“Le pastrami, c’est ma synagogue ”
Romain Levy, d’où vient votre fascination pour la cuisine des Delicatessen ?
Du quartier de la rue des Rosiers à Paris (4e). Avec mon grand-père, on se rendait souvent à La Boutique Jaune de Sacha Finkelsztajn, le traiteur yiddish du Marais pour acheter des pieds de veaux en gelée (galeh) et des boulettes de poisson (gelfitte fish). Mais à l'époque, le pastrami je ne savais pas trop ce que c'était. Ce n'est que des années plus tard, en allant à New York, que j'ai commencé à en manger et ça m'a rendu complètement dingue…
Comment ça ?
Disons que là-bas, tous les mecs de base vont chez Kat'z à cause de la fameuse scène du film Quand Harry rencontre Sally (Rob Reiner). Mais quand on connaît un peu, on découvre différentes atmosphères de pastrami selon les endroits. L'une de mes préférés, c'est le 2nd Avenue Deli dans East Village dont le patron (Abe Lebewohl) s'est malheureusement fait assassiner il y a quelques années. Sur place, ce qui est absolument fascinant, ce ne sont pas juste les triples sandwichs de pastrami aux pancakes de pommes de terre, les rouleaux de corned beef ou les langues de boeuf à la polonaise, mais tout ce qu'il y a autour : les photos de toutes les légendes du stand up depuis les années 30, ce qu'on appelle le « yiddish Broadway », et aussi les fantômes de Mohamed Ali, Joan Rivers, Joe Di Maggio, Yitzhak Shamir…
La culture Delicatessen, c’est seulement à New York ou ça marche aussi à Los Angeles ?
Pour la cuisine ashkénaze, ça se passe surtout à New York. Mais à Los Angeles, le top c'est Canter's sur Fairfax Avenue, le Delicatessen près du quartier gay à West Hollywood où était venu dîner Obama il y a deux ans. On y mange d'incroyables sandwichs de steaks grillés aux oignons sautés et champignons avec du « jack cheese » fondu (fromage de moines californiens, ndr) et le célèbre « Monte Christo » à la dinde rôtie, au jambon et
La poitrine de boeuf fumée, le chou au cumin, les pieds de veau en gelée... Pour le réalisateur Romain Levy (Radio Stars, Une étrange affaire), la cuisine des Delicatessen est comme une Torah à emporter. Et c’est encore meilleur quand on a oublié qu’on était juif.
au fromage de Suisse avec des tranches de Hallot, le pain de Shabbat doré aux oeufs. Et là encore, c'est toute une ambiance. L'endroit est marqué par tous les musiciens (Jackson Browne, Bono, The Cars, etc.) qui sont passés déguster l'incontournable « Buck Benny », une sorte de burger à la choucroute et aux saucisses allemandes (avec des Bun's de Shabbat) ou boire un Canter's Bloody (vodka infusée aux cornichons) au bar de la maison, le Kibitz Room. Et comme le taulier actuel, Marc Canter, l'arrière-petit-fils d'un des fondateurs, est un pote d'enfance de Slash, il n'est pas rare non plus d'y croiser les Guns N' Roses.
Depuis quand mange-t-on de bons pastramis à Paris ?
On en trouvait déjà chez Finkelsztajn, il y a 25 ans ! Tout comme les « Pickel fleish », une version moins fumée, juste saumurée de la poitrine de boeuf. Mais dans les années 90, on n'avait pas encore la culture du sandwich et tout ce qui va avec : le pain de seigle un peu tiède, façon Pumpernickel allemand, la moutarde américaine un peu sucrée, les 7 000 tranches de Pastrami coupées hyper fines, etc. Et puis vers 2 010, après avoir bossé sur les scénarios de De l'huile sur le feu avec Vincent Lacoste et Une pure affaire
J’ai ouvert l’un des premiers Delicatessen avec mon père
avec François Damiens, j'ai ouvert l'un des premiers Delicatessen avec mon père. Ça s'appelait le « Roman's Famous Deli », une petite affaire très humble (rires). On faisait de vrais sandwichs au pastrami avec du chou au cumin, des graines de coriandre, etc. Mais ça a commencé à capoter au bout de deux ans. Et comme je commençais à écrire Radiostars (2012, avec Manu Payet et Clovis Cornillac, ndlr), ça devenait ingérable. Un an plus tard, Schwartz's ouvrait à Paris. Et alors là, j'étais le mec le plus heureux du monde.
Schwart’z, c’est ce qui se fait de mieux en France pour le Pastrami ?
Ce n'est pas comme à New York, parce qu'il y a des petites différences de qualités de viandes. Mais c'est clairement le meilleur ici avec le Frenchie to Go de Gregory Marchand où l'on sert un Reuben's sandwich au pastrami remarquable, avec du Keen's Cheddar et du pain des amis de Christophe Vasseur. Tous les autres sont très, très en dessous. En tous cas sur la cuisine ashkénaze…
Il y a une vraie frontière entre les cuisine askénaze et séfarade ?
Bien sûr. Officiellement, les ashkénazes préfèrent la cuisine séfarade parce que les harengs à la crème ou le goulash polonais, ce n'est pas toujours très accessible. Mais chez les sépharades, on trouve aussi des trucs hardcores. Prenez la Pkaila, par exemple, un ragoût tunisien de boeuf, d'épinards frits et de haricots blancs. Esthétiquement, ça ressemble à de la chiasse. Et la première fois, on a du mal à se lancer. Mais de là à se resservir, faut vraiment être très attaché à sa famille ou à sa meuf. En fait la cuisine juive, c'est un peu comme des niveaux de jeux vidéos. Faut y aller étape par étape. Et ça devient de plus en plus hard… On ne peut pas y aller comme ça, juste pour goûter. Sauf pour le pastrami ! Moi, quand je vois un sandwich au pastrami, ça me réconcilie avec mon identité juive, c'est ma synagogue à moi.