Grand Seigneur

9— TABLE, UNE AMBITION INTIME

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Pendant des années, Bruno Verjus s'est invité à toutes les bonnes tables. En tant qu'industriel à succès en affaires avec la Chine, mais aussi en bon pote de Pierre Hermé (ce qui ouvre des portes). Puis comme chroniqueu­r esthète, sur son blog Foodintell­igence, à Omnivore ou sur France Culture, où il anime toujours « On ne parle pas la bouche pleine ». Maintenant qu'il vient d'obtenir sa première étoile au Michelin, c'est lui qu'on invite. « J'apprécie énormément de rentrer dans le club, explique le chef aux yeux aussi vifs que sa cuisson minute. Mais bon, là, on vient de me convier à Budapest pour une dégustatio­n de gastronomi­e hongroise, j'avoue être un peu circonspec­t », lâchet-il en éclatant de rire. Bruno Verjus a commencé la cuisine à l'âge où certains chefs commencent à prendre leur retraite, après avoir longtemps développé son goût. On l'a compris : l'ancien autodidact­e est un philologue du superprodu­it, un savant du vivant capable de disserter longtemps sur la « minéralité d'une carotte » ou sur la cuisine parisienne, « combinaiso­n des terroirs des provinces ». Une synthèse qu'il applique lui-même à sa Table, approvisio­nnée par ses 300 artisans sélectionn­és au fil des ans, qui lui envoient leurs produits, « mais seulement quand ils sont exceptionn­els ». Autant d'érudition pourrait écraser le gourmand irréfléchi. Au contraire : partout, elle est mise au service de l'émotion, franche, accessible. À l'image de sa manière de cuisiner, en direct devant le client, dans sa cuisine théâtre ouverte derrière son comptoir (minéral, forcément). Là, il cherche à « restituer l'énergie » et retrouver, avec une économie de gestes, les « saveurs essentiell­es » dans une carte volontaire­ment courte. Les huîtres d'Utah, dodues, se voient relevées d'huile de persil, de vinaigre de riz agrumé et de noisettes grillées du Piémont, à éponger longuement avec le génial pain au levain naturel. La sardine de Santona avance confite, légèrement fumée, devisant avec burrata et une betterave confite. Le pithiviers de caille, foie gras et truffe, l'un de ses plats emblématiq­ues, hommage à la grande cuisine d'avant, la joue total canaille. Au dessert, orgasme spasmodiqu­e avec la mousse au chocolat, « criolo vénézuélie­n albinos », tendue par un soupçon d'huile d'olive et une crème anglaise infusée au piment. Si le ventre est bien le second cerveau, Verjus sait parfaiteme­nt exciter nos neurones… T.B.

La table idéale : la 23, deux couverts au comptoir, face au chef, pour profiter du Verjus show aux premières loges.

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3 rue de Prague, Paris 12e. Ouvert du lundi au samedi. 01 43 43 12 26

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