Grand Seigneur

Rendeznous les gros chefs !

Étoilé mystère, le Chef Fernand nous écrit régulièrem­ent depuis sa cuisine. Son nouveau coup de gueule ? Les chefs au régime qui font du jogging…

- CHEF FERNAND

Trop, c'est trop ! Ou plutôt, cette fois, trop, ce n'est pas assez ! Il se fait tard du côté de mes fourneaux. Ma demi-portion de second vient d'éteindre le feu, mes commis tailles fines sautent le tablier, ma brigade vide les lieux. Un peu comme des mannequins en sortie de défilé. Drôle de tribu ! Sans plus d'épaisseur que ses tatouages. Suis pas là pour jouer les gros c… mais, ce soir, ras-la-casserole de ces poids plumes. Marre des maigres, marre des minces, marre des slims qui envahissen­t cette très chère gastronomi­e. Moi, j'ai connu l'autre, celle d'avant, la très en chair ! Celle qui fleurait encore bon le XIXème siècle et le notable, les Trente et les Glorieuses, la gouaille et le bourgeois. Celle qui assumait le ventru, le pansu, le dodu. Celle de ces chefs qui avaient du gras au bide, et pas moins de génie. Celle des Fernand Point (164 kg) et des mère Brazier. Celle où critiques, mangeurs, héros faisaient masse à faire poids : les Curnonsky, les Bibendum, les Gargantua, les Obélix, les Berrurier, les Tontons, les Flingueurs…

CUL DE POULE

Bien sûr qu'il y a quinze ans, au hasard d'un siècle soi-disant neuf, il convenait sûrement de déringardi­ser le milieu en dégraissan­t les mammouths. Lui coller de nouvelles idoles, de nouvelles icônes. Changer d'air, d'imaginaire, mais quand même… Comme dirait l'autre, observez le goût de l'époque ! Désormais moins gai ! Rien dans le ventre, tout dans le cérébral. Et si l'assiette est toujours le miroir d'une société, alors celle-là commence à faire peine. Peine à voir, peine à jouir. Des chefs comme des starlettes se pesant sur la balance avant de passer en salle, des chroniqueu­rs comme des mondaines et un public coincé entre cul de poule et trompe l'envie. À les suivre, c'est encore pire ! Au menu, les intitulés de plats virent autistes, écrits en morse, sans verbe, sans complément. Une fois à table, les plats rentrent le ventre, se pincent les lèvres. Des compositio­ns qui font tableaux, se cherchent des cimaises, prennent des grands airs, gobent des bols d'air. Une cuisine de ballerine, de paysagiste, sur les pointes, en aquarelle. Rien d'étonnant à ce qu'on la virtualise. Pique et pique et Instagram ! À l'instant de l'addition, on hésite entre sortir le portable ou la carte Vitale. La fameuse « food » est devenue une fashion-week comme les autres. Cool ? Sexy ? Disons surtout superficie­lle ! Loin des sens ! Un monde à la renverse, directemen­t passé de la grande bouffe au grand bluff. Pour qu'on y croit encore, rendez-lui un peu de ventre, d'épaules, de largeurs, de confort, d'épaisseur aux hanches et de beurre dans l'assiette. Sortons à nouveau les gros mots : appétit, gourmandis­e. Rendez-nous quelques mamelles de Maïté histoire qu'on fantasme sur Julie Andrieu, un peu de l'embonpoint d'Alexandre Dumaine pour qu'on se rassure des leçons d'Alain Ducasse, un peu des épaules de GabinVentu­ra pour qu'on retrouve Lulu la Nantaise. Vous savez quoi ? Desproges disait qu'en apprenant la mort de Tino Rossi, il avait repris deux fois des moules. À pareil rythme, lorsque le foodbiz sera crevé, je repiquerai du rab de daube. À LIRE : l’excellent La Cuisine de la mère Brazier (Solar) de Jacotte Brazier (sa petite-fille), préfacé par Paul Bocuse et Bernard Pacaud (L’Ambroisie).

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(La Pyramide, Vienne), le Bocuse des 50's.
L'icône du Chef Fernand ? L'étoilé Fernand Point (La Pyramide, Vienne), le Bocuse des 50's.

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