Grand Seigneur

“LA PÂTISSERIE, C’EST PAS QUE DU GÂTEAU ! ”

Tartes aux fraises trois mois par an, Paris-Brest sans sucre (ou presque) et bûches vanille et champignon­s… L’humoriste Jonathan Lambert vient d’ouvrir avec le chef Jean-François Foucher la première « pâtisserie de verger » près de Paris. Fans de Palmito,

- O.M. & L.R.

Entretien : Olivier Malnuit & Laurence Rémila Photos : Eddy Brière

Post-prod : Shiver

À la rentrée, il sera Mathieu Stannis, le réalisateu­r français kidnappé par un dictateur asiatique fou de cinéma dans la série Kim Kong sur Arte. Aux côtés de Yann Barthès dans Quotidien, il continuera de chroniquer l’actualité des invités avec 200 ans de retard dans la pastille 2217 sur TMC. Et sur scène, il pourrait reprendre avant la fin de l’année ses habits de dictateur (décidément !) dans son one-man-show Looking for Kim. Mais son nouveau rôle le plus personnel, le plus intime, celui qui le chavire au point de n’en parler qu’à Grand Seigneur, le magazine du plaisir à table, c’est celui de pâtissier ! Ou plutôt discret partenaire (et fan absolu avec son associé Stéphane Brunel) du chef pâtissier Jean-François Foucher : celui qu’on appelle dans le Cotentin « le Vatel du bocage normand ». De Cherbourg à Pont-l’Evêque en passant par les dimanches sous la pluie à Deauville, cet ancien du Park Hyatt Paris-Vendôme (Paris 2e), formé à l’art potager des desserts par Jean Bardet (le célèbre maître-queux des nuits arrosées de Jean Carmet et Gérard Depardieu, ndlr), bouscule depuis quelques années les sorties de messe avec une vraie pâtisserie de métronome : toujours plus tournée vers les fruits de son verger de Sottevast (Manche), toujours plus ancrée dans la saison, toujours moins sucrée… Une vraie claque dans les gencives pour les toxicos de Mikado et Palmito ! Grâce au créateur de Blue Michou et Rémi le Primeur, le maraîcher dégénéré de La Hague, le voici désormais installé près de Paris, sur les artères huppées de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), lui et ses incroyable­s meringues citronnées à la bergamote, cakes chocolat-vanille et tartes aux fruits du verger – dont il faut parfois attendre des mois avant de profiter – avec la mission pas toujours évidente de devenir le nouveau Michalak du jeune pâtissier…

Jonathan Lambert et Jean-François Foucher, vous venez d’ouvrir ensemble à Neuilly (Hauts-de-Seine) une pâtisserie de verger…

— Jean-François Foucher : Ou pâtisserie de marché si vous préférez ! (Rires.) Ça veut surtout dire que nous créons des desserts de saison avec des produits issus de mon verger en Normandie. L’idée, c’est de faire de la pâtisserie uniquement avec ce dont on dispose comme fruits et légumes. Un peu comme dans un restaurant avec la pêche ou la cueillette du jour… Et si, à un moment, le verger ne donne plus de pommes, eh bien on ne fait pas de tarte aux pommes.

— Jonathan Lambert : Ce qui est génial dans le travail de Jean-François, c’est de retrouver du désir et une véritable attente des produits de saison. Si on veut une tarte aux fraises, ça se mérite, on patiente jusqu’au début de l’été, ça fait partie du truc. On ne mange pas une tarte aux fraises en janvier, par exemple…

Comment faites-vous du frais avec des fruits de Normandie alors que vous êtes près de Paris ?

J.F.F. : Je vais à Cherbourg une fois par semaine pour récolter mes fruits et légumes, j’ai également une serre pour travailler avec mes propres citrons, et puis j’achète des fruits à des producteur­s que je connais, des gens qui travaillen­t en agricultur­e raisonnée (Mélanie Graffouill­ère à Vasteville, Thierry Néel à Sénoville, etc), qui cultivent des fraises pleine terre… Le but, c’est d’utiliser des fruits qui n’ont jamais vu le frigo : directemen­t du verger aux gâteaux ! Je ne vois aucun intérêt à travailler avec des fraises d’Espagne hors-saison qui se sont tapées deux heures d’avion et de kérosène, franchemen­t

ça me dépasse.

En fait, vous êtes une sorte de jardinier pâtissier…

JFF : Exactement ! Je crois que je prends autant de plaisir à faire mon jardin que des desserts. Ça vient de la période où je travaillai­s avec le chef Jean Bardet à Tours (surnommé « le cuisinier jardinier », très proche de Depardieu et Carmet, ndlr). Pendant la coupure, au lieu d’aller se reposer, il nous emmenait faire le jardin. C’était complèteme­nt fou, mais ça m’est resté. Par exemple, j’adore cultiver l’angélique (une plante médicinale utilisée en pâtisserie sous forme de tige confite, ndlr) que j’associe avec du citron frais qui bastonne à mort... Pour moi la pâtisserie, c’est pas seulement du gâteau, c’est aussi de l’arboricult­ure, du maraîchage, etc...

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

J.F.F. : Jonathan était un client régulier de ma pâtisserie à Deauville (Calvados). Je me souviens qu’au début, on parlait beaucoup de cuisine ensemble à la boutique, je me suis dit que ça me plairait de m’associer avec lui, que c’était un épicurien…

J.L. : Je l’ai connu grâce au Saint-Honoré, une pâ-

tisserie que je n’aime pas spécialeme­nt d’habitude. Et que j’ai pourtant adoré chez lui... Quand un pâtissier vous fait aimer un gâteau que vous n’aimez pas, c’est qu’il a vraiment du talent. Alors quand j’ai su qu’il voulait ouvrir une boutique sur Paris, j’ai tout de suite voulu l’accompagne­r. Avec des fruits de saison, vos pâtisserie­s doivent être nettement moins sucrées… J.L. : Dosage minimum !

J.F.F. : Il ne faut pas faire du sucré pour du sucré. Si le produit est bon, pas besoin de foutre du sucre en plus, vous voyez ce que je veux dire ? Nos fruits du verger sont déjà tellement riches en goût que je peux limiter le sucre à 8 % quand il est normalemen­t à 20 ou 30 %. Nous, c’est comme au restaurant, la carte est réduite, c’est un gage de qualité. Et à 18 heures, quand la vitrine est vide, on refait du frais.

Et les clients suivent ?

J.F.F. : Oui, parce qu’ils apprécient la saveur du fruit à la bonne saison, ils viennent justement pour la faible teneur en sucre. Mais certains trouvent encore que mon Saint-Honoré en manque un peu. Je pense qu’on habitue tellement les gens à des goûts fades et saturés en sucre qu’il y a un petit temps d’adaptation…

Où avez-vous développé une telle culture du produit ?

J.F.F. : Chez Alain Chapel (célèbre chef étoilé des 70’s à Mionnay, dans l’Ain*), pendant mon apprentiss­age. Le chef nous disait toujours : quand on regarde un dessert, il faut que ce soit lisible au regard et donc lisible au goût. Ça veut dire deux choses essentiell­es : il ne faut jamais faire de gâteaux avec plus de trois goûts différents, plus la pâtisserie est simple, plus le produit doit être excellent. Un bon flan, par exemple, c’est juste un bon lait fermier avec une belle vanille dedans. Le genre de vanille avec laquelle vous pouvez faire la causette tellement elle vous parle…

J.L. : Avec Jean-Pierre Coffe dans les 90’s, quand je faisais avec lui l’émission C’est tout Coffe sur France 2. C’est là que j’ai rencontré plein de chefs et appris à faire les marchés, à marcher plus longtemps aussi pour goûter un meilleur produit, un bon pain, un excellent jambon. C’est une forme de style de vie : acheter la bonne tomate de saison au maraîcher qui la cultive lui-même, dénicher la bonne boîte de thon, la marque de conserves intéressan­te, le producteur de fromages de chèvre dans la région qui déchire, etc. Je peux passer des heures à lire les étiquettes et toutes les compositio­ns sur une boîte ! Je crois que je tiens aussi ça de mon père : un fabuleux gastronome dans son genre…

Comment ça ?

J.L. : C’est un homme qui a passé une bonne partie de sa vie au restaurant, sans savoir se faire un oeuf au plat. Mais il adore la cuisine des autres, était très proche de chefs comme Alain Senderens, Olympe Versini, la première femme chef étoilée dans les 80’s... Il m’a fait découvrir beaucoup de bonnes tables et bistrots. C’est d’ailleurs un peu grâce à lui que j’ai démarré à la télé, puisque Coffe avait confié à Senderens qu’il cherchait un comédien pour son émission. Mais c’était une autre époque : on se refilait les bonnes adresses, les gens se connaissai­ent… Et puis, c’était peut-être aussi un peu plus accessible financière­ment. Aujourd’hui, dès qu’une table devient un peu connue, les prix

deviennent vite prohibitif­s.

Le but, c’est d’utiliser des fruits qui n’ont jamais vu le frigo : directemen­t du verger aux gâteaux !

JEAN-FRANÇOIS FOUCHER

Jonathan Lambert, votre personnage Rémi le Primeur (« Toujours blagueur, mais avant tout primeur ! »), c’était déjà un clin d’oeil aux produits ?

J.L. : Oui, sauf que Rémi le Primeur était primeur à La Hague, donc il y avait une sorte de satire sur la culture des fruits près d’une centrale nucléaire ! C’était un peu comme Dave Mitchum (Looking for Maman), le skateur américain aux seins sur le ventre à force d’hormones de croissance bovine… Je crois que le premier des médicament­s, c’est la bouffe, il faut faire attention à ce qu’on mange. Au fond, il y avait parfois un côté aussi très pâtissier dans vos sketches, non ?

J.L. : Complèteme­nt tarte à la crème, vous voulez dire ! C’est très jubilatoir­e d’agir comme un enfant,

de mettre sa tête dans un fraisier ou ce genre de choses. C’est un peu comme dans les dîners de famille, quand un neveu n’arrête pas de faire des conneries, de prendre une boulette de pain et de la jeter, etc. Et que tout le monde lui pardonne parce que c’est lui…

Est-ce que vous ne craignez pas d’être trop cher avec des pâtisserie­s à six euros et plus ?

J.L. : Je trouve que c’est le dernier luxe accessible à tous, à peu près tout le monde peut se l’offrir. Et puis ce sont de vraies créations inédites, toujours selon la saison : des tartes aux fraises aux fanes de radis, un Saint-Honoré à la crème vanille et chou craquant (coupé devant le client, ndlr), un Napolitain chocolat, pistache et framboise...

J.F.F.: Six euros, c’est de l’argent, c’est vrai. Mais ça paie aussi tout le travail sur le fruit, sa culture, la recherche d’équilibre avec le sucre, etc. Nous, on n’utilise pas de pulpe de fruits toute faite avec un taux de sucre dosé automatiqu­ement, nos pâtisserie­s sont vivantes…

Qu’est-ce que vous faites comme pâtisserie­s en hiver, quand justement ce n’est plus la saison de fruits ?

J.F.F. : Des desserts de légumes ! Des bûches vanille et champignon­s de Paris, des gâteaux au chocolat au lait et aux topinambou­rs, des cheesecake­s au romarin, des gâteaux à la rhubarbe et à la rose de Damas… J’adore casser le goût de savon de la rose avec l’acidité de la rhubarbe. En ce moment, je prépare même des pâtes de fruits aux tomates et poivrons. Mais je demande souvent son avis à Jonathan, parce que parfois, ça va un peu loin ! Du genre tarte aux orties et aux panais ? J.F.F. : Je ne fais pas de desserts avec des légumes anciens, parce que je trouve que ça n’a pas le même goût une fois cuisiné. Par contre, j’aime bien m’inspirer de certains restos au Danemark qui osent des trucs de dingues, un peu comme pour mon gâteau au chocolat au lichen.

Quelle est cette vanille incroyable que vous utilisez dans vos pâtisserie­s ?

J.F.F. : De la vanille Bourbon de Madagascar de la plantation familiale Lavany à Betavilona au nordest de l’île, cultivée selon des méthodes traditionn­elles à 300 mètres d’altitude dans une zone montagneus­e sans aucune pollution. Ce sont des gousses d’exception fournies par la même famille depuis les années 20. Une vraie merveille ! J’ai également un fournisseu­r extraordin­aire de petites noisettes décortiqué­es : Alain Dédies à Villesèque­lande dans l’Aude, un vrai poète des fruits à coques qui cultive ses 8 000 noisetiers depuis 40 ans. Et puis pour la crème c’est Christine et Samuel Brostin au Theil, pour les plantes aromatique­s Céline Goarnisson à Teurthévil­le-Bocage, tous les deux dans la Manche près de Cherbourg. Tous des artistes des saisons et du produit, tous passionnés – sans eux on n’existerait pas. Pourquoi avoir choisi d’ouvrir une pâtisserie à Neuilly (Hauts-de-Seine) et pas à Strasbourg-Saint-Denis (Paris 10e) ?

J.L. : On a bien pensé se lancer dans le 11e, le 9e ou Saint-Germain-des-Prés, mais on s’est dit qu’à Neuilly, il y avait une belle clientèle et pas trop de concurrenc­e. Le top, ce serait qu’on en ouvre une autre dans le 16e, puis à Boulogne (Hauts-deSeine). Ah bien sûr, ça ne fait pas très Fooding ! Mais en même temps, on a notre propre labo, on produit au jour le jour, tout ça fait sens. Et puis, pour tout vous dire, on n’avait juste pas envie d’ouvrir la nouvelle pâtisserie à la mode… * Également l’auteur du best-seller La cuisine c’est beaucoup

plus que des recettes (Robert Laffont).

Kim Kong de Simon Jablonka avec Jonathan Lambert et Frédéric Chau, à partir du 14 septembre sur Arte.

Pâtisserie Jean-François Foucher, 10 rue Madeleine Michelis, 92200 Neuilly-surSeine. Tel : 01 58 83 27 73.

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Jean-François Foucher et Jonathan Lambert cachés derrière un Saint-Honoré géant.
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 ??  ?? Jonathan Lambert sur un Paris-Brest volant du pâtissier Jean-François Foucher (réalisé avec trucage).
Jonathan Lambert sur un Paris-Brest volant du pâtissier Jean-François Foucher (réalisé avec trucage).
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