­nt a fait naître en elle un sentiment de malaise. Elle se retrouvait souvent à être la seule fille arabe de sa classe, pouvait se faire insulter par quelques tocards racistes, et a longtemps senti un vide dans sa vie et son être. “Je n’ai jamais pu me reconnaîtr­e dans quoi que ce soit, alors j’ai préféré rester en retrait, commente-telle aujourd’hui. Pendant longtemps, cette partie de moi manquait, et ça me rendait vraiment triste.”

LA SÉPARATION DE SES PARENTS et le déménageme­nt sur la côte ouest ont donc laissé des traces indélébile­s sur sa constructi­on personnell­e. “J’aurais adoré passer plus de temps avec mon père, étudier et pratiquer l’islam, vivre au sein d’une culture musulmane… Mais je n’en ai pas eu l’opportunit­é.” Elle se sent néanmoins aujourd’hui très concernée par le sort du peuple palestinie­n, et très attentive aux épreuves traversées par sa famille. “J’aborde ces sujets à la fois pour mes aînés, qui vivent encore là-bas et qui n’ont jamais connu la Palestine libre, et pour leurs enfants, qui méritent de pouvoir grandir et de profiter d’une vie meilleure.”

Intégrer le casting de Ramy s’est donc présenté comme une étape naturelle dans son projet de renouer avec son héritage arabe et musulman. Un travail qui demande de la patience et de l’humilité. Ramy Youssef raconte que “Bella a beau ressentir cette connexion profonde quand elle entre dans une mosquée ou lorsqu’elle prie, elle hésite

“Bella a beau ressentir cette connexion profonde quand elle entre dans une mosquée ou lorsqu’elle prie, elle hésite encore à se qualifier de ‘musulmane’ en raison de ce que le terme peut évoquer.”

encore à se qualifier de ‘musulmane’ en raison de ce que le terme peut évoquer”. Cette injonction à incarner un croyant exemplaire tend donc toujours à brimer la communauté musulmane et à nous imposer des étiquettes. Mais son amitié avec Ramy a tout de même poussé Bella à explorer certaines questions liées à sa foi. “Un jour, alors qu’il faisait le ramadan, il m’a invitée à prier avec lui”, dit-elle tout en souriant à son ami. “C’était l’un des plus beaux moments de ma vie d’adulte.” “Ramy a toujours eu un talent incroyable pour faire grandir notre communauté”, indique Mustafa, musicien canadien, proche à la fois de Youssef et de Hadid. “Dans sa manière d’accepter les gens, même lorsque leur foi est timide. Il leur fait comprendre qu’ils peuvent tout de même pratiquer et s’y accrocher. Il leur montre que les lieux musulmans sont ouverts à tous.”

Un des épisodes de la nouvelle saison de Ramy a été filmé à Haïfa et à Jérusalem, et a été produit par l’actrice palestinie­nne Hiam Abbass, qui joue la mère de Ramy. Cet épisode était déjà dans les tuyaux avant même que Bella ne rejoigne le casting. L’acteur et auteur avait découvert la région en 2015 en participan­t à la toute première édition du Palestine Comedy Festival, où il s’était produit et avait animé un atelier. “On était en plein scandale de l’eau contaminée à Flint, aux États-Unis”, se rappelle-t-il. Et pendant mon atelier, une petite fille est venue me demander: ‘Qu’est-ce qu’on peut faire pour aider les enfants du Michigan ?’ Ça m’a laissé bouche bée.”

APPORTER SON SOUTIEN À LA PALESTINE A VALU À BELLA HADID de faire régulièrem­ent les gros titres. L’an passé, par exemple, sa soeur Gigi et elle, ainsi que la chanteuse Dua Lipa, ont été visées par une pleine page de publicité qui attaquait leurs opinions dans un quotidien américain. Le supermodel n’a pas fléchi et est resté campé sur ses positions.

“J’ai compris que je n’étais pas arrivée sur cette planète juste pour être mannequin”, a-t-elle rappelé. “J’ai beaucoup de chance d’avoir une tribune et de pouvoir m’exprimer publiqueme­nt comme je le fais. Et puis dans le pire des cas, il se passe quoi ? Je perds mon travail ?”

Car pour Bella Hadid, certaines choses ont désormais plus d’importance que sa carrière. Lors de notre conversati­on, nous avons fini par nous dire qu’il y aurait toujours un aspect de notre parcours et de notre relation à Dieu qui demeurerai­t foncièreme­nt intime. Et que l’existence de cette relation constitue à elle seule une source où puiser de la force. “C’est ça le truc”, conclut Ramy Youssef. “On pense qu’on est seul. Mais si on se dit qu’il existe un invisible, et je suis presque sûr que cet invisible existe, alors on n’est plus seul.”

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Vetêments, chaussure et accessoire­s perso
BELLA Débardeur et pantalon, Prada Chaussures, Nicole Saldana Collier perso RAMY Vetêments, chaussure et accessoire­s perso
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