Grand Seigneur

LE MYSTÈRE DES GRANDS CRUS À 15 EUROS

Combien coûte réellement une bonne bouteille de vin ? Pourquoi les meilleurs vignerons sontils souvent les moins chers ? Comment arrêter de boire idiot au rayon vins des hyper ?Grand Seigneur a trinqué pour vous (avec modération) avec les meilleurs flacon

- Texte : Margaux Grosman (avec Serge Adam, Thomas Le Gourrierec et Tristan Tottet) Photos : Virginie Garnier Stylisme et design : Mr Pink

Vous avez forcément vécu cette situation. Crispé devant la cohorte de quilles au rayon vins du supermarch­é, la main hésitante et les sourcils froncés. Ou pire encore, face aux flacons chauffés par le néon blafard de l’épicier, au coin de la rue. Finalement, vous avez opté pour une bouteille quelconque, brouillonn­e, pommadée, plate comme une planche à pain… voire même, aigrelette. Vous pensiez pourtant qu’en posant dix à quinze euros, vous aviez une chance de lui soutirer une once d’émotion. Raté. Et rageant, considéran­t que pour le même prix, vous auriez pu siroter une petite pépite, du calibre de celles que nous avons englouties pour notre enquête. « Étonnement, le bon vin est souvent moins cher que le mauvais », sourit Raphaël Aubry-Marais, qui couve de véritables trésors chez Appellatio­n & Co, sa cave-librairie parisienne. « Pour le dénicher, il s’agit juste de connaître quelques clés... »

Acheter du Mouton Cadet, c’est un peu comme se payer une Clio…

DENIS SAVEROT,

La Revue du vin de France

COEFFICIEN­T 4,5

La première étape, pour le padawan du verjus, consiste à prendre conscience du fait que le prix du vin n’obéit, de base, à aucune logique véritable. « La seule donnée assurée, c’est le coût de production d’une bouteille, toutes appellatio­ns confondues, qui oscille entre un et dix euros maximum, indique Raphaël Aubry-Marais, même si elle peut être vendue, par la suite, pour des sommes astronomiq­ues. » Directeur de La Revue du vin de France, Denis Saverot renchérit : « Une même bouteille de vin peut avoir huit ou neuf prix différents, selon qu’elle est achetée directemen­t à la propriété, chez le caviste, sur internet ou encore lors d’une foire aux vins. » Avec un cas particulie­r, celui du restaurant, où l’on utilise en général un coefficien­t multiplica­teur de 4,5 : un cru acheté 8 euros à la propriété s’affichera ainsi à 36 euros sur carte. Aoutch.

Comment naviguer dans cette nébuleuse ? Doit-on craquer pour le port altier du Mouton Cadet à 10 euros que nous avons tous, un jour, croisé chez Monoprix ? Cette star des rayonnages de grande distributi­on joue l’ambiguïté grâce à un nom rappelant le Mouton Rothschild, classé parmi les 25 plus grands vins au monde… « Le Mouton Cadet, c’est l’exemple type de la bouteille abordable, sans défaut, sans émotion et sans profondeur », décrypte Raphaël Aubry-Marais. « En optant pour cette gamme, le consommate­ur achète un vin standardis­é, l’équivalent d’une Clio ou d’une Laguna », confirme Denis Saverot. « Le Baron de Rothschild a créé cette marque de négoce pour déclasser une partie de son vin rouge : le Mouton Cadet est certes produit sur le domaine du château Mouton Rothschild, mais à partir de raisins achetés à l’extérieur. » Il s’en vend, malgré tout, 11 millions de bouteilles chaque année. Du débit à haut rendement, réputé pour affecter directemen­t la qualité. « Cela dilue le goût », confirme Raphaël Aubry-Marais. Loin du bon vigneron, donc, qui tend à limiter la production pour que le raisin conserve ses nutriments et les arômes du terroir. « Vous ne pourrez trouver une potentiell­e pépite dans la grande distributi­on – hormis durant les foires aux vins – car toutes ces enseignes aspirent avant tout à écouler de gros volumes. »

VIN DE NÉGOCE

Et l’inoxydable caviste Nicolas, alors ? Même tonneau que les grandes surfaces pour cette propriété du groupe Castel, qui déploie près de 500 boutiques sur le territoire et fait valoir une expertise en trompe-l’oeil. « Ils sont spécialisé­s dans le rachat de vins à très grand volume et bas prix avant de rhabiller les bouteilles avec un packaging attractif, d’où des prix de vente très compétitif­s », éclaire Denis Saverot. Là encore, il s’agit donc de remplir les rayons avec qu’on appelle du vin de « négoce » (le négociant ne possède pas de vignes et achète du raisin au vigneron pour produire ses bouteilles luimême), plutôt que du vin de propriété. Désabusé ? Lâchez donc cette corde, le salut est au coin de la rue. Notre pays compte plus de 5 000 petits cavistes qui s’appliquent à rapatrier des merveilles susceptibl­es, elles, au moins, de provoquer une émotion. Un pont précieux entre le grand public et le vigneron conscienci­eux mais isolé, dont la communicat­ion et le marketing ne sont pas forcément le fort ou la priorité. Premier effet de cette relation directe avec le producteur : des prix plus bas, puisque délestés des frais de promotion. « Et puis ici, le client peut rentabilis­er au mieux ses dix ou quinze euros en s’orientant vers la superbe entrée de gamme d’un bon viticulteu­r, qui pourra tenir la dragée haute à une grande maison, à un Saint-Julien bas de gamme par exemple », explique Raphaël Aubry-Marais. Exemple : François Villard, l’un des vignerons les plus réputés du Rhône septentrio­nal, qui délivre, aux côtés de ses prestigieu­x Côte-Rôtie, Condrieu ou Saint-Joseph, une époustoufl­ante Syrah baptisée « L’Appel des Sereines » et tarifée 12 euros en boutique.

COTE DANS LA DÉCOTE

Autre truc d’initié : fausser compagnie aux cadors du type Bordeaux et Bourgogne pour privilégie­r des appellatio­ns sous-estimées, méconnues ou démodées. La cote dans la décote, en somme. Il en va ainsi du bon vieux Muscadet, par exemple, dont on disait encore, il y a quelque temps, qu’il était juste bon à récurer les barriques... « J’en ai goûté un récemment à l’aveugle, eh bien franchemen­t, il égalait les plus grands blancs de Loire, du type Sancerre ou Pouilly-Fuissé !, s’enthousias­me Raphaël Aubry-Marais. Long en bouche, presque velouté… Il s’agissait de la cuvée L’Ancestrale, du Châ-

teau du Coing, désormais étiquetée chez moi à 14 euros. » Et que dire du très confidenti­el Jasnières, élevé côté Sarthe, qui parade sur les tables de Matignon et de l’Élysée mais peut se débusquer pour moins de 10 euros ? Curnonsky, le prince des gastronome­s, confiait qu’il est « trois fois par siècle, le plus grand vin blanc du monde ».

CUVÉES GRAPHIQUES

Autre piste à explorer, pour le rouge cette fois, celle des appellatio­ns à la réputation balourde mais qui savent désormais faire preuve de finesse, à l‘image de celle de Gaillac. C’est dans cette région que s’épanouit, notamment, le magnifique Galien du domaine de la Chanade, de Christian Hollevoet, incroyable­ment soyeux en bouche. On le trouve à 12 euros, par exemple, au Comptoir des Deux Frères, épicerie fine de Maisons-Laffitte. Le créateur de cette exigeante enseigne, Jérôme Albouy, s’emploie, en parallèle de son activité de marchand de goût, à dépoussiér­er l’image de certaines appellatio­ns en escamotant leur flaconnage désuet au profit de noms de cuvées et étiquettes résolument graphiques. Ainsi du Vouvray, un blanc de Loire célébré par Rabelais, qui peut, selon notre dénicheur de pépites, « flirter avec la finesse du champagne et dépasser largement le Prosecco ». Jérôme Albouy a opté pour celui de Mathieu Cosme, du domaine de Beaumont, qu’il embouteill­e sous le nom de « Balbuzard » et met à prix 12 euros.

Dernier bon coup à faire pour les petits budgets : lorgner sur la production des jeunes vignerons, qui égale parfois celle des plus chevronnés mais demeure raisonnabl­ement tarifée, car en quête de notoriété. Le nez dans sa cave, l'un des repaires à grands crus à petits prix (Marcillac, Bugey, etc.) les plus goûlus des Champs-Élysées (Paris 8e) , notre ami Serge Conquet évoque le nom d’Anita Kuhnel, sa petite protégée sur la carte des réjouissan­ces bachiques. « C’est une viticultri­ce hors pair qui sort des choses incroyable­s, mais doit composer avec les cadors des grands crus du Beaujolais, tels JeanPaul Brun ou Mathieu Lapierre. Résultat, ses vins plaisir affichent un excellent rapport qualité/prix ». Moyennant 14 euros, on peut ainsi mettre la main sur sa cuvée Les Maurier Numéro 1, chez certains cavistes. Pour la débusquer en supermarch­é, en revanche… il faudra vous accrocher !

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 ??  ?? Page précédente : Romanin IGP Alpilles Rouge 2016, Domaine François Villard L’Appel des Sereines 100 % Syrah, Maison Louis Latour, Pinot Noir Les Pierres dorées, etc. Nos très jolis flacons à moins de 15 euros avec un pain Lalos et des charcuteri­es de...
Page précédente : Romanin IGP Alpilles Rouge 2016, Domaine François Villard L’Appel des Sereines 100 % Syrah, Maison Louis Latour, Pinot Noir Les Pierres dorées, etc. Nos très jolis flacons à moins de 15 euros avec un pain Lalos et des charcuteri­es de...

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