Grand Seigneur

COMMENT SUCER DES FRUITS ET RESTER CLASSE ?

- OLIVIER MALNUIT

Savez-vous combien coûtait un café cet été ?

2 kilos d'abricots ! Deux kilos de fruits frais pour un vulgaire jus de chaussette avalé au comptoir. Mais si vouliez changer de smartphone ou régler la location des vacances, cela pouvait facile monter à 1,5, voire 2 tonnes d'abricots. À 58 centimes le kilo, il nous aurait fallu un container à roulettes pour payer tous nos achats en abricots... Et dire qu'il y a seulement quelques siècles, on couvrait d'or les artistes (Arcimboldo) qui peignaient leurs monarques en fruits et légumes ! Comment les fruits, l'une des plus belles merveilles de la création, l'objet de tant d'érotismes et d'inspiratio­ns (Henry Miller, Salvador Dalí, etc.) ont-ils pu devenir en quelques années une vulgaire denrée hors-cote et jetable ? La faute à la crise ? À la canicule ? Aux producteur­s espagnols qui paient moins de charges ? Ou à cette absence de branding et de culture de marque, qui font qu'au dessert, un enfant préférera toujours un Flamby et des Pim's à des fruits du marché, surtout s'il faut les laver. Mes amis (attention, ça va être énorme !), il est urgent de reparler des fruits et légumes avec le langage que nous n'aurions jamais dû cesser d'employer : celui du désir et du manque. Pour ne pas dire celui du sexe. Que les médecins nous lâchent avec leurs fibres à chaque repas, que les parents cessent de bassiner leur progénitur­e à table avec des cerises qui pataugent dans la flotte, que les autorités changent de disque après l'épuisant refrain des « 5 fruits et légumes par jour ». Comme disait l'excellent Pompidou, qui n'était pas non plus le dernier à boire un coup : « Arrêtez d'emmerder les Français ! »

LIBIDO DE BOUCHE

Déjà plus d'une décennie d'injonction­s sanitaires d'État sur la consommati­on des fruits et légumes (cela a démarré en 2001) et voilà que les trois quarts des Français font justement tout le contraire... Pire : on mange de moins en moins de fruits dans ce pays, selon qu'on soit jeune (45 % des ados en consomment à peine un par jour), pauvre, sans formation et résidant dans le Nord ou... riche, surdiplômé, urbain et retraité*. C'est à se demander si les fruits intéressen­t encore quelqu'un d'autre que les vieux et les bobos ! Et pourtant, du succès des nouvelles enseignes de produits frais (Grand Frais, Frais d'Ici) à celui de la semaine Fraich'Attitude organisée par l'Interprofe­ssion des fruits et légumes frais (Interfel) dans les supermarch­és (avec moult démos culinaires), en passant par les jus d'oranges pressées à la demande chez Franprix, les « potagers verticaux » chez Carrefour et une légère (mais nette) tendance aux fruits de saison en pâtisserie (lire notre entretien avec Jonathan Lambert et Jean-François Foucher page 75), on sent bien que les choses sont peut-être en train de changer. Simplement, de grâce, retrouvons de la dignité ! Regagnons cette libido de bouche et cette soif de plaisir à table qui font de nous des gourmets libres et des Français à part entière. Que l'on ne nous parle plus comme à des enfants ou des malades sous surveillan­ce si on ne remplit pas notre quota fruitier par jour. Les fruits, c'est d'abord la chair et la terre, le jus et les frissons. Le vertige au bout de la langue et une extase sans obligation­s. Et si en plus c'est frais et de saison, alors c'est bon et c'est Français... Vive la France, vive la République, vive les abricots !

* Selon une récente étude « Consommati­on et modes de vie » du Crédoc.

 ??  ?? Therese, mannequin profession­nelle, photograph­iée avec une framboise dans la bouchepar l'excellente Stéfanie Renoma, la nouvelle Nan Goldin des apéros-pavlova.
Therese, mannequin profession­nelle, photograph­iée avec une framboise dans la bouchepar l'excellente Stéfanie Renoma, la nouvelle Nan Goldin des apéros-pavlova.
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