"SI J’ÉTAIS MINISTRE",
Gardes la note de taxi, tu me la donneras quand tu viendras me voir à la maison ! » 23 Mars 2016, Taxi 6103, 17h12, abonné G7 Club Affaires JP Coffe. On a toujours la note, mais on n’a guère eu le temps de lui rendre à son domicile de Lanneray (Eureet-Loire). Notre ami Jean-Pierre Coffe est parti 48 heures plus tard, emporté par une crise cardiaque qu’on n’avait pas vu forcément venir. Malgré la maladie (Parkinson), l’écrivain, le cuisinier, l’homme de télé (Canal Plus, France 2), l’ex-meneur de revues, le roi de la fanfreluche qui pouvait passer des heures à discuter de la sexualité des Poules du Mans (« le coq est impuissant, il frotte mais il n’ envoie rien »), son dernier combat pour développer cette volaille oubliée des 30’s, pétait le feu comme un joueur de Pokémon Go et multipliait les projets : 3 livres, un sandwich trois-en-un pour Leader Price, un salo un du Dictionnaire, une émission avec Elise Lucet, etc. Comme chaque année, il avait voulu refaire le monde avec la rédaction de Grand Seigneur autour d’un gigot d’agneau et quelques godets bien envoyés à l’Abordage, son auberge préféré à Paris, près de la Place Saint-Augustin (Paris 8è). Chacun de nos entretiens à déjeuner était comme une émission de Jacques Chancel sur la route des vins : on enregistrait tout, on écoutait tout. Et même après la 3è bouteille, on n’en perdait pas une miette… Nouveau au menu : la politique. Ou plutôt un témoignage politique par anticipation, celui d’un vieux saltimbanque de la gamelle qui se serait bien vu Ministre de l’Agriculture. Une lubie, un naufrage de l’âge? Pas sur. On ne saura jamais s’il aurait aussi bien concilié Leader Price et la recette du Kouign Aman que l’agriculture intensive et la production bio à la tête du pays. Mais il aurait eu au moins le mérite d’essayer.
Le gouvernement, les Berluti et les truies à vingt-deux tétons…. Deux jours avant sa mort, Jean-Pierre Coffe se livrait à Grand Seigneur lors d’un entretien exclusif en forme de testament politique olé-olé. Un document pour l’histoire ou pas.
Jean-Pierre Coffe, vous avez publié à 77 ans votre autobiographie complète (Une vie de Coffe, Stock). On apprend enfin tout sur votre mère, vos restos, la cuisine, Jean Carmet, le cochon Lucien, la télé, le burger que vous avez refusé à Jimmy Carter, etc. Ca s’est bien vendu?
— Fort bien ! Mais vous savez, la belle époque où l’on vendait vraiment beaucoup de livres est terminée. Il faut se faire une raison. Le dernier grand score que j’ai fait en librairie, c’était il y a quelques années avec Le plaisir à petit prix (Plon, près de 400 000 exemplaires). Il faut dire aussi qu’on a un peu abusé en sortant tout et n’importe quoi, surtout dans les livres de cuisine.
Comment ça?
— Au tout début des 80’s, Christian Gault et Henri Millau (le guide Gault et Millau, ndr) avaient complètement renouvelé le genre en starisant les chefs de la nouvelle cuisine comme Alain Chapel, Georges Blanc, Jacques Maximin, etc. Quiconque recevait leur prix du « Meilleur cuisinier de l’année » pouvait espérer vendre un livre de cuisine à près d’un million d’exemplaires. C’était de la folie furieuse ! Et puis, le bon filon s’est tari, parce que les gens se sont rendus compte que leurs recettes n’étaient pas toujours complètes. En fait, on peut même dire que beaucoup de chefs trichaient. Ils n’avaient absolument pas envie qu’on sache comment ils avaient obtenu leurs étoiles, ni qu’une simple ménagère puisse refaire leurs plats signature, alors qu’ils vivaient sur des additions par table au prix du smic. C’est bien normal. La recette de la fameuse tarte au chocolat de Bernard Pacaud de l’Ambroisie (le restaurant de la Place des Vosges, Paris 4è, où ont dîné Barack Obama et François Hollande, ndr), par exemple, je ne l’ai obtenue complète que dix ans après la sortie de son livre (L’Ambroisie, Robert Laffont), lorsque son fils Mathieu est venue la préparer chez Drucker (100 grammes de chocolat amer, un oeuf entier, deux jaunes, une cuillère à soupe d’extrait de café, etc) sur France 2. C’est un peu pour ça qu’aujourd’hui, on est envahi de petits livres de cuisine graphiques, pratiques et pas trop chers. Les recettes de stars, c’est terminé.
En presque trente ans, vous avez également sorti près d’une trentaine de livres de cuisine (Le bon vivre,
Les recettes inratables, etc). Mais jamais avec une seule image à l’intérieur. Pourquoi?
—En fait, je déteste ça. C’est ce que
Je me demande ce que j’aurais fait si j’avais été Ministre de l’Agriculture
j’appelle le syndrôme Monique Maine : une femme charmante qui faisait les fiches cuisine de Elle, mais avec des photos produites en studio qui ressemblaient plus à de la peinture qu’au plat réel. Du coup, les lectrices ne retrouvaient jamais dans leurs assiettes le joli cliché qu’il y avait dans le manuel. Moi, je préfère apporter aux gens un peu de compréhension, de la culture et du savoir, que des visuels attrape-couillons. Et puis, ce côté « achète mon bouquin, j’ai une super recette de béchamel », ça suffit. Les gens ont compris, ils savent la faire la Béchamel ! Mais ce qu’on peut encore leur apprendre éventuellement, c’est d’où elle vient? Qui était ce Louis de Béchameil, Marquis de Nointel et maître d’hôtel de Louis XIV? Pourquoi elle a donné naissance à la sauce Mornay, etc ?
L’histoire de la cuisine, c’est le sujet de votre prochain livre?
— Pas tout de suite. En ce moment, j’écris surtout un ouvrage pour Hachette sur l’art des conserves, c’est un sujet qui me passionne. Mais après, j’aimerais me consacrer à un roman historique sur Louis XIII, Louis XIV et Louis XV. C’est l’histoire du fils caché de Louis XIII, conçu avec une dame de passage à l’issue d’une partie de chasse - il faut dire qu’il s’intéressait plutôt aux garçons - qui va devenir le jardinier de Louis XIV, puis conclure un pacte secret de botanique que vont se transmettre les rois de génération en génération. Ce qui m’amuse, c’est de raconter l’arrivée des premiers orangers en France, la fortune des jardiniers qui arrachèrent les oliviers sur la côte, le marché de la tulipe, etc. Mais aussi toute l’ambiance des tables de Versailles : les omelettes d’asperges, le poulet à la braise, la tourte à la chaire de poire, les cuisiniers La Varenne, Pierre de Lune, Massialot, etc. Bon, ce ne sera pas vraiment une histoire de la cuisine, je laisse ça à des auteurs bien plus doués comme Maguelonne Toussaint (Histoire naturelle et morale de la nourriture, Bordas), par exemple. Une femme remarquable de 90 ans que j’aimerais inviter au Salon du Dictionnaire.
Au Salon du quoi?
_ Le Salon du Dictionnaire aux Quinconces du Mans (Sarthe), c’est une idée que j’ai eu parce que j’aime beaucoup les dictionnaires, les encyclopédies, etc. C’est un moment de délicieuse perdition culturelle lorsqu’on passe d’un mot à l’autre. Quand on cherche, par exemple, comment s’appellent les éleveurs de lapins, on tombe sur le mot cunnilingus. Quel formidable raccourci dans le monde du casse-croûte… Et puis, arrivé en fin de carrière comme moi, je me disais que c’était quand même pas mal que je montre que je ne suis pas qu’un ventre. C’est vrai ça ! Pourquoi dans les salons du livre, t’as toujours des mecs qui ont écrit des tas de merdes qui signent des autographes et personne ne sait qui écrit des dictionnaires ?
Quand je partirai, je laisserai toutes mes infos à Elise Lucet
Si vous n’aviez pas qu’un seul choix, quel livre voudriez vous publier avant de mourir?
— « Si j’étais Ministre », c’est le titre d’un bouquin auquel je tiens beaucoup. Et que je voudrais sortir avant les élections Présidentielles de 2017. Il m’arrive souvent de me demander ce que j’aurais fait si j’avais été Ministre de l’Agriculture cinq ans sous Hollande. Et si je l’étais aujourd’hui comme Stéphane Lefoll... Parce que lui, à part m’avoir remis la Médaille du mérite agricole, ce qui est tout de même très aimable de sa part, on ne peut pas dire qu’il ait fait grand chose !
Et vous, vous feriez quoi?
— De l’agriculture à deux vitesses. C’est à dire une agriculture intensive, encadré et accompagnée par l’Etat. Et une agriculture bio et raisonnée, protégée par l’Etat. Je m’explique. Dans ce pays, on peut très bien faire du lait pour l’industrie avec de la vache Prim’Holstein. Et du lait plus riche en protéines avec de la vache Jersiaise (la Gisèle Bundchen des vaches laitières, ndr) pour 40% plus cher. Les deux modèles sont nécessaires et compatibles, rien ne sert de les opposer. On ne va pas demander à Bernard Gaborit (le nouveau Dali des produits laitiers, lire page X) de remporter de nouveaux marchés au Brésil ou en Chine et au Plateau des Millevaches de produire du lait frais bio non homogénéisé à la tonne. Et puis, pour tout vous dire, même si je suis un ardent défenseur du terroir et du fait-maison, j’en ai un peu ras le bol de ce procès permanent qu’on fait à l’industrie...
C’est à dire?
—L’industrie, ça peut être aussi des gens très bien qui font manger comme vous et moi, mais dans une gamelle géante. Et finalement, les ingrédients sont les mêmes. Si vous leur dites :« Mettez-moi du Muscadet avec mon canard de Challans, ils vous mettent du Muscadet. » Il font ce qu’on leur dit, ils respectent le client les industriels. A part quelques sagouins légendaires, mais ce n’est pas la majorité du genre.
La télé, ca ne vous manque pas?
—Non, c’est fini pour moi. Et puis, je suis trop vieux. Mais si j’étais journaliste et un plus jeune, j’adorerais faire des enquêtes comme mon amie Elise Lucet (Cash Investigation, France 2) sur l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique), par exemple. Saviez-vous que ces gens fabriquent des lapins à douze mamelles et des truies avec 22 tétons? Ca ne sert à rien parce que la moitié de leurs petits meurent à la naissance. Mais ils s’obstinent quand même au nom de la « prolificité » (nombre de portées obtenues par manipulation génétique, ndr).
Vous devriez en parler à Elise Lucet…
—C’est prévu. Quand je partirai, je lui laisserai aussi toutes mes infos sur la grande distribution. Et vous savez qu’elles sont nombreuses. Je crois que ça la fera « jouir » au vrai sens du terme (rires).
Que pensez-vous de la mise au rencard de Michel Drucker sur France 2?
— Je ne m’inquiète pas trop pour lui. La plupart des gens ont une fausse idée de Drucker, c’est un type beaucoup plus malin et intelligent qu’il ne le laisse paraître. Quand on voit que son spectacle (Seul avec vous !, au Théatre des Bouffes Parisiens à partir du 1er Octobre) fait un carton partout en France. Alors qu’il est juste assis dans un fauteuil et sans prompteur, franchement chapeau !
Depuis que le temps que vous bossez pour Leader Price, vous avez dû gagner beaucoup d’argent, non?
— Pas tant que ça, non. Et puis surtout, je n’ai jamais été augmenté depuis 2009 ! Si je vous disais combien je gagne, vous ne me croiriez pas. Mais bon, je ne vais pas cracher non plus dans le potage, ce serait mal élevé.
Vous travaillez sur de nouveaux plats pour Leader Price?
—Oui, un sandwich trois-en-un qui fait entrée, plat et dessert. Je teste un modèle de mini-baguette avec à l’intérieur à gauche une terrine, au centre une chiffonade de rôti et à droite une marmelade de fraises. Faut voir, ça peut marcher…
_ C’est quoi le secret du look Jean-Pierre Coffe? Vous avez un tailleur personnel?
—Là dessus, je n’ai vraiment pas eu de veine. J’ai perdu Nino Cerruti au bout de vingt ans de connivence vestimentaire (il a revendu sa maison, ndr), après j’ai perdu les frères Grimbert (Arnys) qui sont partis planquer leurs sous en Belgique. Et maintenant, je vais chez Christian Aujard. Je ne porte plus de sur-mesure, mais l’idée c’est d’être à l’aise et rigoureux dans l’accord des couleurs. Ce n’est pas une tenue de clown. Par exemple, tout est bleu et tout à coup, il y a une tâche qui relève le tout. Quand aux chaussures, c’est Berluti. Enfin, tant que je peux...
C’est vrai que vous avez connu Steven Spurrier, le célèbre caviste anglais de la Madeleine (Paris 8è), à l’origine du « Jugement de Paris »* et du décollage des vins de la Nappa Valley?
—Pas tant que ça, c’était un client de La Ciboulette à Beaubourg (Paris 4è), mon troisième restaurant qui a fait faillite. Il connaissait mes ennuis... Il m’a spontanément proposé de stocker mon mobilier, mes livres et toutes mes archives dans sa maison de Bourgogne, ça m’a beaucoup aidé. C’était un homme très classe, un modèle du genre.