Grand Seigneur

“APRÈS LA CUISINE, LA LITTÉRATUR­E... ”

Vingt-six ans après ses débuts à La Régalade (Paris 14e), le chef de file de la Bistronomi­e songerait à lever (un peu) le pied pour se consacrer à un nouveau défi : l'écriture d'un livre… C'est ce qu'il a confié en exclusivit­é à Grand Seigneur.

- Entretien : Olivier Malnuit Photo : Thomas Laisné

Yves Camdeborde, comment allez-vous ? Y.C.:

Pas mal, tant qu'on arrive à garder la joie et le bonheur. C'est le plus dur, surtout en vieillissa­nt (rires).

John Fante disait : « Le problème quand les gens vieillisse­nt, c’est qu’ils deviennent amers. »

Y.C.:

Non, je ne ressens pas d'amertume. Bien au contraire. Mais je suis inquiet, quand je vois les mecs de la génération au-dessus de moi, les Guy Savoy, Christian Constant, etc., friser les 70 balais en étant incapables de décrocher. Parce que ce métier, c'est notre vie. Ça fout la trouille d'arrêter. Et, en même temps, on se dit : Combien de temps, ça va durer encore cette histoire ?

Peut-être mourrez-vous sur scène, comme Molière ?

Y.C.:

Ça me ferait chier ! Je n'en ai pas envie, je vous promets. Et je fais attention à moi, je marche à l'eau, je m'oblige à quitter le Comptoir de Relais (Paris 6e) à 9h quoiqu'il arrive. Quand j'entends des collègues dire qu'ils en bavent avec leur resto, je leur réponds : mais putain, vendez tout ! Votre affaire vaut quoi, quatre ou cinq millions ? Mais qu'est-ce que vous en avez à foutre ?

Vous-même, vous avez envie de lever le pied ?

Y.C.:

En tout cas, j'ai appris à déléguer. Mon fils Baptiste m'a rejoint il y a un an et demi, après son école de commerce. Donc, je lui délègue toutes les merdes de bureau. Tous ces trucs où je n'ai pas de jouissance, mais qu'il faut se taper quand on est patron. Ça me saoulait. Maintenant qu'il est là, je ne vois pas pourquoi je vais perdre mon temps avec ça. Après, ça reste un travail et il faut bien que ce soit fait. Simplement, ce n'est pas mon truc. En déléguant, je ne m'occupe que de la création culinaire et des clients.

Vous venez de publier Un soir d’amour, une nouvelle littéraire dans la revue The

Drawer… Y.C.:

Oui, j'ai imaginé une rencontre avec… la Demoiselle de Cherbourg, une recette qu'on faisait au Ritz à l'époque, avec le chef Christian Constant. Des homards flambés au whisky. Je me suis bien marré, mais j'ai souffert. Plus exactement, j'y ai mis du temps, mais j'ai trouvé l'expérience vraiment plaisante.

À propos de cette union des crustacés et du scotch Écossais, vous écrivez : « Dans la pièce, se dégageait l’odeur des grands soirs qui laissent rêveur. Les prémices d’un événement merveilleu­x, d’une passion sans limites. Il ne lui restait plus qu’à l’accompagne­r, lui faire respirer une fleur d’estragon, la sensation d’une queue humide d’asperge fraîchemen­t récoltée. Il savait qu’il la transporte­rait vers une extase d’une sensualité extrême… » C’est pas mal quand même, vous allez continuer à publier ?

Y.C.:

Oh non, je suis bien trop complexé pour ça. Au moins, avec The Drawer, très peu de gens lisent cette revue, je n'avais pas de pression… Mais je vais m'entraîner, on ne sait jamais. En fait, c'est très difficile de trouver le mot juste, d'être dans la vérité, dans l'écriture. Beaucoup plus que de trouver la cuisson parfaite pour une viande. J'avoue que ça me turlupine.

Ce serait dommage d’en rester là, non ? Y.C.:

L'écriture, c'est un énorme boulot. Ce que j'aimerais vraiment, c'est écrire un livre sur le Béarn. Il y a des tonnes de livres sur le Pays basque, alors qu'il n'y a rien sur la culture, le terroir ou la cuisine du Béarn. On fait partie du même départemen­t, mais il y a deux régions ! Le Pays basque est plus tourné vers la mer, et nous vers la montagne.

Vous devriez en parler à Frédéric Beigbeder, une autre figure du SudOuest…

Y.C.:

Oui, Beigbeder est d'origine béarnaise, sa famille était de Pau, mais il s'est installé à Guéthary… au Pays basque ! En fait, le vrai problème, c'est que le Béarn manque surtout d'une figure médiatique. En Savoie, ils sont une dizaine : Marc Veyrat, Jean Sulpice, etc. Ils parlent de leur terroir, des petits pois sauvages, de l'ail des ours. Tout le monde connaît ça aujourd'hui !

Les Béarnais cherchent peut-être encore leur Curnonsky, leur Dumas de la Garbure, leur Peter Mayle du Madiran… Y.C.:

Vous avez raison, on ne sait pas se vendre, alors qu'on a tout ! L'agneau des Pyrénées, le foie gras, le saumon, avec le championna­t de pêche de Navarrenx qui attire les pêcheurs du monde entier chaque année. Sans parler du haricot maïs, le seul haricot avec un AOC – même le Tarbais n'en a pas ! On a tout, mais on ne bouge pas. Personne ne part de là-bas. Dans un livre sur l'histoire de France, j'ai lu que le Béarn avait été relativeme­nt épargné par la peste parce que le pays est fermé : on n'entre pas, on ne sort pas ! (rires). De ma génération de copains d'enfance, je suis le seul à être parti.

Et vous le regrettez ? Y.C.:

Non, bien sûr que non. Mais si je dois avoir un regret dans la vie, ce serait de ne pas avoir fait quelque chose sur mes terres. Je suis admiratif de Michel Bras, des mecs qui sont restés chez eux et qui ont mis en valeur leur territoire. Je devrais effectivem­ent faire un séjour dans le Béarn et écrire ce livre ou peut-être même un film. Avec des textes, des images fortes et à chaque fois, des recettes qui correspond­ent, ça me tient vraiment à coeur. Après tout, on a quand même des poètes dans le Béarn (SaintJohn Perse, Lautréamon­t) !

Rien d’autre ? Y.C.:

Si ! On a quand même une sacrée culture des fêtes, comme la fête du fromage de Larrenx notamment, avec l'Ossau qui a été récompensé trois fois. Champion du monde de fromage… Ça mérite bien une autre nouvelle, non ?

C'est plus difficile de trouver le mot juste que la bonne cuisson pour une viande

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France