“JE FAIS DES DÉCOUVERTES CHAQUE SEMAINE ! ”
Petits volumes, régions has-been et vignobles oubliés... Pour le caviste parisien Raphaël Aubry-Marais, les grands crus à 15 euros se dégustent à la pelle ! À condition d’éviter les supermarchés, les épiceries de nuit et les Bourgogne en solde.
Raphaël, qu’est-ce qu’un bon vin à moins de 15 euros ?
— R.A.M. : Cela va vous sembler un peu idiot, mais c'est d'abord un vin dont les raisins sont bons ! C'est-à-dire récoltés à maturité, lorsqu'ils offrent une bonne concentration. Le vin en question coûtera alors plus cher à produire que les crus de la grande distribution mais le vigneron ne dépensera souvent rien en marketing, d'où un prix très juste par rapport à la qualité. Par opposition, le mauvais vin est souvent celui produit avec un rendement trop important, puisqu'il s'agit ici de sortir de gros volumes, de faire « pisser la vigne ». Il sera la plupart du temps élevé sur les plaines, parcelles plus abordables et moins nobles que les coteaux, qui permettent, sous nos latitudes, d'obtenir les meilleurs crus. Et même si ce mauvais vin coûte moins cher à produire, il sera vendu à un prix surévalué (entre 15 et 30 euros) par rapport à ses qualités, le différentiel étant investi dans la promotion et la distribution.
Et où trouve-t-on les meilleures bouteilles entre 10 et 15 euros ?
R.A.M. : En priorité, chez l'un des 5 000 cavistes que compte le pays, surtout les indépendants ! Dans un supermarché, on va également trouver des flacons abordables, mais il n'y aura quasiment rien de bon. Passables, sans personnalité, ces cuvées ne vous marqueront jamais. Il y en a tellement dans les rayons, en plus, que l'on se perd complètement. La grande distribution se rachète cependant durant les foires aux vins, qui offrent réellement de très bonnes affaires.
Concrètement, ça se passe comment ?
R.A.M. : Un très bon vin à moins de 10 euros, ça n'est pas évident, mais ça se trouve. Entre 10 et 20 euros, il y a beaucoup de choses intéressantes. Il faut avant tout chercher par région, considérant que certaines apparaissent bien trop chères : un bon Bourgogne à 10 euros, par exemple, c'est pour moi impossible. À rayer de la liste pour les tout petits budgets, donc. On trouvera en revanche des vins épatants à petits prix dans la vallée du Rhône, la Loire, le Beaujolais et le Languedoc. Notez qu'on peut aussi mettre la main sur des petits Bordeaux intéressants, mais qui ne feront pas l'unanimité. Certains, en effet, peuvent paraître pauvres, plus tanniques et moins fruités que les origines précitées. Ne reste plus qu'à trouver un vigneron qui travaille bien et opter pour son entrée de gamme qui, en plus d'être abordable, sera hautement recommandable.
Peut-on trouver un très bon vin entre 15 et 20 euros chez un épicier de nuit ?
R.A.M. : C'est fortement déconseillé ! Les marges pratiquées sont invraisemblables (plus de 200 % dans certains magasins) et les conditions de conservation absolument atroces avec des bouteilles qui vieillissent parfois de longs mois, voire des années, en haut des rayons sous les néons. Si vous êtes parisien, mieux vaut aller au Publicis Drugstore sur les Champs-Élysées (Paris 8e) ! On y trouve une superbe cave, ouverte toute la nuit. À défaut, il y a également le Daily Monop, ouvert jusqu'à minuit.
Y a-t-il de très bons vins injustement « bashés » et donc peu chers ?
R.A.M. : Le Beaujolais ! Pour moi, leur mauvaise réputation vient du Beaujolais nouveau, ce breuvage cheap consommé en trop grande quantité et qui donne mal à la tête. On peut même dire que le Beaujolais nouveau a tué le Beaujolais tout court. Ce dernier est pourtant très bien fait. Il y a aussi le Muscadet, qui traîne sa mauvaise image parce que beaucoup sont effectivement trop acides, trop verts. C'est ce qui se produit lorsque le cépage n'a pas été bien travaillé. Ça passe avec une huître – car cela remplace presque le citron
– mais pas avec autre chose. J'ai pourtant découvert avec ravissement le Château du Coing de Saint-Fiacre, dégusté à l'aveugle pour éviter les préjugés. J'aurais juré qu'il s'agissait d'un Sancerre, ou d'un Pouilly-Fuissé. Il est long en bouche, presque velouté. C'est depuis l'un de mes best-sellers : 14 euros la bouteille !
Que faut-il penser des vins dits « de coopérative » ?
R.A.M. : La plupart du temps, ce sont aussi de mauvais vins à cause de ce fameux problème de rendement non maîtrisé. Plus le vigneron apporte de raisin, plus il est payé, il n'est donc plus dans une logique qualitative. Sans compter que la coopérative mélange les grappes : on obtient alors un vin sans identité, pas forcément mauvais mais souvent assez fade.
Quel rôle joue le temps (l’âge) dans le prix et le goût d’un vin ?
R.A.M. : Disons que je peux vous faire goûter une bonne bouteille de Bordeaux à 8 euros et une bouteille de Bordeaux assez chère à, mettons, 100 euros, que vous ne trouverez pas forcément bonne. Elle est pourtant très demandée, réputée dans le monde entier, mais nous l'avons ouverte trop tôt. En règle générale, le Bordeaux doit être vieilli. Les Beaujolais et les vins de la vallée du Rhône, eux, peuvent se boire jeunes. Cela dépend aussi du millésime, certaines années vieillissant plus vite que d'autres. Il s'agit de croiser cette donnée avec le terroir d'origine pour évaluer le temps de garde optimal. 2009, par exemple, est une année bénie des dieux dans le Bordelais. En 2010, 2011, 2012 et 2013, par contre, il fallait attendre...
Et comment y voir clair avec le vin servi au restaurant ? On pense, par exemple, au Château Maucaillou qui truste pas mal de cartes alors qu’il est souvent mauvais et pas franchement donné…
R.A.M. : Je trouve que certains restaurants ressemblent à des snacks du pinard. Ils n'ont pas de vraie cave, pas de vraie cuisine, donc pas de vrais vins. Si le patron ne s'intéresse pas à l'assiette, il ne s'intéressera pas à ce que l'on boit avec. Du coup, autant prendre la bouteille la moins chère, puisqu'elles seront toutes mauvaises ! À l'inverse, si le restaurateur apparaît un peu ambitieux en cuisine, il le sera aussi pour ses flacons. Et surtout, il faut respecter le même précepte que chez le caviste : ne jamais prendre de Bourgogne à moins d'avoir du budget.
Quel rôle jouent les intermédiaires sur le prix de vente final d’un vin ?
R.A.M. : En fait, cela peut tout et rien changer. Pour ma boutique, par exemple, je travaille avec trois sources de distributeurs. Il y a le « directdirect » lorsque j'appelle le vigneron et qu'il me livre, l'agent du vigneron qui permet de faire des découvertes, et les grossistes haut de gamme, qui proposent un travail sur-mesure, essentiellement pour la restauration. Côté Bourgogne, je travaille beaucoup en direct avec la vallée du Rhône. Mais à Bordeaux, on ne peut pas acheter de cette manière : il faut passer par le négociant, c'est un système unique au monde.
Quelle différence entre les vins bio, pas bio ou nature ?
R.A.M : Encore une fois, cela change tout et rien à la fois. Il peut y avoir de très mauvais vins bio et d'horribles vins nature. Cette certification ne garantit pas une bonne production, elle signifie juste que le vigneron s'est pris la tête pour faire son vin, plus compliqué à produire. C'est sûr que, quitte à se donner du mal, autant livrer quelque chose de bon… Mais si vous n'êtes pas implanté au bon endroit, ça ne fonctionnera pas. Il faut un bon terrain pour obtenir du bon vin. C'est l'injustice du monde de la vigne !
Vous faites encore des découvertes ?
R.A.M : Presque toutes les semaines ! Grâce aux intermédiaires, en fait, qui me font découvrir de jolies trouvailles. Je furète aussi en lisant, mais le véritable dénichage se fait en goûtant. Si un caviste fait bien son boulot, normalement, tout est bon et invite à une jolie expérience. Nous sommes là pour ça. Mais on ne peut pas plaire à tout le monde, il n'y a pas de bouteille universelle.